L'informatique quantique souffre d'un problème de battage médiatique
selon Sankar Das Sarma, un physicien
Un nombre sans cesse croissant d'entreprises se targuent aujourd'hui de faire des avancées remarquables dans le domaine de l'informatique quantique, mais de plus en plus de personnes dénoncent une publicité mensongère autour de la technologie. Dans une tribune publiée dans le MIT Technology Review, Sankar Das Sarma, expert réputé dans le domaine de l'informatique quantique, a déclaré : « à ce jour, l'informatique quantique est un tigre de papier, et personne ne sait quand (si jamais) elle deviendra commercialement pratique. En attendant, le battage médiatique continue ».
La décohérence des systèmes quantiques continue d'être un handicap majeur
Annoncée comme l'une des révolutions informatiques imminentes de cette décennie, l'informatique quantique peine toujours à se développer, dans le secteur privé comme dans le monde universitaire. Les ordinateurs quantiques devraient théoriquement permettre de résoudre des problèmes mathématiques extrêmement complexes auxquels les ordinateurs classiques ne seraient jamais en mesure de répondre (ou qu'il faudrait des années pour essayer). Les ordinateurs quantiques fonctionnent sur des bits quantiques ou qubits que l'on considère comme l’unité d’information quantique, ce qu’est le bit pour l’ordinateur classique.
L’état quantique des qubits peut avoir plusieurs valeurs. Contrairement aux bits binaires des ordinateurs traditionnels, qui prennent la valeur 0 ou 1, les qubits occupent ce que l'on appelle la superposition quantique - un état non défini et non mesuré qui peut effectivement représenter à la fois 0 et 1 dans le contexte d'une opération mathématique plus large. En théorie, les performances de calcul d’un ordinateur quantique croient de façon exponentielle à mesure que le nombre de qubits pouvant être manipulés croît. Dans cet ordre d'idée, l'on estime que les ordinateurs quantiques pourraient à l'avenir être capables de craquer l'algorithme de chiffrement RSA.
Bien sûr, cela nécessiterait des millions, voire des milliards de qubits. Cependant, seules quelques dizaines de milliers d'entre eux seraient utilisés pour le calcul (qubits logiques) ; le reste serait nécessaire pour la correction des erreurs, afin de compenser la perte d’états quantiques. Et selon le physicien quantique Sankar Das Sarma, directeur du Condensed Matter Theory Center de l'université du Maryland, au College Park, les systèmes de qubits dont nous disposons aujourd'hui constituent une formidable réussite scientifique, mais ils ne nous rapprochent pas d'un ordinateur quantique capable de résoudre un problème qui intéresse tout le monde.
« C'est comme si l'on essayait de fabriquer les meilleurs smartphones d'aujourd'hui avec des tubes à vide du début des années 1900. Vous pouvez assembler 100 tubes et établir le principe selon lequel si vous parveniez à en faire fonctionner 10 milliards ensemble de manière cohérente et continue, vous pourriez réaliser toutes sortes de miracles. Il a fallu 60 ans d'ingénierie très difficile pour passer de l'invention des transistors au smartphone, sans qu'aucune nouvelle physique n'intervienne dans le processus », a-t-il fait comme analogie. La correction d'erreurs quantiques est un phénomène appelé "décohérence".
C'est un processus visant à compenser le fait que les états quantiques disparaissent rapidement en raison du bruit ambiant. Selon Sankar, en 1994, les scientifiques pensaient que cette correction d'erreur serait facile, car la physique le permet. Mais en pratique, elle est extrêmement difficile. Ainsi, empêcher la décohérence constitue un énorme enjeu pour les ordinateurs quantiques, dont le principe repose sur le stockage à long terme d’états quantiques. La grande difficulté à se débarrasser de la décohérence a conduit à l'impressionnant acronyme NISQ (noisy intermediate scale quantum) computer.
C'est une idée selon laquelle de petites collections de qubits physiques bruyants pourraient faire quelque chose d'utile et de mieux qu'un ordinateur classique. Jusqu'à présent, de nombreuses idées autour du NISQ auraient été proposées pour résoudre ce problème, mais Sankar les traite de chimères.
