« Il travaillait pour nous »… « Et pour nous aussi » : l'ingénieur indien Soham Parekh a dupé la Silicon Valley,
brillant dans les entretiens d'embauches et travaillant simultanément pour plusieurs entreprises
L'affaire Soham Parekh, un ingénieur logiciel indien, a secoué la Silicon Valley et le monde de la tech, révélant les vulnérabilités du travail à distance et relançant le débat sur le cumul d'emplois, ou « moonlighting ». Accusé d'avoir travaillé simultanément pour plusieurs startups sans en informer ses employeurs, Parekh est devenu malgré lui une figure emblématique d'une controverse qui a rapidement fait le buzz sur les réseaux sociaux. Paradoxe de la tech moderne : entre télétravail mondialisé, recrutement éclair, et course au talent, l'aventure de Soham Parekh est devenue un symbole. Un symbole de l’arrogance algorithmique, de la fragilité des process RH dans l’ère du télétravail et du chaos feutré qui gronde dans les entrailles de la Silicon Valley.
L’homme derrière la supercherie
Soham Parekh, ingénieur logiciel basé en Inde, avait tout du profil rêvé : diplômé d’universités prestigieuses selon son CV (dont Georgia Tech), compétent, affable, impressionnant en entretien. Mais derrière cette façade se cachait une réalité bien différente : Parekh menait plusieurs « vies professionnelles » depuis 2022.
Tout a commence début juillet 2025 avec un post viral sur X par Suhail Doshi — cofondateur de Mixpanel (aujourd’hui Playground AI) — qui met en garde publiquement les startups contre un certain Soham Parekh, un ingénieur logiciel basé en Inde. Il révèle qu’il a été engagé dans trois à quatre entreprises en même temps, pour des salaires avoisinant 200 000 $ par poste, avant d’être licencié après une semaine suite à des mensonges et des performances quasi nulles
Message d'intérêt public : il y a un type nommé Soham Parekh (en Inde) qui travaille dans 3-4 startups en même temps. Il s'en prend aux entreprises YC et à d'autres. Méfiez-vous. J'ai licencié ce type dès sa première semaine et lui ai dit d'arrêter de mentir et d'escroquer les gens. Il n'a pas arrêté un an plus tard. Plus d'excuses.
Puis de continuer en disant : « Je tiens également à dire que j'ai essayé de faire entendre raison à ce type, de lui expliquer l'impact et de lui donner une chance de tourner la page, parce que c'est parfois ce dont une personne a besoin. Mais cela n'a manifestement pas fonctionné ».
Doshi a également partagé le curriculum vitae de Parekh, mettant en doute l'authenticité de ses références. Le message est rapidement devenu viral, incitant d'autres fondateurs de startups à faire part d'expériences similaires. Ce message de Doshi a été vu près de 20 millions de fois et a incité plusieurs autres fondateurs à faire part de leurs démêlés avec Parekh.
Flo Crivello, PDG de Lindy, une startup qui aide les gens à automatiser leurs flux de travail grâce à l'IA, a déclaré qu'il avait embauché Parekh au cours des dernières semaines, mais qu'il l'avait renvoyé à la lumière de la publication sur X de Doshi :
« Bon sang de bonsoir. Nous avons embauché ce type il y a une semaine. Il a été licencié ce matin. Il s'est incroyablement bien débrouillé lors des entretiens, il doit être très bien formé. Soyez prudent »
Matt Parkhurst, le PDG d'Antimetal, une startup qui gère automatiquement les cloud, a confirmé que Parekh était le premier ingénieur embauché par la société en 2022. Parkhurst explique qu'Antimetal a licencié Parekh au début de l'année 2023 après avoir réalisé qu'il travaillait au noir dans d'autres entreprises.
Il est amusant de constater que Soham a été notre premier ingénieur embauché en 2022. Très intelligent et sympathique ; j'ai aimé travailler avec lui. Nous nous sommes vite rendu compte qu'il travaillait pour plusieurs entreprises et nous l'avons laissé partir. Je n'ose imaginer le montant d'actifs qu'il a laissés sur la table.
