Les États-Unis ouvrent une enquête sur la taxe Gafa française
pour déterminer si elle constitue une pratique commerciale déloyale
La France poursuit son chemin vers l'instauration de sa taxe sur les géants du numérique. Ce projet de loi vise à imposer les activités numériques qui « créent de la valeur grâce aux internautes français » et cible notamment les entreprises qui font, sur leurs activités numériques, un chiffre d’affaires de 750 millions d’euros dans le monde et de plus de 25 millions d’euros en France. L’idée est de les imposer à hauteur de 3 % du chiffre d’affaires réalisé en France sur la publicité ciblée en ligne, la vente de données à des fins publicitaires et la mise en relation des internautes par les plateformes. En définissant ces critères, une trentaine de groupes, majoritairement US, tombent sous le coup de cette taxe qui devrait rapporter 400 millions d’euros en 2019, puis 650 millions l'année prochaine.
Ce projet ne fait pas l'unanimité dans les discussions publiques. Certains estiment par exemple qu'en fin de compte il ne s'agit pas d'une taxe Gafa et cela pourrait dissuader les groupes européens juste en dessous du seuil de chercher à booster leurs chiffres d’affaires. Mais dans les votes des élus, on n'est pas vraiment loin du consensus. Après le vote en Assemblée en avril dernier (55 voix contre 4), le projet de loi instaurant une taxe nationale qui cible les géants du numérique a également été adopté par les sénateurs le mois suivant (181 voix contre 4).
Les sénateurs et les députés étant donc d'accord sur le principe de taxer les géants du numérique, ils se sont réunis en commission mixte paritaire le 26 juin 2019 pour parvenir à un accord, ce qui a été fait. Mais le texte devait repasser au sein des deux chambres avant son adoption définitive. En attendant le vote du Sénat le 11 juillet, l'Assemblée nationale a adopté jeudi 4 juillet, par 34 voix pour et 13 abstentions, sans aucun vote contre, le projet de loi, sous le regard menaçant des USA.
L’administration Trump a en effet dénoncé le caractère « extrêmement discriminatoire » de la taxe numérique française à l’égard des multinationales basées aux États-Unis. Elle a exprimé son intention de saisir l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en représailles afin de protéger les intérêts des entreprises technologiques américaines qui sont visées par l’instauration d’une éventuelle taxe, notamment Google, Amazon, Facebook et Apple.
Mercredi 10 juillet, à la veille du vote du Sénat, le président américain, Donald Trump, a ordonné une enquête sur le projet français de taxation des entreprises technologiques, une enquête qui pourrait amener les États-Unis à imposer de nouveaux droits de douane ou d’autres restrictions commerciales à la France, comme ils l’ont fait pour la Chine.
« Les États-Unis sont très préoccupés par le fait que la taxe sur les services numériques qui devrait être adoptée par le Sénat français demain vise injustement les entreprises américaines », a déclaré le représentant américain au Commerce, Robert Lighthizer, dans un communiqué annonçant l'enquête. Trump « a ordonné que nous examinions les effets de cette législation et déterminions si elle est discriminatoire ou déraisonnable et constitue une charge ou une restriction du commerce aux États-Unis », explique Lighthizer. L’enquête vise donc à déterminer si la taxe Gafa française constitue une pratique commerciale déloyale. Lighthizer aura jusqu’à un an pour déterminer si le plan fiscal français impacterait les sociétés de technologie américaines.
Pour le Bureau du représentant américain au commerce (USTR), « les services couverts sont ceux où les entreprises américaines sont des leaders mondiaux. La structure de la nouvelle taxe proposée ainsi que les déclarations de responsables donnent à penser que la France cible injustement la taxe dans certaines entreprises technologiques basées aux États-Unis », a-t-il déclaré dans un communiqué.
Le président du Comité des finances du Sénat US, le républicain Chuck Grassley, ainsi que le sénateur Ron Wyden, le plus grand démocrate du groupe se sont également rangés derrière Trump. « La taxe sur les services numériques que la France et d'autres pays européens appliquent est clairement protectionniste et cible injustement les entreprises américaines d'une manière qui va coûter des emplois aux États-Unis et nuire aux travailleurs américains », ont-ils déclaré dans un communiqué conjoint.
Précisons que les États-Unis sont d’accord avec le principe de taxer plus lourdement diverses multinationales, mais ils estiment que « cela devrait être fait sur une base plus large que la sélection d’un secteur particulier ». Ils préfèrent plutôt suivre la piste des négociations au niveau de l'OCDE « pour parvenir à un accord multilatéral afin de relever les défis du système fiscal international posés par une économie mondiale de plus en plus numérisée ». Pour les sénateurs Chuck Grassley et Ron Wyden, « les États-Unis n'auraient pas besoin de poursuivre cette voie si d'autres pays abandonnaient ces actions unilatérales et concentraient leurs énergies sur le processus multilatéral en cours ».
Mais comme l'a maintes fois expliqué le ministre français des Finances, il s'agit d'une solution temporaire dans l'attente d’un accord dans le cadre de travaux en cours à l'OCDE. C'est en effet exaspéré par les hésitations au niveau de l'UE que Bruno Le Maire a décidé de faire cavalier seul, ne pouvant pas attendre plus longtemps alors que les « Gilets jaunes » réclament plus de pouvoir d’achat. Il faut en effet trouver de l'argent pour financer la série de mesures d’urgence en faveur du pouvoir d'achat annoncées en décembre dernier, pour un montant de près de dix milliards d’euros. Cette taxe lui permettrait donc d'aller chercher « l’argent [qui] est chez les géants du numérique », lesquels font « des profits considérables grâce aux consommateurs français, grâce au marché français, et payent 14 points d’imposition en moins que les autres entreprises, que les PME, que les TPE, que l'industrie française » ; ce qu'il trouve inadmissible. Bruno Le Maire s'est toutefois engagé à abandonner cette taxe lorsque les entreprises du numérique seront taxées à l’échelle internationale.
Source : Reuters
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