Stockholm Exergi conclut avec Microsoft le plus important contrat d'élimination permanente du carbone au monde,
une pratique qui fait l'objet de controverse
La société suédoise d’énergie Stockholm Exergi a annoncé un accord de suppression permanente du carbone avec Microsoft, le plus grand jamais conclu à ce jour. L’accord, qui couvre la suppression de 3,33 millions de tonnes de carbone grâce à la bioénergie avec capture et stockage du carbone (BECCS pour bio-energy with carbon capture and storage) à Värtan, Stockholm, représente une étape majeure dans les efforts mondiaux pour atténuer les effets du réchauffement climatique. Les certificats de suppression du carbone seront livrés à Microsoft à partir de 2028 et ce pendant une période de dix ans.
Le réchauffement climatique est un problème évident qui nécessite des solutions au plus vite pour limiter ses dégâts sur l’environnement. Les entreprises technologiques ont contribué à l’augmentation du taux des gaz à effet de serre dans l’atmosphère et se doivent ainsi de réparer leur tort.
La réduction des émissions de gaz à effet de serre se retrouve de plus en plus dans les principaux objectifs des entreprises technologiques. La consommation électrique de ces entreprises représente une grosse source d’émission de carbone dans la nature. Toutefois, elles comptent (avec l'IA, doit-on conjuguer au passé ?) désormais adopter des pratiques énergétiques saines en exploitant des énergies 100 % renouvelables. Les entreprises comme Apple se vantent d’être neutres en carbone depuis quelques années déjà, mais en 2020, Microsoft envisageait déjà un plan sur plusieurs décennies.
« D'ici à 2030, Microsoft sera négative en carbone, et d'ici 2050, Microsoft éliminera de l'environnement tout le carbone que l’entreprise a émis soit directement, soit par sa consommation électrique depuis qu’elle a été créée en 1975 », a indiqué Microsoft dans un billet de blog. Le plan comprend la création d'un fonds d'innovation climatique, qui investira 1 milliard de dollars au cours des quatre prochaines années pour accélérer le développement de la technologie d'élimination du carbone. Comment Microsoft compte-t-il arriver à un tel résultat ?
Dans son billet, la société a annoncé qu’elle y parviendra grâce à un portefeuille de technologies à émissions négatives (NET pour negative emission technologies) qui comprend potentiellement le boisement et le reboisement, la séquestration du carbone dans le sol, la bioénergie avec capture et stockage du carbone (BECC) et la capture directe de l'air (CDA). Les entreprises technologiques américaines ont chacune continué à entreprendre des actions de leur côté même après que Donald Trump s’est retiré des accords de Paris sur le climat.
La plupart des grandes sociétés américaines avaient manifesté leur mécontentement par rapport à ce retrait. En juin 2017, elles ont rejoint un mouvement visant à rester dans les accords de Paris malgré la décision de Trump. Cette démarche de Trump a été perçue comme nuisible à la cause commune. « Nous devons commencer à compenser les effets néfastes du changement climatique », a estimé le PDG de Microsoft Satya Nadella, ajoutant que si les températures mondiales continuent à augmenter sans cesse, « les résultats seront dévastateurs ».
C'est dans ce contexte (BECC) que Microsoft a annoncé un partenariat avec la société suédoise d’énergie Stockholm Exergi
« L'accord avec Microsoft est un grand pas en avant pour notre projet BECCS, pour Stockholm Exergi en tant qu'entreprise et pour le climat. Il s'agit de la reconnaissance la plus forte possible de l'importance, de la qualité et de la durabilité de notre projet, et il nous rapproche considérablement d'une décision d'investissement finale au quatrième trimestre 2024. Je pense que cet accord inspirera les entreprises qui ont des objectifs ambitieux en matière de climat, et nous comptons annoncer d'autres accords avec d'autres entreprises pionnières au cours des prochains mois », a déclaré Anders Egelrud, PDG de Stockholm Exergi.
Brian Marrs, directeur principal de l’énergie et de la suppression du carbone chez Microsoft, a salué l’efficacité de la récupération de la chaleur issue de la capture du carbone et son intégration dans les réseaux de chauffage urbain. Il a également mis en avant l’engagement de Stockholm Exergi en matière de source durable de biomasse pour les projets BECCS :
« Nous sommes extrêmement fiers d'annoncer ce contrat d'élimination du carbone avec Stockholm Exergi dans le cadre de son projet pionnier Värtan BECCS. L'exploitation des centrales électriques à biomasse existantes est une première étape cruciale dans la mise en place d'une capacité d'élimination du carbone à l'échelle mondiale. Dans ce cas, nous sommes satisfaits de l'efficacité de la récupération de la chaleur issue de la capture du carbone et de son intégration dans les réseaux de chauffage urbain. Enfin, il est essentiel de s'approvisionner en biomasse de manière durable pour les projets BECCS et nous avons été impressionnés par l'engagement de Stockholm Exergi à cet égard ».
