Dans ce cadre, obliger à décliner son identité avant de parler est vu comme un moyen efficace de s’assurer qu’il n’y ait pas d’abus. Contrairement à ce que l’on imagine au premier abord, la plus incapacitante des censures n’est pas celle imposée par l’Etat ou par la justice. Elle est d’abord celle que l’on s’inflige à soi-même pour préserver le nécessaire espace de confort social dans lequel le jugement de l’autre nous est supportable. Interdire que l’on puisse s’exprimer sans être à visage découvert, c’est imposer une forme d’auto-censure généralisée. C’est inciter à ce que chacun pèse le risque d’exprimer ses opinions à l’aune d’une bienséante normalité, y compris lorsque l’on veut s’exprimer en toute légalité. Il n’y a rien de plus mortifère pour la démocratie.
Car oui, il faut l’affirmer, le droit à l’anonymat est une condition nécessaire à la liberté d’expression ! Sans la possibilité d’être anonyme, l’adolescent homosexuel ne pourrait pas librement évoquer ses craintes auprès de tiers compréhensifs et bienveillants, qui l’aideront à trouver la force de vaincre les tabous familiaux. Le cancéreux en rémission qui parle de son combat contre la maladie craindrait sans doute qu’un futur employeur ne découvre les raisons du trou dans son CV et préfère un candidat qui ne présentera pas de risque de rechute. La policière ne se sentirait pas libre de raconter ses anecdotes de vie si elle devait les exposer auprès de ses gardés à vue. L’ouvrier entouré par ses pairs et par son patron ne s’autoriserait pas à défendre les idées politiques auxquelles il croit mais qui déplairaient aux uns ou à l’autre. Il y a presque autant de bonnes raisons de vouloir exprimer une idée sous pseudonyme qu’il existe d’individus.
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