Parekh semble également avoir travaillé chez Sync Labs, une startup qui fabrique un outil d'IA pour la synchronisation labiale, où il a même joué dans une vidéo promotionnelle. Il a finalement été licencié.
À un moment donné, Parekh a posé sa candidature auprès de plusieurs startups soutenues par Y Combinator. Haz Hubble, cofondateur de Pally AI, une startup soutenue par Y Combinator qui construit une « plateforme de gestion des relations par l'IA », dit avoir proposé à Parekh un rôle d'ingénieur fondateur. Adish Jain, cofondateur de Mosaic, une startup de montage vidéo utilisant l'IA, soutenue par YC, a déclaré avoir également interviewé Parekh pour un rôle.
L'un des trois candidats les plus performants lors de l'entretien
Il s'avère que Parekh s'est très bien débrouillé lors de plusieurs de ces entretiens et a reçu des offres, en grande partie parce qu'il est un ingénieur logiciel doué.
Par exemple, Rohan Pandey, ingénieur de recherche fondateur de la startup Reworkd soutenue par YC, a déclaré qu'il avait interviewé Parekh pour un rôle et qu'il était un excellent candidat. Pandey, qui ne fait plus partie de la startup, a déclaré que Parekh était l'un des trois candidats les plus performants lors d'un entretien axé sur les algorithmes.
Selon Pandey, l'équipe de Reworkd se doutait que quelque chose n'allait pas avec Parekh. À l'époque, Parekh avait déclaré à Reworkd qu'il se trouvait aux États-Unis (une condition requise pour le poste) mais l'entreprise ne l'a pas cru. Elle a lancé un enregistreur d'adresses IP sur un lien Zoom de Parekh et l'a localisé en Inde.
Pandey a rappelé d'autres choses que Parekh avait dites et qui ne collaient pas, et certaines de ses contributions à GitHub et de ses rôles antérieurs n'avaient pas non plus de sens. Cela semble être une expérience commune pour ceux qui ont traité avec Parekh.
Le point de vue de Parekh
Parekh a fait une apparition sur le réseau Technology Business Programming Network (TBPN) jeudi pour donner sa version des faits aux coanimateurs John Coogan et Jordi Hays et expliquer pourquoi il a travaillé dans autant d'entreprises. Il a admis qu'il occupait plusieurs emplois simultanément depuis 2022. Parekh affirme qu'il n'utilisait pas d'outils d'intelligence artificielle et qu'il n'embauchait pas d'ingénieurs logiciels débutants pour l'aider à gérer sa charge de travail.
Tout ce travail a fait de lui un bien meilleur programmeur, estime-t-il, mais il note que cela lui a coûté cher.
Parekh a déclaré qu'il était connu de ses amis pour ne pas dormir. Il a répété à plusieurs reprises au cours de l'entretien qu'il travaillait 140 heures par semaine, soit 20 heures par jour, sept jours sur sept. Cela semble à la limite de l'impossible ou, à tout le moins, extrêmement malsain et insoutenable.
Parekh a également déclaré qu'il avait accepté plusieurs emplois parce qu'il était en « péril financier », ce qui implique qu'il avait besoin de tous les revenus qu'il pouvait tirer de ses différents employeurs. Il affirme qu'il a reporté un programme d'études supérieures auquel il avait été admis et qu'il a décidé de travailler simultanément pour plusieurs startups.
Doshi a notamment partagé une copie du curriculum vitae de Parekh, qui affirme avoir obtenu une maîtrise à l'Institut de technologie de Géorgie.
Lorsque les coanimateurs de TBPN ont demandé à Parekh pourquoi il n'avait pas demandé à une seule entreprise d'augmenter son salaire et de l'aider à surmonter ses difficultés financières, Parekh a répondu qu'il aimait maintenir une frontière entre sa vie professionnelle et sa vie privée. (Mais il avait également opté pour des salaires bas et des capitaux propres élevés dans tous ses emplois, ce qui ne correspond pas tout à fait à l'histoire de sa crise financière. Toutefois, Parekh a refusé d'en dire plus à ce sujet).
