Adobe : « Plus il y a de développements en HTML, plus il y a d'opportunités pour Flash »
Entretien avec Ben Forta, Director of Platform Evangelism
L’édition 2011 d’Adobe MAX s’est clôturée le 5 octobre dernier à Los Angeles. Deux semaines plus tard, Adobe est revenu à Paris sur les points importants de cette manifestation qui a surpris bon nombre de développeurs.
De passage en France, l'occasion était trop belle d'interroger Ben Forta, Director of Platform Evangelism. Les sujets ne manquaient pas : le Cloud naissant d'Adobe, le HTML 5 et Flash, le soutien du W3C, Apple, le développement mobile, les jeux dans le navigateur ou l'évolution de Flash.
Regard pétillant et sourire malicieux, Ben Forta invite à la discussion franche et directe. Ses réponses ont été sans détour, et sans aucune langue de bois. Elles ont dévoilé une vision de l'IT à la fois synthétique et nuancée.
Bref, Ben Forta est une personnalité dont les propos, que l'on soit d'accord ou non avec lui, sont particulièrement enrichissants, que l'on soit développeur Flash/Flex ou non.
Developpez.com : Que faut-il retenir de MAX 11 pour Adobe et ses technologies ?
Ben Forta : Il y a eu à mon avis trois annonces importantes.
La première c'est que jusqu'ici les terminaux mobiles sont surtout des appareils adaptés à la lecture de contenus. Nous pensons chez Adobe qu'ils vont devenir des outils de travail pour produire ces contenus.
C'est la raison pour laquelle nous avons sorti des versions mobiles de plusieurs de nos produits, comme un Photoshop avec une interface entièrement revue pour exploiter la simplicité du tactile ou Proto (NDR : pour faire des prototypes de sites Webs) qui peuvent se synchroniser avec les version bureaux grâce à Creative Cloud, un ensemble de services pour webdesigners accessibles à la demande sur abonnement.
La deuxième chose qui a été dite à MAX 11, c'est qu'Adobe investit et innove dans une technologie comme Flash mais aussi dans des outils de développement pour le HTML. Je dirais même plus : cela a toujours été le cas ! Avec Dreamweaver par exemple. C'est une chose que nous souhaitons rappeler.
Enfin, le troisième point qui me paraît majeur, c'est que nous soutenons très activement le HTML 5.
Developpez.com : Revenons sur ce sujet du HTML justement, et sur ces deux dernières annonces. Quels sont concrètement ces nouveaux outils pour le développement en HTML dont vous parlez ?
Ben Forta : Nous travaillons sur deux produits : Edge et PhoneGap.
Edge est un outil qui permet de faire des animations Web en HTML 5 de manière aussi simple qu'avec Flash. On retrouve une timeline, des transitions, la possibilité de faire des boucles, des copiers-collers de séquences, etc. Il est intéressant de noter que la troisième pré-version de Edge a été majoritairement téléchargée par des développeurs qui ne sont pas des habitués de l'écosystème de Adobe.
L'autre outil c'est PhoneGap. L'idée nous est venue en constatant qu'il était très compliqué de faire une application multiplateforme. Entre Windows Phone, iOS, Android, les différentes versions de ces OS, etc., il nous est apparu qu'un outil pour simplifier tout cela était nécessaire.
Avec Phone Gap, vous développez votre application en HTML, CSS et JavaScript, et l'outil compile automatiquement des versions compatibles avec toutes les plateformes mobiles. Et par versions compatibles, je veux dire des applications installées sur les appareils, pas des Web-applications distantes (NDR : la pré-version est également disponible sur build.phonegap.com).
Developpez.com : Ces deux outils de Adobe semblent perturber beaucoup d'analystes qui voient le Flash et le HTML 5 comme deux technologies qui s'affrontent. Ce n'est pas votre point de vue. Pouvez-vous nous préciser concrètement comment vous les voyez cohabiter à l'avenir ?
Ben Forta : Entre nous, ce n'est pas la vision des développeurs Flash.
Pour moi, Flash a toujours été la continuité complémentaire du HTML. Ce que le HTML ne permettait pas de faire (la vidéo, les animations, les menus un peu complexes, etc.), Flash innovait pour pouvoir le faire.
Mais cette ligne entre les deux n'a jamais été fixe. La frontière bouge en permanence. Et les applications de Flash avec. Les gens l'oublient peut-être mais historiquement, nous avons déjà vécu cela plusieurs fois. Le HTML progresse. Il innove. Il sait faire de plus en plus de choses. Et c'est super ! A nous d'innover chez Adobe pour faire progresser Flash encore plus vite.
Quant à ceux qui pensent que le HTML 5 peut remplacer Flash, je ferai juste remarquer que le HTML en est à sa cinquième implémentation et qu'elle n'est pas encore entièrement finalisée. Flash, lui, en est à sa version 11.
Nous avons un savoir-faire plus grand dans beaucoup de domaines (comme l'animation ou les transitions). C'est ce qui nous permet d'ailleurs d'aider le HTML à évoluer.
Developpez.com : C'est pour cette raison que vous venez de devenir Silver Sponsor du W3C, pour aider à améliorer le HTML 5 ?
