Un professeur de l'université de New York appelle à démanteler les géants de la tech
Les GAFA sont-ils devenus beaucoup trop puissants ?

Google, Apple, Facebook et Amazon occupent la tête du peloton des marques les plus appréciées du monde. Les GAFA comme on les appelle ont connu un succès effroyable, révolutionné l’univers numérique et continuent de maintenir la capacité de réinventer les usages de l’informatique de demain.

Mais qui dit pouvoir accru dit aussi responsabilité accrue ; au cours des années, de plus en plus de voix ont commencé à s’élever contre ces géants du numérique et leur hégémonie grandissante que ça soit aux États-Unis ou en Europe. Pour leurs activités en Europe, les géants de l’Internet ont en commun de transférer l’essentiel de leurs profits en Irlande, où ils peuvent bénéficier du taux d’imposition sur les sociétés le plus faible de l’UE. Ainsi, il est estimé que Google et Facebook auraient fait perdre 5,4 milliards € en revenus fiscaux à l'UE entre 2013 et 2015, à cause des mesures d'optimisation fiscale. Apple a été sommé par la Commission européenne de verser une somme de 13 milliards d’euros à l’Irlande pour avantages fiscaux illégaux. De même, Amazon a été condamné à payer 250 millions d'euros au Luxembourg après que la CE a déclaré que le détaillant en ligne avait reçu également des avantages fiscaux illégaux.

Outre-mer également, l’opinion publique concernant les géants du net a vite dévié, notamment sur la question de l’optimisation fiscale puis récemment sur les fake news. Pour se rendre compte de ce changement, il suffit d’entendre le discours de Scott Galloway, un professeur de l’université de New York qui a pendant longtemps fait l’éloge des géants du numérique ; il a même rédigé un livre dans lequel il explique comment fonctionnent ces entités et l’écosystème qu’elles ont créé.

Durant les deux dernières années, Galloway a tenu des conférences dans la DLD Conference, un événement tenu à Munich. Ses vidéos ont connu un certain succès sur YouTube et une vidéo a même dépassé un million de vues. Dans ces conférences, Galloway a répété toutes les louanges qu’il prodigue aux géants de la tech, après tout, il a empoché des bénéfices en investissant dans leurs actions, et certains sont même ses clients comme il a tenu d’informer.

Mais cette année, Galloway est retourné au DLD pour tenir un discours bien différent à l’égard des GAFA, sa conférence a été intitulée « L’éclatement de la grande tech » (The breakup of big tech). En effet, au lieu des louanges, le professeur s’est montré plus vigilant cette fois et n’a pas dédaigné critiquer certaines facettes de ces sociétés.

« Ça a commencé comme une histoire d’amour. Juste pour être clair, » dit-il. « J’adore ces firmes, » puis il s’est attaqué au fond du sujet. « Après avoir passé les deux dernières années à essayer de les comprendre et leur relation dans l’écosystème, je suis devenu convaincu à 100 % qu’il est temps de démanteler ces entreprises. »

La déclaration de Galloway est assez surprenante, surtout qu’elle vient d’un fervent admirateur des géants de la tech. Mais il défend ce changement radical de point de vue, pour lui, il est clair que ces firmes sont devenues trop géantes et trop puissantes.

« L’idée de mon livre est qu’Amazon, Apple, Facebook et Google sont devenus nos nouveaux dieux, notre nouvelle source d’amour, nos nouveaux dieux de consommation, » dit-il. « Et du fait de leur capacité à tirer profit de ces instincts très primaires, ils ont cumulé plus de capitalisation de marché que le PIB d’une nation… Je pense que ces entités sont plus puissantes que toute autre entité, à l’exception peut-être de la Chine et les États-Unis. »

Pour défendre sa position, Galloway a cité plusieurs raisons, toutefois, il a tenu à faire savoir qu’elles ne découlent pas d’arguments émotionnels qu’on entend parfois sur ces firmes. Le professeur pense qu’ils propagent les fake news, une raison légitime pour être furieux contre elles selon lui.

« Cette idée que nos plateformes ont été exploitées par une unité de renseignement étrangère adversaire a été ridiculisée au début par Facebook, ils pensaient qu’on était fou de penser à ça. Puis on a constaté que c’était des millions de gens, et maintenant on est en train de trouver que des centaines de millions de gens ont été exposés. »

Puis Galloway a commencé à parler de l’impact des réseaux sociaux, arguant que les adolescents devraient être prohibés d’utiliser ces médias avant l’âge de 18 ans.

« Voici le classement des personnes les plus puissantes de Forbes, » dit-il. C’est une insulte aux Américains. La personne la plus puissante du monde est incontestablement Mark Zuckerberg. Il peut contrôler votre humeur, promouvoir ou décrier un produit. Il a même le pouvoir de tuer toute entreprise de technologie, ajoute-t-il.

Pour Galloway, si Facebook a été une entreprise qui vend des glaces, son directeur ne serait pas invité à s’asseoir à côté du président des États-Unis lors de meetings en Silicon Valley, surtout que cette glace rend les adolescents plus déprimés ou même suicidaires.

Le professeur de NYC explique aussi que ces firmes tentent d’éluder leur responsabilité, en clamant qu’elles sont neutres, ou parfois qu’elles sont là pour donner le pouvoir aux gens sans plateforme. Et même quand elles sont fautives, elles disent qu’elles doivent faire mieux, « c’est-à-dire qu’on sait que ce qu’on fait n’est pas correct et nous n’avons aucune intention de nous occuper de ce problème, » ironise-t-il.

