La Qt Company en manque de liquidités : les prochaines versions de Qt pourraient n’être disponibles sous licence libre que dans les 12 mois

La Qt Company est la société qui possède actuellement Qt et qui se charge de la majorité du développement de la bibliothèque, mais aussi de la vente de licences commerciales. Ces derniers temps, on dirait que la société ne se porte pas des mieux, avec notamment une restriction pour la maintenance des versions LTS : les mises à jour correctives ne seront plus disponibles que pour les clients commerciaux ; ceux qui utilisent une version libre de Qt sont priés de passer à une version mineure plus récente. Par exemple, pour Qt 5.15, seules les quelques premières mises à jour correctives seront disponibles sous licence libre : on ne verra pas d’équivalent de Qt 5.12.8, qui marque pourtant une très grande stabilité.
Ce n’est pas tout.

Qt et KDE sont très liés : si Qt n’est plus disponible sous licence libre, c’est presque la fin de KDE. C’est la raison d’être de la fondation KDE Free Qt, créée en 1998 : si la dernière version de Qt n’est pas disponible sous licence libre dans les douze mois, tout le code libre de Qt passe sous licence BSD (une licence très peu contraignante), pour garantir la survie du projet KDE. Grâce à cet accord, les développeurs de KDE contribuent très régulièrement au code de Qt.

En permanence, la communauté KDE et la société derrière Qt (Trolltech, Nokia, Digia, Qt Company, selon l’époque) négocient des petits changements dans les accords de la KDE Free Qt, mais toujours de commun accord. Par exemple, quand Qt est racheté, il faut les modifier ; pour ajouter une licence pour certaines parties de Qt, il faut aussi changer cet accord.

Ces derniers temps, les demandes de la Qt Company se font plus pressantes pour améliorer la valorisation économique de Qt. D’un côté, ils cherchent un accord pour gérer les incompatibilités de licence entre les clients qui utilisent une licence commerciale, mais publient du code utilisant Qt sous licence libre (comme KDAB). Ce point doit effectivement être résolu avant que des litiges n’apparaissent. D’un autre côté, avec la crise actuelle liée à la pandémie de COVID-19, les finances de la Qt Company ne sont pas au beau fixe et l’entreprise a besoin de rentrées d’argent à court terme. C’est pour cela qu’elle cherche à exploiter l’accord actuel au maximum, en repoussant les sorties sous licence libre de douze mois : l’objectif est d’inciter les utilisateurs de Qt à ouvrir le porte-feuille et à acheter une licence commerciale.

Cependant, bien qu’autorisée, cette pratique signifierait probablement un grand changement dans la gouvernance de Qt. En effet, depuis des années, toutes les décisions techniques sont prises en public, tout le monde peut y participer. Les mainteneurs de module (qui valident ou non les ajouts de code) ne font pas forcément partie de la Qt Company. Si les versions libres venaient à être restreintes, ce modèle de gouvernance tomberait à l’eau, puisque le pouvoir reviendrait presque exclusivement à la Qt Company. Les contributeurs se demandent aussi comment les choses pourraient évoluer, mais sont d’accord sur le fait qu’il ne leur serait plus possible de contribuer à Qt (qu’il s’agisse d’un projet libre comme KDE ou d’une société comme KDAB — de l’avis de représentants officiels, des deux côtés), chose que la Qt Company semble avoir acceptée.

Pendant ce temps, la décision concernant les versions LTS annoncée en janvier n’avait pas été discutée au sein de la fondation KDE Free Qt. On peut aussi remarquer que, depuis l’annonce officielle, les questions en suspens restent sans réponse. Notamment, qu’adviendra-t-il des correctifs de sécurité ? Seront-ils partagés avec les distributions Linux (qui sont généralement frileuses à faire une grosse mise à jour de Qt) ?

Il semblerait que ces décisions sur les versions LTS ou sur le retard des versions libres serve surtout de moyen de pression pour obtenir des concessions de la part du projet KDE dans le cadre de la fondation KDE Free Qt : selon Olaf Schmidt-Wischhöfer, un des deux représentants de KDE dans la fondation, la Qt Company a explicitement indiqué qu’elle pourrait faire marche arrière sur ces deux dossiers à condition d’obtenir des concessions importantes (faciliter la vente de logiciels en même temps que Qt ou l’intégration avec des logiciels propriétaires tiers). L’objectif est bien d’augmenter les revenus de l’entreprise, sans grande considération pour le projet libre qu’est KDE. Cette situation est entièrement opposée aux habitudes de négociation, où l’objectif était d’augmenter les revenus commerciaux sans porter préjudice au projet libre.

Si la Qt Company ne change pas d’avis sur le dossier, les clauses de l’accord KDE Free Qt ne pourront a priori pas être activées, mais cela incitera très fortement les parties prenantes à créer un fork du projet Qt. Certes, KDE n’estime pas avoir les ressources nécessaires pour y arriver, mais KDAB et probablement d’autres sociétés seraient intéressées par un tel mouvement.

Source : les points de vue de KDE et KDAB.

Que pensez-vous de la volonté (unilatérale) de la Qt Company de détruire le modèle de gouvernance libre de Qt ?
Qu'est-ce qui changerait pour vous en cas de fork de Qt ?
Avec un tel fork, les forums de Developpez devraient-ils changer de nom pour ne plus faire référence qu'au fork et plus à Qt ?