Le fondateur d’OVHcloud annonce des discussions en vue de racheter le moteur de recherche Qwant
Qwant fait face à des déboires financiers et n'a tenu aucune de ses promesses initiales jusqu'ici

L'entrepreneur français Octave Klaba, cofondateur et PDG d'OVHcloud, a annoncé sur Twitter mardi avoir entamé des négociations exclusives avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) en vue de racheter Qwant - sauvé de la faillite en décembre dernier par la Banque européenne d'investissement. En outre, l'on apprend que la CDC et Octave Klaba entendent créer Synfonium, une plateforme qui vise à offrir un accès transparent aux meilleurs services de collaboration européens basés sur le cloud. Cela comprend l'informatique à distance, le stockage sur le cloud, les fonctions de moteur de recherche, de vidéoconférence, et bien d'autres applications.

« Avec la Caisse des Dépôts, nous sommes entrés en discussion exclusive pour racheter Shadow et Qwant et proposer tous ces services européens dont on parle depuis toujours. Il reste beaucoup de travail et d’obstacles pour finaliser le rachat. Il faut bosser et les fixer… », a déclaré Klaba dans un tweet mardi. L'homme d'affaires de 48 ans n'a donné aucun détail sur le contenu des "négociations exclusives", mais le site Web de Shadow a publié plus tard dans la journée des précisions sur ce projet de rachat. L'article précise que ce n'est pas OVHcloud qui rachète Qwant, mais plutôt une nouvelle entreprise qui sera cofondée par les deux frères Klaba et la CDC.

Prénommée Synfonium, la société sera détenue à 75 % par Octave et Miroslaw Klaba, les cofondateurs d'OVHcloud, et la CDC détiendra une participation de 25 %. La société prévoit d'inclure dans un premier temps les services de Shadow, racheté en 2021 par les deux frères Klaba par l'intermédiaire de leurs fonds Jezby Ventures et Deep Code. Il s'agit notamment de son offre de PC dans le cloud, Shadow PC, et son application de stockage dans le cloud, Shadow Drive. Ensuite, si les pourparlers aboutissent, Synfonium intégrera Qwant, le moteur de recherche fantoche lancé sur les promesses de respect de la vie privée et de souveraineté de la France et de l'UE.


Dans le communiqué publié sur le site de Shadow, Octave Klaba a déclaré : « nous pensons que l'Europe dispose d'un grand nombre de solutions logicielles innovantes qui bénéficieraient grandement d'une plateforme conçue pour leur distribution et leur interaction optimisée. Synfonium est destiné à servir d'hôte et d'accélérateur pour ces technologies, en commençant par celles de Shadow et de Qwant ». Antoine Troesch, directeur de l’investissement de la Banque des Territoires, a déclaré que la CDC entend poursuivre ses efforts d’investissement à l’appui d’initiatives innovantes pour le développement de solutions numériques européennes de confiance.

« Après avoir investi dans Qwant pour soutenir la croissance d’un moteur de recherche européen respectueux de la vie privée, la Caisse des Dépôts s’associe avec un acteur majeur de la Tech avec pour ambition de contribuer à l’émergence d’une plateforme européenne grand public, ouverte et sécurisée, proposant divers services collaboratifs et logiciels dans le cloud », a-t-il déclaré. Selon le communiqué, à l'avenir, Synfonium prévoit d'ajouter d'autres services à la plateforme par l'intermédiaire d'une combinaison de développements internes, d’acquisitions supplémentaires et de partenariats avec des entreprises qui partagent sa vision et ses valeurs.

L'annonce du PDG d'OVHcloud a suscité des réactions mitigées mardi et la plupart des commentateurs semblent sceptiques sur l'avenir du projet et son utilité. « À mon humble avis, OVHcloud devrait rester 100 % concentré sur la fourniture de services cloud aux entreprises et tenter de réduire le retard sur Google, Microsoft et AWS. Il y a une énorme demande d'entreprises européennes qui rêvent d'une alternative. Qwant risque d'être une distraction inutile », a écrit un critique. D'autres pensent néanmoins qu'un rachat par un acteur tel que Klaba serait bonne nouvelle pour Qwant, qui n'a jamais pu trouver son modèle économique après dix ans d'existence.

Lancé en grande pompe en juillet 2013, le moteur de recherche Qwant était censé devenir le "Google français" et avait promis de libérer la France et l'Europe du joug des géants asiatiques et américains de la recherche en ligne. Mais cette fougue n'a pas duré assez longtemps. S'en sont suivies dix années de gestion catastrophique et une montagne de dettes que l'entreprise peine aujourd'hui à rembourser. Les dirigeants successifs de l'entreprise n'ont pas réussi à faire de Qwant le moteur de recherche "souverain" de la France. Mais encore, des enquêtes ont révélé que Qwant s'appuyait sur des rivaux comme Bing de Microsoft pour proposer ses services.

