Ce qu'on a fait en Europe et en France a été d'outsourcer notre savoir-faire industriel en Chine et notre informatique à des ESN. On est passés d'un métier d'ingénieur à celui de manager. Dès lors, les gens qui prennent des décisions ne sont pas des gens qui savent faire.
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La période d'industrialisation de la France, que ce soit pour le nucléaire, le TGV, le Numéris, a pu exister, car on avait des ingénieurs à la tête. Dans la Silicon Valley, l'innovation peut venir de petites entreprises ou de personnes qui n'ont pas de diplôme, mais le savoir-faire. On a perdu cela. Désormais, on assemble des choses faites par d'autres car on a démantelé des filières entières. C’est l’ère du
lean management : on appuie sur un bouton pour avoir tel produit à la demande. Ça marche jusqu'au jour où l'on a besoin d'un milliard de masques d’un coup et que le système explose.
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Il faut aussi séparer deux choses : l'infrastructure et l'économie du numérique. Depuis quelques années, on délaisse la problématique de l'infrastructure pour se concentrer uniquement sur le financement des start-up. Or, les entreprises qui font vivre et maintiennent l’infrastructure numérique et le cloud ne sont pas forcément des start-up qui lèvent beaucoup d'argent et veulent faire des introductions en Bourse. Ce sont les PME, les ETI, les grands groupes. Des éditeurs indépendants qui veulent vendre leurs technologies sur le long terme. Je le répète depuis des années : ce qu'il nous manque au sommet de l’État, c'est un CTO [directeur de la technologie, NDLR] qui s’assure que l'architecture et les choix promeuvent une souveraineté numérique.
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Quand on arrête de faire, on perd le savoir-faire. Pour faire de bons logiciels, il ne faut pas juste coder, il faut que le produit soit "shippé", utilisé, qu'il génère des retours, qu'il soit amélioré… Ce sont ces cycles continus qui font que ça marche. Donc si l'on n'inclut pas les éditeurs français, les OVH, Scaleway, Rapid.Space, Clevercloud, Outscale etc, on ne les aide pas à s'améliorer et on ne construit pas cette souveraineté dont nous avons tant besoin.
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Au niveau du gouvernement, je ne suis pas très convaincu du désir de souveraineté numérique. Rappelons que dans le cadre de la présidence française de l’UE, la France sera chargée de la politique européenne pendant six mois. Quelle est notre doctrine ? Que propose-t-on à l’Europe ? Je pense que les citoyens, dans leur for intérieur, sont en train d'intégrer la question de la souveraineté. Pas que d'un point de vue économique : quand on leur dit que l'on va peut-être entrer en pénurie de pâtes à cause de la saison désastreuse au Canada sur le blé dur, que l'on a été en manque de médicaments, et que désormais la question de l'énergie va se poser également… Soudain, la question de cette vision souveraine des besoins fondamentaux, dont fait partie le numérique, va devenir essentielle, et j'espère que cela sera l'un des sujets de la campagne présidentielle à venir.
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