Le job en or caché du candidat Fillon : Encore un emploi fictif ?
Comment encaisser discrètement la corruption des lobbies ou autres

<< François Fillon est depuis 2012 senior advisor et membre du comité stratégique du groupe Ricol Lasteyrie, qui conseille de nombreuses sociétés du CAC 40 et multinationales. Ce que le candidat à la présidentielle n'a jamais déclaré publiquement. Ce job lui a rapporté au moins 200 000 euros en quatre ans et demi. Il n'en a toujours pas démissionné.

François Fillon cultive un secret qui est en train de devenir son pire ennemi. Depuis le printemps 2012, date à laquelle il a quitté Matignon, le député de Paris est devenu, en toute discrétion, senior advisor du groupe Ricol Lasteyrie, qui conseille de nombreuses sociétés du CAC 40 et multinationales (Air France, Alstom, BPCE, EDF, Engie, Altran…). Il en est aussi depuis la même époque membre du comité stratégique, la structure chargée de réfléchir aux destinées de l’entreprise. Ce que François Fillon n'a jamais déclaré publiquement.

Candidat à l'élection présidentielle, il n'a toujours pas démissionné à ce jour de ses fonctions au sein du groupe Ricol Lasteyrie, qui lui rapporte depuis quatre ans et demi de copieux émoluments. Le vainqueur de la primaire de la droite touche une rémunération annuelle comprise « entre 40 000 et 60 000 euros », selon le dirigeant René Ricol, rencontré par Mediapart dans la matinée du 1er février. Soit l’équivalent de 200 000 euros environ pour des « missions de conseil » qui restent, pour l’heure, encore assez floues.

Interrogé sur la nature des prestations de l'ancien premier ministre, René Ricol a déclaré : « François Fillon nous a aidés à réfléchir aux défis de la globalisation. »

Les sommes sont perçues par l'intermédiaire d'une société de conseil créée par François Fillon, baptisée 2F Conseil, comme le rapporte également le quotidien Le Monde. Sa société de conseil balaie un spectre d'expertise particulièrement large, à en croire ses statuts consultés, par Mediapart : « La Société a pour objet, tant en France qu’à l’étranger, directement ou indirectement : le conseil, l’assistance, la formation, la réalisation d’études, de veille , d’audit, d’analyses ou de prestations, dans tous les domaines, notamment de la finance, du droit, de l’économie, des affaires privées, des affaires publiques, du commerce, de l’éducation, de l’environnement, de l’organisation, du management, de la gestion commerciale, administrative ».

Si François Fillon a bien été obligé de reconnaître ses activités de conseil, qui lui ont rapporté en tout près de 600 000 euros de salaire net en quatre ans et demi – comme l’avait révélé Le Canard enchaîné –, il s'est toujours gardé de révéler l'identité de ses clients. Et pour cause : ses activités sont susceptibles de générer d'importants conflits d'intérêts pour un homme qui prétend devenir président de la République.

François Fillon connaît bien son “employeur” René Ricol, puisque ce dernier était chargé de distribuer les milliards du grand emprunt quand M. Fillon était à Matignon.

Lorsque le candidat de droite à la présidentielle crée sa société de conseil, dont il est l’unique associé, en juin 2012 – quelques jours avant de devenir député –, il la domicilie d’ailleurs dans les locaux du cabinet de René Ricol, avenue Hoche, dans les beaux quartiers à Paris. « Il était dans la Sarthe et n’avait pas de locaux à Paris, cela n’a duré que quelques mois », assure René Ricol.

Pourquoi avoir fait appel à l’ex-premier ministre pour ce poste généralement confié à des dirigeants d’entreprise en fin de carrière désireux de continuer à maximiser leurs réseaux ? Selon le cabinet Ricol, ce n’était pas du tout pour son carnet d’adresses. « Il ne nous a apporté aucun client et n’a jamais mis les mains dans notre business », précise le dirigeant qui compte aussi parmi ses clients des enseignes telles que L’Oréal, Alstom, EDF, LVMH, Veolia, Thales, Danone, PSA, Bouygues, Altran, BPCE, la Poste, HSBC, Orange…

À quoi donc Fillon a-t-il été payé ? « Avec la globalisation, nous nous posions des questions sur la stratégie du cabinet avec des clients de plus en plus demandeurs d’expertises à travers le monde. François Fillon nous a aidés à réfléchir à tout cela », se justifie René Ricol pour qui l’ex-premier ministre a « fait le job ».

Trois ans après avoir recruté Fillon comme senior advisor, le cabinet de conseil décidait de se rapprocher du géant Ernst&Young, l’un des poids lourds du secteur. « Il nous a aidés à prendre cette orientation et suit désormais la mise en œuvre de ce rapprochement », confie René Ricol, qui tient à défendre la consistance des prestations fournies par François Fillon, déjà pris dans les soupçons d'emplois fictifs de son épouse Penelope et de ses enfants. Une explication qui laisse songeur : des connaisseurs du secteur, interrogés par Mediapart, se disent surpris de l'utilité d'un ancien chef de gouvernement pour ce type de rapprochement.

Selon le cabinet Ricol, le consultant de luxe Fillon était payé « dans la moyenne de nos senior advisors », parmi les quatre à six du genre que le cabinet compte. « Ce n’est pas une somme énorme, si Fillon avait voulu se faire beaucoup d’argent il serait allé dans la banque », croit savoir René Ricol.

L’avantage de ce statut de senior advisor est qu’il est « particulièrement souple », détaille un consultant. « Il n’y a strictement aucune obligation de présence, on est dans la production de conseils. Ce n’est pas forcément très chronophage », poursuit-il.

Selon René Ricol, Fillon, qui n’avait pas de bureau dans la société, aurait « assisté à une trentaine de réunions » depuis le début de cette collaboration, en 2012. Le candidat à la présidentielle de la droite était d’ailleurs attendu ce 30 janvier dans les locaux de la boîte de conseil mais n’est finalement jamais venu. Ce jour-là, le consultant Fillon était entendu par la police sur l’emploi présumé fictif de sa femme Penelope.

« De toute façon, nous pensions mettre un terme à cette collaboration mais nous n’avons toujours pas reçu sa lettre de démission », explique René Ricol quand on lui objecte que depuis plusieurs mois leur consultant n’avait sans doute pas beaucoup de temps à leur consacrer dans la mesure où il était candidat à l'élection présidentielle.

Depuis l'affaire Cahuzac, les parlementaires sont tenus de déclarer scrupuleusement leurs liens d'intérêts et activités extérieures à leur mandat. Astucieusement, François Fillon, en s'abritant derrière le paravent de sa société de conseil, évite de dire qui sont ses véritables clients. Une position difficilement tenable lorsqu'on aspire aux plus hautes fonctions de l'Etat. Source >>