Même les grandes entreprises manquent de succès face à la décohérence
Microsoft travaillerait sur l'une de ces approches : l'informatique quantique topologique. Mais il s'avère que le développement d'un matériel d'informatique quantique topologique constitue également un énorme défi. « On ne sait pas encore si la correction d'erreurs quantiques extensive ou l'informatique quantique topologique (ou autre chose, comme un hybride entre les deux) sera le vainqueur final », a déclaré Sankar. Selon lui, Google aurait également mené une expérience sur certains aspects prédits de la dynamique quantique (cristaux de temps), mais elle n'aurait montré aucun avantage par rapport aux ordinateurs classiques.
Elle n'aurait pas non plus révélé quoi que ce soit sur la physique fondamentale des cristaux de temps. D'autres triomphes du NISQ seraient des expériences récentes de simulation de circuits quantiques aléatoires, là encore une tâche hautement spécialisée sans aucune valeur commerciale. « L'utilisation du NISQ est certainement une excellente idée de recherche fondamentale - elle pourrait aider la recherche en physique dans des domaines fondamentaux tels que la dynamique quantique. Mais à cause du battage médiatique constant autour du NISQ par diverses startups d'informatique quantique, le potentiel commercial est loin d'être clair », a déclaré Sankar.
En outre, le physicien estime que l'idée selon laquelle l'on pourrait utiliser les ordinateurs quantiques dans la conception de médicaments "est une application déconcertante étant donné que la chimie quantique ne représente qu'une partie minuscule de l'ensemble du processus". Il estime également que les affirmations selon lesquelles les ordinateurs quantiques à court terme seront utiles dans le domaine de la finance laissent tout aussi perplexe. Dans son argumentaire, le physicien a remis en cause plusieurs autres affirmations des entreprises d'informatique quantique. Il s'indigne du fait que ces dernières s'adonnent à la publicité mensongère.
« Aucun article technique ne démontre de manière convaincante que les petits ordinateurs quantiques, sans parler des machines NISQ, peuvent conduire à une optimisation significative du trading algorithmique ou de l'évaluation des risques ou de l'arbitrage ou de la couverture ou du ciblage et de la prédiction ou du trading d'actifs ou du profilage des risques. Cela n'a toutefois pas empêché plusieurs banques d'investissement de prendre le train de l'informatique quantique en marche », a déclaré Sankar. Il est d'accord pour dire que l'informatique quantique est effectivement l'un des développements les plus importants de la science.
Mais il a déclaré que l'"intrication" et la "superposition" "ne sont pas des baguettes magiques que l'on peut agiter et qui vont transformer la technologie dans un avenir proche". « La mécanique quantique est effectivement bizarre et contre-intuitive, mais cela ne garantit pas en soi des revenus et des bénéfices », a-t-il ajouté. Sankar condamne le fait que le battage médiatique autour de l'informatique quantique a convaincu les gens que ces systèmes existent déjà ou sont tout proche. Et en réponse à la question de savoir quand ces machines pourraient arriver, il a répondu : « il est impossible de prédire l'avenir de la technologie - elle se produit quand elle se produit ».
« On pourrait essayer de faire une analogie avec le passé. Il a fallu plus de 60 ans à l'industrie aéronautique pour passer des frères Wright aux gros porteurs transportant des centaines de passagers sur des milliers de kilomètres. La question immédiate est de savoir où le développement de l'informatique quantique, tel qu'il se présente aujourd'hui, doit être placé sur cette ligne du temps. Est-ce avec les frères Wright en 1903 ? Les premiers avions à réaction vers 1940 ? Ou peut-être sommes-nous encore au début du 16e siècle, avec la machine volante de Léonard de Vinci ? Je n'en sais rien. Et personne d'autre ne le sait », a-t-il conclu.
Source : Sankar Das Sarma
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Pensez-vous que l'informatique quantique n'est qu'une bulle permettant aux entreprises de s'enrichir sur le dos de leurs clients ?
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