Parekh a déclaré aux animateurs qu'il aimait sincèrement son travail, et qu'il ne s'agissait pas uniquement d'argent. Il dit s'être beaucoup investi dans les missions de toutes les entreprises où il a travaillé.
Il a également admis qu'il n'était pas fier de ce qu'il avait fait et qu'il ne le cautionnait pas.
Le PDG d'une entreprise qualifie la tendance au suremploi de « nouvelle forme de vol et de tromperie »
Parekh n’est pas un cas isolé. Depuis la généralisation du télétravail post-Covid, un mouvement souterrain appelé « suremploi » a pris de l’ampleur. Il s’agit pour certains professionnels, souvent dans la tech, de cumuler volontairement plusieurs emplois à temps plein pour maximiser leurs revenus, sans en informer leurs employeurs.
Le site overemployed.com documente cette pratique et propose même des conseils pour « bien gérer deux ou trois emplois » à la fois. On y trouve des témoignages d’ingénieurs gagnant plus d’un million de dollars par an grâce à cette stratégie.
Mais dans le cas de Parekh, la situation frôle l’escroquerie : ses performances étaient nulles, ses contributions inexistantes, et ses mensonges nombreux. Il ne s’agissait pas de surproductivité… mais d’une absence presque totale de travail livré.
En septembre 2022, des centaines de milliers d'Américains ont jonglé avec deux emplois à temps plein et près de 4 millions d'autres travaillaient à temps plein et à temps partiel, a rapporté le Bureau of Labor Statistics (principal établissement du gouvernement américain dans le domaine de l'économie du travail et des statistiques). Cette tendance au « suremploi » est devenue si populaire pendant la pandémie que les médias américains ont rapporté que certains travailleurs ont décrit le fait d'avoir deux emplois comme le remède à l'épuisement professionnel en n'ayant qu'un seul emploi. Pour les télétravailleurs, en particulier, la capacité de générer un revenu supplémentaire en exerçant deux emplois à la fois est devenue tellement normalisée, a rapporté le Washington Post à cette période, que certains télétravailleurs considéraient qu'il était « juste » de cacher un deuxième emploi à leur principal employeur.
Davis Bell, PDG de Canopy, a déclaré à ce sujet :
« Nous avons attrapé et licencié deux ingénieurs récemment embauchés qui n'ont jamais quitté leur dernier emploi dans une grande entreprise de technologie lorsqu'ils sont venus "travailler" pour nous. Ils suivaient une nouvelle tendance consistant à décrocher un deuxième emploi à temps plein tout en mentant à ce sujet aux deux employeurs. Il ne s'agit pas d'activités parallèles ou de travail au noir. C'étaient des gens qui occupaient deux emplois synchrones à temps plein et qui mentaient à ce sujet - essayant d'être à deux réunions à la fois, etc. Leurs premières performances étaient vraiment mauvaises, et heureusement, nous avons de grands managers qui les ont repérés très rapidement.
« Chaque fois que je lis des articles dans les médias sur des gens qui font cela, je suis généralement surpris qu'ils ne fassent pas une plus grande attention aux problèmes moraux fondamentaux en jeu*: disposer de deux emplois à temps plein, c'est voler, et cela implique également une grande affaire de mensonge et de tromperie.
« Je suppose que certaines personnes pensent que voler des entreprises est moins mal que voler des individus. En réalité, les entreprises appartiennent à des personnes - soit directement, dans le cas de nos employés, soit indirectement, par les fonds de retraite qui sont investis dans des fonds de capital-risque et de capital-investissement et des fonds d'investissement qui possèdent des entreprises. Vous volez ceux qui dépendent de vous pour faire le travail et dont la carrière repose sur le succès des entreprises pour lesquelles ils travaillent.
« Et enfin, vous volez très probablement un emploi à quelqu'un qui le veut et en a besoin.
