Je suis né en 1976, d'un père informaticien. En 1981, on a eu notre premier ordinateur à la maison. Un SIRIUS S1. Je tombe immédiatement amoureux. Je crache assez vite mes premières lignes de code, bien rudimentaires évidemment (du genre la machine demande la longueur, la largeur, et je calcule et affiche la surface). Mon père développe de petits jeux, comme un snake ou un monopoly, et je passe un peu de temps là dessus. Pas beaucoup.
Là ou ça va changer, c'est avec l'arrivée du CPC6128, en 1986, je crois. Avec trois semaines de retard, entre les soucis de fabrication, une grève de camionneurs, et la neige qui avait paralysé le pays. Outre sa programmation notablement plus facile que sur le Sirius (même si moins puissante), il avait une bibliothèque de jeux. Au départ, je ne joue qu'à des jeux achetés, donc toujours les mêmes. Puis je découvre les joies du piratage et ma bibliothèque explose. Je découvre tous les types de jeux, action, arcade, stratégie.
Sabre Wulf a sauvé ma vie. Littérealement. A un moment, en changeant d'écran, sans que je m'y attende, le loup-garou me saute à la gorge et me tue. Enfin, tue mon personnage, mais j'ai pris ça pour une attaque personelle. Sous l'effet de la frayeur, je reste paralysé sur mon siège 30 minutes, pantelant. Je n'avais pas 10 ans. Quelques années plus tard, au lac d'Aiguebelette, j'ai failli me noyer en nageant sous un ponton (et en faisant le con). J'ai ressenti la même terreur - mais je la connaissais, et j'ai donc pu la maitriser et sortir de ce mauvais pas. Ca s'est joué à quelques secondes : le temps que je me rende compte que là ou je croyais pouvoir respirer, en fait, je ne pouvais pas, et devais sortir de là immédiatement. Malgré la peur panique de crever. J'ai géré en vrai parce que j'avais déjà géré, pour de faux. La définition même du jeu. Comme pour de vrai, mais pour de faux.
(.../...)Je n'ai jamais été populaire, mais en CM2, je change d'école primaire, et je me retrouve très isolé. Le jeu vidéo devient vite pour moi un échappatoire fabuleux(.../...)
Je grandis, je programme de temps en temps, je joue beaucoup, moins au Lycée (ou je lis énormément), pas du tout en prépa, puis en école d'ingénieur, à nouveau beaucoup. Pour la même raison : je suis seul en dehors de ça. Les collègues passent leur temps à écouter de la musique trop fort, à fumer du tabac qui me rend malade (je suis allergique au tabac). Donc un PC avec des hordes de jeux. Beaucoup de Stratégie, un peu d'action, un peu de sport, un peu de gestion. Je ne programme plus. Sauf pour le maigre cours d'informatique, ou j'ai des résultats brillants, sans plus.
Le jeu le plus marquant, c'est XCom, premier du nom. J'emprunte les disquettes à un ami, j'installe, il est 20h00, je me dis que je vérifie juste que ça marche, bon je fais un ou deux niveaux, je me dis qu'il est l'heure de rendre les disquettes, il est 02h00. Bon, mec, tu auras les disquettes demain, désolé. C'est là que je me suis rendu compte que j'avais un problème. Mais j'ai toujours su faire la part des choses - le boulot avant. Juste assez de boulot pour avoir le diplôme en milieu de promotion.
Puis l'armée, et la Playstation avec les potes. Un an de recherche d'emploi, ou, assez déprimé, je me terre dans le jeu vidéo. Je finit par trouver un job. Je joue alors au
https://www.swcombine.com (la page de départ n'a pas changé depuis près de 20 ans). Membre de l'alliance rebelle, je dois communiquer avec mes pairs. L'outil est ICQ, une messagerie instantanée. Et parfois, je me fais contacter par des non-joueurs. L'un des contacts deviendra ma femme. Ca fait plus de 10 ans que je n'ai plus joué, toutefois, et je n'ai plus mes identifiants. J'ai toujours ma femme, par contre.