Malgré cette réalité, Galloway pense qu’il ne faut pas blâmer ces firmes, malgré tout, elles sont là pour engranger les profits et c’est exactement ce qu’elles font. Il pense qu’il faut blâmer plutôt les utilisateurs. C’est eux qui ne choisissent pas d’élire des politiciens qui voudraient examiner et corriger cette situation, de ce fait, les citoyens semblent approuver les choses.

Malgré tout ce qu’il a cité auparavant, Galloway pense qu’il faut les démanteler pour une tout autre raison, elles ont rendu les marchés non compétitifs.

« Les marchés sont en train d’échouer, » dit-il. « La clé d’un marché compétitif est qu’aucune firme n’ait beaucoup trop de pouvoir. Et là on a largement dépassé cette situation. »

Galloway a cité l’exemple d’Amazon qui se prépare à choisir la ville qui va accueillir son deuxième siège. Pour attirer le géant de l’e-commerce, les villes ont commencé à vanter leurs mérites et ont même proposé une fiscalité réduite. « Les gouvernements ont décidé d’abandonner leurs responsabilités civiques et autorités fiscales au profit du géant de Seattle, » a dit Galloway.

Puis le professeur a commencé à parler du PDG d’Amazon Jeff Bezos. Ce dernier sait qu’avec tout le pouvoir qu’a son entreprise, de mauvais regards vont commencer à surgir, c’est pourquoi il a racheté le Washington Post et a considérablement élargi l’équipe de lobbying de la firme à Washington.

Puis Galloway a attaqué Google qui continue de contrôler le marché de la recherche et prioriser ses services, un avis que partage la Commission européenne qui a accusé le géant de la recherche auparavant d’abus de position dominante. En ce qui concerne Facebook, ils contrôlent la plupart des applications les plus populaires sur mobile, maintenant « ils possèdent votre téléphone. » « Votre mobile est un véhicule de livraison pour Facebook, » dit-il, une situation qui a étouffé la compétition comme Snap.

Pour Galloway, le rôle de la technologie a changé, ces firmes ne sont plus là pour résoudre des problèmes comme auparavant. Malgré la technologie que nous possédons aujourd’hui, ceux qui sont les meilleurs et les plus brillants en Silicon Valley ne sont là que pour vendre.

Pour cette raison, il pense que les démanteler va encourager plus de compétition, ce qui va créer plus d’emplois, une base taxable plus large et plus d’innovations. Il n’y a qu’à voir l’affaire du Département de justice américaine contre Microsoft vers la fin des années 90. La firme a été ordonnée d’arrêter de tuer la compétition, surtout de petites entreprises. « Sinon, Google ne serait jamais né, » ajouta-t-il.

Le professeur sait que ces firmes devenues si puissantes vont tout faire pour empêcher tout contrôle, et traiter leurs détracteurs de tous les mots et les accuser qu’ils ont peur de la compétition et l’innovation. C’est pour ça qu’il rappelle que la réalité est tout à fait le contraire.

« On ne veut pas les démanteler parce qu’ils sont méchants, » dit-il. « C’est faux. Ils ne sont pas plus et pas moins méchants que nous. On ne veut pas les démanteler parce qu’ils évitent de payer les impôts. C’est notre mission de leur demander de rendre des comptes. On ne veut pas les démanteler parce qu’ils détruisent des emplois… on veut les démanteler, car on est capitalistes et il est grand temps. »


George Soros : Facebook et Google sont une menace pour la société

Tout comme le professeur Scott Galloway, Georges Soros pense que Facebook et Google sont devenus « des obstacles à l’innovation » et une « menace » pour la société dont « les jours sont comptés », a dit le milliardaire et philanthrope américain d'origine hongroise au Forum économique mondial à Davos.

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George Soros

« Les compagnies minières et de pétrole exploitent l’environnement physique ; les sociétés de médias sociaux exploitent l’environnement social, » a dit l’homme d’affaires. « Ceci est particulièrement néfaste parce que les médias sociaux influencent la manière de penser des gens et leur comportement sans qu’ils soient conscients de cette influence. Cela a des conséquences de grande portée sur la démocratie, particulièrement sur l’intégrité des élections. »

En plus d’affecter la démocratie, les médias sociaux « trompent leurs utilisateurs en manipulant leur attention et en la dirigeant pour servir leurs propres objectifs commerciaux » et « mettre en place délibérément l’addiction aux services qu’ils fournissent ». Ce dernier point peut être très dangereux, particulièrement pour les adolescents.

« Le pouvoir de façonner l’attention des gens est de plus en plus concentré dans les mains de quelques entreprises. Il faut un grand effort pour faire valoir et défendre ce que John Stuart Mill a appelé ‘la liberté de conscience’. Celle-ci une fois perdue, les gens qui ont grandi dans l’ère du numérique vont avoir des difficultés à récupérer cette liberté. Cela peut avoir des conséquences politiques de grande portée. »

Soros a averti de l’existence d’une menace encore plus alarmante dans l’horizon, celles des firmes comme Facebook et Google qui ont allié leurs systèmes de surveillance avec ceux des États, une tendance qui émerge déjà dans des pays comme les Philippines.

« Cela peut résulter en un contrôle totalitaire que même ceux comme Aldous Huxley ou George Orwell n’auraient pas pu imaginer, » dit-il.

Selon Soros, ces firmes qui sont des monopoles devenus encore plus puissants ne vont pas changer sans régulation.

« Les monopoles d’Internet n’ont ni la volonté ni l’envie de protéger la société contre les conséquences de leurs actions. Ils se sont transformés en menace et c’est le rôle des autorités de régulation de protéger la société contre eux, » a dit Soros, qui prévient aussi que les jours sont comptés désormais.

Source : Vidéo(YouTube) - The Guardian

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