En s’appuyant sur cette annonce, Stockholm Exergi prévoit de rechercher des aides d’État complémentaires et d’autres accords privés de suppression du carbone, nécessaires pour boucler le financement du projet1. Depuis 2020, Microsoft s’est fixé pour objectif d’être une entreprise à bilan carbone négatif d’ici 2030, en adoptant une stratégie de réduction des émissions en premier lieu, complétée par la construction d’un portefeuille d’accords d’achat de suppression de carbone1.
Pourquoi l'élimination du carbone de l'atmosphère est-elle si controversée ?
Les techniques d'élimination du carbone se présentent sous deux formes principales - technologique et naturelle - mais aussi, de plus en plus, sous la forme d'un mélange des deux.
Naturel
Comme ils le font depuis des centaines de millions d'années, les arbres aspirent le CO2 et séquestrent le carbone dans leurs tissus. L'idée derrière les « solutions basées sur la nature » est de protéger autant d'écosystèmes que possible, en particulier les zones humides et les forêts tropicales comme l'Amazonie, afin qu'ils puissent naturellement éliminer le carbone de l'atmosphère. Malheureusement, l'homme va dans la direction opposée : L'Amazonie est aujourd'hui tellement dégradée par la déforestation que certaines de ses parties passent du statut de puits de carbone à celui de source de carbone.
Technologique
La technologie dominante à l'heure actuelle est le captage direct de l'air, ou CDA (en anglais DAC). Il s'agit de machines géantes qui aspirent l'air et filtrent le CO2. Tout comme un purificateur d'air filtre la poussière de l'air intérieur, les installations de CDA débarrassent l'atmosphère de son carbone. Techniquement, l'élimination du carbone est différente de la capture du carbone, qui intercepte le gaz à la source, par exemple dans une centrale électrique, avant qu'il n'atteigne l'atmosphère.
Cependant, le CDA est une technologie naissante et elle est loin de fonctionner à l'échelle nécessaire pour réduire les émissions mondiales. En 2021, les chercheurs ont calculé qu'il faudrait un énorme investissement annuel représentant entre 1 et 2 % du produit intérieur brut mondial pour éliminer environ 2,3 gigatonnes de CO2 par an d'ici à 2050. À titre de comparaison, les émissions mondiales de CO2 s'élèvent actuellement à environ 40 gigatonnes par an et continuent malheureusement d'augmenter au lieu de diminuer. L'étude de 2021 a révélé qu'il faudrait entre 4 000 et 9 000 installations de CDA d'ici à 2075, et plus de 10 000 d'ici à 2100, pour séquestrer théoriquement jusqu'à 27 gigatonnes de carbone par an. (L'idée sous-jacente à ce développement rapide est qu'à mesure que la technologie et l'industrie progressent, il devient plus facile et moins coûteux de déployer davantage d'installations).
Le CDA pourrait donc jouer un rôle dans l'élimination du carbone de l'atmosphère, et son impact augmentera à mesure que nous cesserons d'émettre du carbone, puisqu'il y aura moins à nettoyer. Mais il faudra beaucoup d'argent. « Pourrions-nous passer assez rapidement de quelques millions de tonnes par an aujourd'hui à, disons, un milliard de tonnes par an en 2050 ? » a demandé Gregory Nemet, qui étudie les innovations faible en carbone à l'University of Wisconsin-Madison. « C'est là que je suis plus optimiste. Nous pourrions y arriver, mais c'est un défi. Cela ne change en rien notre politique actuelle, ni l'objectif que nous devrions nous fixer : Nous devons commencer très rapidement à réduire les émissions et les ramener à un niveau proche de zéro d'ici à 2050 ».
Même si le système CDA était massivement développé, il ne pourrait pas à lui seul nous sauver de nous-mêmes. S'il permet d'éliminer un milliard de tonnes de CO2 par an dans 30 ans, alors que l'homme continue d'émettre des dizaines de milliards de tonnes de ce gaz, c'est comme si l'on essayait de vider une baignoire alors que le robinet est encore ouvert. L'une des promesses de l'élimination du carbone est qu'elle pourrait contribuer à compenser les émissions futures des secteurs difficiles à supprimer, comme l'industrie sidérurgique, qui ont besoin d'énormes quantités d'énergie fossile pour fonctionner. Contrairement à une maison entièrement alimentée par l'énergie solaire, il n'est pas possible d'installer des panneaux sur ces usines et de s'en contenter.