A la même période, je vais faire quelques bétatests pour des compagnies étrangères. Je ne donne pas de références de jeux précis, exprès. Je dis juste que c'est sur un de ces bétatests que j'ai rencontré mon chef actuel. Petit à petit, la stratégie m'amuse moins, et la gestion m'amuse plus. Aujourd'hui, je suis capable de m'amuser avec un tableur EXCEL. Si en plus il a quelques graphismes, c'est parfait. Sur l'autre fil, j'ai parlé d'industrie automobile. Je retourne régulièrement vers Gear City. J'adore aussi les avions, même si je reconnais leur coté polluant. Je pratique aussi Airwaysim, donc, un tableau EXCEL avec parfois des petites photos d'avions civils.
Bon, mais la vraie question, c'est "les jeux vidéo, c'est bien, ou c'est pas bien?" Et la réponse est fort nuancée. Comme quasiment tout, quand on en abuse, c'est mal. Quand on l'utilise sur un public non approprié (notamment trop jeune, suivant les types de jeux), c'est mal. Du hack & Slash ou du FPS à 10 ans, c'est pas une bonne idée. La quantité de stress est intenable pour la plupart des enfants de cet âge là. Et il faut limiter, ça peut devenir une addiction, à tout âge, d'ailleurs. Je suis sans doute un peu addict. Un peu seulement, parce que jamais une urgence de la vie courante (genre aller acheter une motte de beurre pour le sandwich du petit) ne passera après un beau planning à Airwaysim. Mais un peu quand même. C'est un problème.
Mais en même temps, ça développe des qualités. Les jeux d'action ou d'arcade développent les réflexes. Beaucoup de jeux font gérer des ressources limitées, et apprennent à gérer un budget. Budget munitions à Doom, budget mana à Diablo, etc... Certains sont plein d'anecdotes historiques, comme Europa Universalis. La plupart font travailler la ténacité. Quand j'ai installé NHL hockey (premier du nom, version de 1993), il m'a fallu plus de 30 matches (compter 25/30 minutes par match) avant d'arracher mes premières non-défaites. Il faut s'accrocher. Ce n'est pas du tout cuit. Et quand on commence à faire du compétitif sur internet (j'ai pas mal pratiqué Operation Flashpoint en compétitif, entrainement tous les soirs), ça nécessite encore bien plus, de l'entrainement, du travail sur soi pour perdre les mauvaises habitudes, il faut en permanence se remettre en cause, parce que les autres, eux, ils progressent.
Le jeu vidéo m'a appris à gérer la panique lors d'un danger mortel (Sabre Wulf, donc). Il m'a appris la différence entre comptabilité d'engagement et comptabilité de trésorerie (Airwaysim). Il m'a appris à me surpasser (Operation Flashpoint). Il m'a appris à m'accrocher en cas d'échecs répétés (NHL Hockey). Il m'a appris à réfléchir vite sous forte pression(Strip that Elf - oui je suis parfois un pervers). Il m'a appris à réfléchir stratégiquement, à plusieurs niveaux d'abstraction simultanés (Cities in Motion). Il m'a appris à penser les gens en termes de points forts (Bard's Tale), et à ne pas tous les mettre dans le même panier (Jagged Alliance 2). Il m'a appris à optimiser avec insistance une tâche précise (F1 Grand Prix 2). Il m'a appris à ne pas me laisser déborder par le temps réel quand je suis sur une tâche précise et obsédante(XCom). Il m'a appris à penser en termes de générations (Crusader Kings). Il m'a appris à penser latéralement, en dehors du cadre habituel (Star Wars Rebellion). Il m'a appris à travailler mes reflexes (Macadam Bumper). Il m'a appris pourquoi les sous-marins étaient tellement redoutés et redoutables (Harpoon). Il m'a appris à accepter l'échec (Unreal World), il m'a appris la patience (Star Wars Combine).
Dit autrement, pratiqué avec modération, le jeu vidéo est une vraie école. Pendant que mes camarades se vautraient devant la télé, moi, je développais des qualités. Alors évidemment, pour draguer, ne pas savoir de qui Sue Ellen est le mari est parfois un souci, et un peu plus d'équilibre m'aurait sans doute fait du bien. Mais le procès qui est fait au jeu vidéo est injuste, d'une manière générale. C'est une pratique active, souvent difficile, et ou le mérite n'est pas un vain mot.
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