D'après le média L'Informé, Qwant a été très proche de la faillite en décembre dernier. Selon un rapport du média économique, Qwant devait rembourser une dette de 15 millions d'euros à la Banque européenne d'investissement (BEI) l'année dernière, mais la société ne disposait pas de ces fonds. Cependant, le moteur de recherche français a obtenu un rééchelonnement de sa dette auprès de la BEI, ce qui lui aurait évité de déposer le bilan. Alors qu’il n’a jamais décollé commercialement, Qwant continue de bénéficier de la bonne grâce des pouvoirs publics français et européens. En fait, Qwant n’a jamais atteint la rentabilité depuis sa création en 2013.

Plusieurs enquêtes ont révélé au fil des ans que Qwant termine chaque année dans le rouge. Par exemple, en 2019, les pertes de Qwant se sont creusées de 50 %, à 23,5 millions d'euros, pour un chiffre d'affaires de seulement 5,8 millions d'euros. Un an plus tôt, le moteur de recherche avait perdu 13,8 millions d’euros. Malgré un chiffre d’affaires bas, et des pertes considérables répétées, Qwant a une charge salariale importante - avec un niveau de rémunération apparemment trop élevé. La société a donc décidé à l'été 2020 de se séparer du quart de son effectif et de procéder à une restructuration. Cela devrait lui permettre de réduire ses coûts.


Cela devait lui permettre également de se concentrer sur son principal service qu'est son moteur de recherche. Avant cela, en avril 2020, la société avait procédé à un remaniement de sa direction. Ainsi, de nombreux responsables ont quitté l'entreprise en 2020 et au cours de ces derniers mois. Après les départs, en septembre 2021, de Guillaume Champeau, chargé de l'éthique et des affaires juridiques, Hugo Venturini, le CTO et Nam Ma Kim, qui s'occupait du marketing, le directeur de la stratégie Sébastien Ménard a lui aussi quitté l'entreprise en décembre. Néanmoins, les pertes pour 2020 se chiffraient à environ 13 millions d'euros.

Qwant a été lancé sous un modèle de préservation de la vie privée et a été présenté par le gouvernement français comme l'un des piliers pour atteindre la "souveraineté numérique". Ainsi, Qwant a toujours promis qu'il ne traque pas ses utilisateurs et ne vend pas leurs données personnelles afin de garantir leur vie privée. Le jeune moteur de recherche se veut neutre dans l'affichage des résultats. Qwant a notamment bénéficié d'une subvention de plus de 20 millions d'euros de la Caisse des Dépôts pour lui permettre de concurrencer Google, et est aujourd'hui le moteur de recherche par défaut dans les administrations publiques.

En outre, l'extension du moteur de recherche pour le navigateur Mozilla Firefox fait partie de la liste des logiciels libres préconisés par l'État français dans le cadre de la modernisation globale de ses systèmes d’information où il est indiqué comme publiée sous licence MIT/X11. Le moteur en lui-même n'est pas open source. Cependant, Qwant n'a pas réussi son pari, et est encore loin d'être considéré comme un moteur de recherche souverain. Une enquête publiée le 18 mai 2020 par Le Média a révélé que Qwant ne ressemble en rien au projet initial, et ne mérite pas la couverture médiatique qui le présente comme un modèle de success-story.

Qwant dépendrait à plus de 60 % de Bing, le moteur de recherche de Microsoft, alors qu'il était censé être une alternative souveraine et respectueuse de la vie privée aux géants asiatiques et américains. Qwant s'appuie non seulement sur Bing pour fournir les résultats de recherche, mais il doit aussi sa principale source de revenus (environ 90 % de ses revenus) à Microsoft. Qwant utilise Bing Ads pour afficher de la publicité sponsorisée dans les résultats de recherche. Interrogés sur le sujet, les cadres de la société ont déclaré qu'il ne s'agit pas de publicités ciblées, mais plutôt de publicités contextualisées affichées grâce à des données anonymisées.

Selon le rapport de Shadow, dans le cadre des négociations exclusives entre les deux frères Klaba et la CDC, les parties analysent les récentes évolutions des conditions financières des accords entre Qwant et Microsoft. Après les licenciements et la restructuration, Qwant espérait retrouver l'équilibre en 2021. Mais toujours en difficulté, le moteur de recherche a demandé en juin 2021 à ses actionnaires d'approuver un prêt d'environ 8 millions d'euros de la part du géant chinois des télécommunications Huawei. Le financement devrait se faire via des obligations convertibles de Hubble, le fonds de capital-risque du géant chinois basé à Hong Kong.

Source : communiqué de presse de Shadow

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Pensez-vous que l'acquisition pourrait permettre à Qwant de tenir ses promesses initiales ?
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