Une approche hybride
Si l'élimination du carbone à l'aide du CDA est facilement quantifiable (les machines fonctionnent pendant x heures pour collecter y tonnes de gaz), la nature ne fonctionne pas de manière aussi ordonnée. Les scientifiques en sont encore à déterminer la quantité de carbone qui peut être stockée dans un écosystème donné - dans toutes les plantes et même dans le sol - et pendant combien de temps. Et si le CDA peut stocker le carbone sous terre, l'enfermant pour le long terme, le carbone naturel n'est pas aussi sûr. Si vous restaurez une forêt et qu'elle est ensuite détruite par des incendies de forêt - qui deviennent de plus en plus puissants à mesure que le climat se réchauffe - votre carbone retourne directement dans l'atmosphère.
Pour résoudre ce problème, les chercheurs adoptent des approches hybrides de l'élimination du carbone : l'ingénierie combinée à la nature. Dans le cas de « l'altération améliorée des roches », par exemple, on saupoudre de la poussière de basalte sur les champs avant d'y planter des cultures. La roche réagit au CO2 présent dans l'air et le séquestre sous forme de bicarbonate, qui est ensuite emporté par la mer. De même, la transformation des déchets de la biomasse en biochar et leur ajout aux sols permettent de séquestrer le carbone que la biomasse a elle-même extrait de l'atmosphère au cours de sa croissance. (Ailleurs, les chercheurs modifient les gènes des espèces d'arbres pour qu'ils poussent plus vite et captent donc le CO2 plus rapidement, ce qui pourrait donner un coup de fouet aux campagnes de plantation d'arbres).
Tout comme un bon investisseur diversifie son portefeuille pour ne pas perdre tout son argent en cas de faillite d'une entreprise, les spécialistes de la réduction des émissions de carbone diversifient leurs options. Si une technique ne s'étend pas suffisamment, d'autres le feront peut-être dans les décennies à venir. « Nous soutenons plusieurs voies, car chacune d'entre elles offre des avantages différents », explique Rubin, du Carbon Business Council. « Le biochar, par exemple, peut servir d'engrais pour les sols ».
Stratégie écologique ou tromperie ?
Microsoft affirme vouloir devenir neutre en carbone d’ici à 2030, mais son plan repose largement sur l’achat de crédits carbone et sur le soutien à des technologies d’élimination du carbone qui ne sont pas encore éprouvées ni régulées. Ainsi, Microsoft pourrait continuer à émettre du CO2 tout en se dédouanant de sa responsabilité en payant des tiers pour compenser ses émissions.
Cette pratique pourrait être considérée comme du greenwashing, car elle ne remet pas en cause le modèle économique et les pratiques de Microsoft, mais se contente de les maquiller en vert. De plus, Microsoft pourrait profiter de son image écologique pour attirer des clients et des investisseurs soucieux de l’environnement, sans pour autant leur garantir des produits et des services réellement respectueux du climat et de la biodiversité.
Le Comité économique et social européen (CESE) reconnaît le rôle des technologies d’élimination du dioxyde de carbone (EDC) dans la décarbonation de l’industrie européenne, mais il appelle à une approche prudente et équilibrée. Il met en garde contre les risques de dépendance vis-à-vis de l’EDC, qui ne doit pas se substituer aux efforts de réduction des émissions à la source. Il insiste également sur la nécessité d’évaluer les impacts environnementaux et sociaux des différentes technologies d’EDC, ainsi que de les encadrer par des politiques publiques adaptées.
Source : BECCS
Et vous ?
Que pensez-vous de façon générale de la capture directe de l'air ?
Quelles implications cet accord a-t-il pour les autres entreprises technologiques ? Devraient-elles suivre l’exemple de Microsoft en matière d’engagements environnementaux ?
Comment la technologie BECCS pourrait-elle être améliorée pour devenir plus accessible et économiquement viable pour d’autres villes ou pays ?
Quel rôle les consommateurs peuvent-ils jouer pour soutenir ou encourager de telles initiatives de suppression du carbone ?
En quoi cet accord pourrait-il influencer les politiques gouvernementales sur la capture et le stockage du carbone ?
Quels sont les défis potentiels que Stockholm Exergi pourrait rencontrer dans la mise en œuvre de ce projet, et comment pourraient-ils être surmontés ?
Quelle est l’importance de la source durable de biomasse pour les projets BECCS et comment peut-on garantir sa durabilité à long terme ?
Comment cet accord s’inscrit-il dans les objectifs plus larges de l’Accord de Paris et quel impact pourrait-il avoir sur les efforts mondiaux pour limiter le réchauffement climatique ?
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