Révélations sur les millions d’euros siphonnés par des sénateurs UMP
<<Confrontée depuis deux ans à une affaire de détournements de fonds publics, la droite sénatoriale serre les dents, espérant la circonscrire à une poignée de cas individuels. En réalité, le scandale est systémique et des millions d'euros ont été détournés de leur objet initial entre 2003 et 2014. Révélations sur un « casse » inédit.
Il n’y a pas que les dealers de shit qui créent un argot imagé pour tromper la police et euphémiser leurs délits. Pendant des années, au sein du groupe UMP du Sénat, on s’est aussi inventé des noms de code en pagaille, entre soi, pour évoquer l’indicible. Entre 2003 et 2014, sous les dorures de la République, on parlait ainsi de « ristournes » (ou « pizzas »), de la tradition des « étrennes » ou des « bouilleurs de cru ». Derrière ces mots désuets, presque gentillets, se cachaient des rallonges sonnantes et trébuchantes.
Chacun de ces termes désignait en fait un dispositif mis en place au sein du groupe UMP pour détourner des millions d’euros de subventions publiques de leur objet initial, au profit d’élus qui les encaissaient en plus de leurs indemnités légales.
Jusqu’ici, seul le rituel des « étrennes » (8 000 euros par tête à Noël, soit 15 millions d’euros sur douze ans) avait été détaillé par Mediapart . Ce n’était pas le plus scandaleux. D’après nos informations, une partie des sénateurs UMP a bénéficié en parallèle du système des « ristournes » et de celui des « bouilleurs de cru », qui ont permis à des dizaines de parlementaires d’empocher des chèques à répétition (souvent des milliers d’euros par trimestre) pour un usage totalement discrétionnaire, y compris leur train de vie personnel. D’après nos estimations, les fonds publics ainsi redistribués ont sans doute dépassé les 10 millions d’euros sur douze ans, au bas mot.
Pour reconstituer cet alambic à plusieurs branches, ce goutte-à-goutte clandestin, il nous aura fallu des mois d’une enquête fondée sur des témoignages et des liasses de documents comptables (relevés bancaires, photocopies de chèques, courriers, etc.). Le calcul s’avère d’autant plus difficile que les « règles » appliquées au sein du groupe UMP ont varié au fil des ans et des humeurs des chefs, au gré des chantages politiques aussi. Quel que soit le butin exact, ce casse « tranquille » a été rendu possible par l’absence totale de garde-fou au sein du palais du Luxembourg.
Jusqu’en 2015, le Sénat a en effet prodigué quelque 10 millions d’euros par an à ses « groupes politiques » (structures chargées d’organiser le travail collectif entre élus d’une même étiquette, de salarier des collaborateurs, d’acheter des conseils extérieurs, etc.), sans qu’aucun contrôle sur leurs dépenses ne soit esquissé, ni leurs comptes publiés.
Aujourd’hui, seule une partie des faits se retrouve dans le viseur des juges d’instruction René Cros et Emmanuelle Legrand, chargés d’enquêter sur des soupçons de « détournements de fonds publics » et de « recel », à cause des délais de prescription et des difficultés à saisir certains abus pénalement. Malgré tout, les convocations ne cessent de pleuvoir. Alors que cinq personnes sont déjà mises en examen (deux parlementaires en poste et un ex-sénateur, ainsi que deux anciens collaborateurs du groupe UMP), d’autres élus devraient être interrogés dans les prochaines semaines, dont plusieurs ténors de droite.
Au-delà du scandale financier, cette affaire révèle, comme aucune autre, la médiocrité d’un personnel politique qui a couru après les « petits » arrangements de coulisse pour arrondir ses fins de mois, si enkysté dans ses mandats qu’il a perdu de vue la frontière entre argent public et privé. Pire : la plupart des bénéficiaires n’ont jamais compris que loin de contrôler ce système, ce système les tenait.
Le privilège des « bouilleurs de cru » :
Toute l’affaire commence en novembre 2002, lorsque Alain Juppé et Jacques Chirac créent l’UMP pour rassembler « toutes les droites ». Au Sénat, il s’agit de fusionner trois groupes rivaux : celui du RPR (gaulliste), celui des « Républicains et indépendants » (giscardien libéral) et l’« Union centriste ». Sur le plan financier, les négociations sont tendues.