« Donc pour moi, ce n'est pas une nouvelle tendance sociale amusante. C'est une nouvelle forme de vol et de tromperie, et non quelque chose auquel une personne éthique et honnête participerait ».
Certains employés ont déjà été licenciés pour avoir deux emplois à temps plein
En 2022, Equifax a utilisé The Work Number, qui est l'un de ses propres logiciels, pour identifier les employés en télétravail qui avaient un autre emploi à temps plein tout en étant employés par Equifax.
Puis, 25 employés ont été interrogés sur les conclusions de l'enquête et 24 ont été licenciés, ce qui a permis d'économiser 3,2 millions de dollars, selon un document. En plus de ces employés qu'Equifax a licenciés, l'entreprise aurait signalé 283 sous-traitants également soupçonnés d'être doublement employés, mais le média qui a révélé l'affaire n'a pas été en mesure de vérifier si ces sous-traitants ont également été remerciés.
Bien que l'enquête d'Equifax ait ciblé des employés ayant deux emplois ou plus, l'entreprise a déclaré que cette violation n'était pas la seule raison pour laquelle 24 employés ont été licenciés. En effet, la porte-parole d'Equifax, Kate Walker, a confirmé que plusieurs employés avaient récemment été licenciés « en raison de multiples facteurs, y compris dans de nombreux cas leur propre aveu qu'ils avaient un poste secondaire à temps plein ». Certains occupaient trois emplois, a-t-elle précisé.
Certains travailleurs étaient soupçonnés d'avoir eu des entretiens avec Equifax (entretiens téléphoniques dans le cadre de l'enquête) depuis leurs autres sites de travail. L'enquête a également utilisé les commentaires des managers et des périodes inexpliquées où un travailleur n'était pas disponible pendant la journée de travail, a déclaré Walker. Aussi, Equifax a commencé à noter tout employé enregistrant « une utilisation anormalement faible du VPN », en dessous de 13 heures par semaine, comme un signal d'alarme.Envoyé par Kate Walker
Conclusion
L'affaire Soham Parekh a mis en lumière des lacunes significatives dans les processus de vérification des antécédents, en particulier pour les startups en phase de démarrage qui sont souvent moins équipées pour des enquêtes approfondies. Elle a également ravivé le débat sur le « moonlighting » ou le « sur-emploi » dans l'industrie technologique, où certains estiment que tant que le travail est livré, la flexibilité devrait être acceptée, tandis que d'autres insistent sur la transparence et l'honnêteté contractuelle.
Malgré le tollé public, Parekh a annoncé avoir trouvé un nouveau poste d'ingénieur fondateur exclusif au sein de Darwin Studios, une startup d'IA. Son histoire continue de susciter des discussions sur la confiance, la productivité et la responsabilité dans l'écosystème trépidant des startups.
Sources : fil de discussion de Suhail Doshi, vidéo de l'entretien avec Parekh dans le texte
Et vous ?
Quelle lecture faites-vous de sa situation ?
Les entretiens techniques sont-ils devenus une mascarade où seul le storytelling compte ?
Que vaut vraiment un entretien « réussi » si les livrables derrière ne suivent pas ?
Celles et ceux qui cumulent plusieurs emplois sans en informer leurs employeurs sont-ils des escrocs… ou des survivants ? Pourquoi ?
Dans un monde où les employeurs peuvent licencier sans prévenir, les salariés ont-ils encore un devoir de loyauté unilatéral ?
Qui est réellement responsable dans cette affaire : l’individu, le système de recrutement, ou le modèle économique de la tech ?
Soham Parekh : arnaqueur, hacker du système, ou lanceur d’alerte involontaire ?
Que changeriez-vous demain dans votre entreprise pour éviter une « affaire Parekh » ?
Dans le contexte de l'IA qui est pointée du doigt (à tort ou à raison) pour le resserrement du marché du travail et les licenciements massifs, est-il possible que cette tendance au multiple emploi diminue ? Dans quelle mesure ?
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