Ben Forta : Oui. Avec cette action, nous officialisons notre participation au développement du HTML 5. Nous enrichissons le HTML avec nos enseignements.
Ben Forta, Photo Developpez.com
Developpez.com : Si je résume votre point de vue, vous dîtes « plus le HTML devient puissant, plus Flash doit savoir faire de nouvelles choses et devenir puissant également » ?
Ben Forta : C'est tout à fait cela.
Developpez.com : Il n'en reste pas moins que votre société est une entreprise commerciale dont le but est, par définition, de faire des bénéfices. Quel est votre intérêt stratégique à soutenir le HTML 5 qui, bien que complémentaire, reste tout de même un concurrent puisqu'à chaque fois qu'il évolue vous êtes obligés d'évoluer avec lui ?
Ben Forta : Déjà, ce que les gens ne savent pas forcément, c'est que Flash ne représente qu'une petite partie de nos revenus. Vraiment petite. Je ne peux pas vous donner les chiffres exactes, mais si vous vous procurez les résultats financiers de Adobe vous pourrez vérifier ce que je vous dis.
En fait, nous sommes un des plus gros éditeurs de solutions pour le développement en HTML, Dreamweaver par exemple. Aujourd'hui nous voulons continuer à innover dans ces solutions pour donner la liberté aux développeurs de choisir la meilleure technologie en fonction du projet qu'ils ont à faire.
Et puis comme je vous le disais, il y a une synergie entre le HTML et Flash. Plus il y a de développements en HTML, plus il y a d'opportunités pour Flash.
Developpez.com : Un autre point important dont vous avez parlé, c'est la mobilité. Elle semble être devenue un objectif majeur pour Adobe. Côté applications, vous avez annoncé des applications pour tablettes et Créative Cloud. Côté développeurs, vous mettez-en avant Phone Gap et Flex pour Mobiles. Pour vous l'avenir du développement, c'est le développement mobile ?
Ben Forta : Oui... et non. Nous sommes au début de l'ère des applications mobiles. Je pense personnellement que celles-ci vont se développer avec les « Stores », mais je pense aussi que la distinction entre une application pour bureau et une application mobile va s'effacer progressivement. Elle va devenir de plus en plus flou. Les applications devront tourner partout, sans réelle distinction.
Developpez.com : Qui dit mobilité et Adobe dit forcément - vous saviez que j'allais vous poser la question - Steve Jobs et Apple. Microsoft vient d'emboiter le pas au constructeur de l'iPhone en annonçant que dans la version tactile de Windows 8 pour terminaux nomades, IE 10 ne supporterait pas le Flash. Comment réagissez-vous à ces décisions ?
Ben Forta : Soyons clairs sur ce dossier. Apple et Microsoft ne disent pas du tout la même chose.
Apple accusait Flash de dégrader les batteries des portables. Et c'était faux. Cela a été prouvé, plusieurs fois, scientifiquement. C'était un mensonge. Je vous communiquerai une étude très pointue sur ce sujet (NDR : Ben Forta nous en a fait parvenir deux, une en ligne et une en PDF).
Microsoft, lui, dit qu'il souhaite une « expérience d'utilisation plus légère ». Très bien. Pas de problème. C'est leur choix et le HTML 5 nous convient parfaitement.
Developpez.com : Vous êtes un observateur privilégié et assidu de l'évolution de l'IT. Avec Creative Cloud, Adobe semble prendre à son tour le virage de l'informatique hébergée à la demande. Les fournisseurs de Cloud affirment tous que la confidentialité des données n'est plus un problème et que seuls les « has-been » s'en préoccupent. Cela ne semble cependant pas être la réalité en France et beaucoup de développeurs sont encore réticents à passer le pas. Comment vous positionnez-vous sur ce sujet ?
Ben Forta : Pour moi la question n'est pas de savoir si le Cloud va s'imposer ou pas. Il va s'imposer. Les coûts des infrastructures sont trop élevés pour les entreprises et les développeurs. Le Cloud résout ce problème.
Moi ce que je pense c'est que le Cloud force aujourd'hui les gens à se poser des questions qu'ils ne se posaient pas avec leurs propres serveurs. La sécurité, la confidentialité, la disponibilités, la réplication des données, toutes ces questions ne les préoccupaient pas vraiment. Avec le Cloud ils se les posent, et c'est très bien.
En revanche je n'ai pas toutes les réponses (sourire).
Developpez.com : HTML 5, Cloud, Mobilité : Adobe a surpris lors de ce MAX 11. Mais qu'en est-il de... Flash ?
Ben Forta : Flash vient de passer en version 11. Pour 2012, nous souhaitons continuer à innover et à investir le domaine de la conception des jeux. Jusqu'ici c'était surtout les jeux en 2D qui utilisaient Flash. Avec les nouvelles versions et le Unreal Engine de Epic, nous voulons nous attaquer aux jeux en 3D et aux jeux complexes.
Nous souhaitons que Flash devienne en quelque sorte une « XBox dans le navigateur ». Flash 11 va vraiment être une très grande évolution pour les développeurs de jeux.
Ben Forta
Partager