Pour permettre au groupe UMP de démarrer, chacun daigne verser une partie de son trésor de guerre au pot commun. Mais les anciens RPR et RI (Républicains indépendants), pilotés respectivement par un duc et un marquis, Josselin de Rohan et Henri de Raincourt, disposent encore de millions d’euros de réserves. Qu’en faire ? Le bon sens voudrait, s’agissant de fonds publics, qu’ils soient remis à la trésorerie du Sénat. Au contraire, un pacte est conclu pour taire l’existence de ces cagnottes, placées sur des comptes ad hoc. Dès lors, certains ténors de la droite sénatoriale pourront y piocher sans avoir de comptes à rendre à personne, ni à l’institution, ni à la base du groupe UMP d’ailleurs – nous y reviendrons.
Mais en ce mois de décembre 2002, les tractations ne s’arrêtent pas là. Des sénateurs « non gaullistes », inquiets à l’idée de perdre leur identité, d’être engloutis par la machine RPR, rechignent et posent leurs conditions. Ils savent que l’État finance les partis politiques en fonction du nombre de parlementaires qui s’y rattachent – plus de 30 000 euros par signature. Contre leur adhésion à l’UMP, alors présidée par le gaulliste Alain Juppé, les sénateurs RI et centristes exigent qu’une partie des fonds publics alloués au parti leur revienne chaque année dans les poches, officiellement pour des activités politiques de terrain. Le « deal » est immoral ? Il est pourtant scellé.
Entre 2003 et 2008, le trésorier de l’UMP, Éric Woerth, va ainsi rétrocéder une somme astronomique de 4 à 5 millions d’euros aux sénateurs issus des rangs RI et centristes (ainsi que quelques autres chapelles). Dans un courrier de septembre 2007 en possession de Mediapart, Éric Woerth évoque noir sur blanc un « soutien financier » versé « à hauteur de 13 720 euros par an et par sénateur ». Sollicité par Mediapart, il n’a pas répondu à nos questions.
L’argent ne leur est pas viré directement mais transite par le groupe UMP du Sénat, puis une association créée pour l’occasion : l’URS (Union républicaine du Sénat), une sorte d’amicale présidée par le chef de file des RI (Henri de Raincourt), avec un centriste pour trésorier (André Dulait).
Par exception, quelques « ayants droit » refusent-ils d’entrer dans la danse ? Possible. Que fait la grande majorité de son argent ? Ce que bon lui semble. Rapidement, ces dizaines de bénéficiaires acquièrent le surnom de « bouilleurs de cru », en référence aux campagnards ayant obtenu le droit de distiller de l’alcool sans payer de taxes – un privilège attribué une fois pour toutes et appelé à s’éteindre avec eux. Ici, c’est la même chose : seuls les sénateurs RI et centristes élus avant 2002 seront servis. D’après nos informations, les versements ont finalement cessé en 2009.
Aujourd’hui, les uns et les autres voudraient faire croire que cet argent a financé exclusivement « des activités locales », « des journaux », « des repas de maires », sans compter « des associations » dont personne ne veut livrer le nom – des pratiques souvent clientélistes, destinées à faire bouillir la marmite des « grands électeurs »… En réalité, en l’absence de surveillance et de la moindre consigne, ce trésor a aussi couvert moult dépenses à caractère privé. « Je vois bien, peut-être, qu’il y a eu des excès, admet un ponte du centrisme. Mais je n’étais pas contrôleur, je n’ai pas de jugement à porter sur ce que des collègues ont pu faire. »
Interrogé par Mediapart, l’ancien patron du groupe UMP de 2002 à 2008 Josselin de Rohan, issu des rangs RPR donc plus loquace, reconnaît que ce système « n’était pas normal ». « Mes amis [gaullistes – ndlr] et moi ne touchions pas cet argent, jamais, j’y ai veillé, clame-t-il auprès de Mediapart. Avec Woerth, nous avions demandé que ça cesse. » « Ça » a pourtant duré six ans. ..
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Heureusement c'est fini l'UMP n'existe plus, ouf, maintenant on risque plus rien avec les Ripoublicains![]()
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