Ils vivaient tous sur le port, et beaucoup d'autres avec eux - des Blancs, des bruns, des Noirs. Des Finlandais, des Polonais, des Italiens, des Slaves, des Maltais, des Indiens, des Négroïdes, des Noirs d'Afrique, des Noirs des Antilles - expulsés des États-Unis pour avoir enfreint les règlements d'immigration -, qui avaient peur et honte de rentrer au pays. Ils s'entassaient dans le grand port provençal, grattant ce qu'ils pouvaient trouver, une journée de travail, un repas, un verre de vin, vivant au jour le jour mais parvenant à subsister entre le wagon de marchandises, le caboteur, le bistrot et le bordel.
« Mais t'es pas vraiment fauché, dit Malty en désignant le banjo, tant que t'as ce machin-là. Y en a pas un de nous quatre qui a de quoi tirer un peu de fric de ce patelin où tout s'achète. »
Banjo caressa son instrument: « Je m'en sépare jamais, mec. C'est plus qu'une poule, c'est plus qu'un copain, c'est moi tout entier.
- Tu peux pas crever de faim, par ici, si tu sais jouer un tant soit peu, dit Ginger de sa voix traînante. Tu peux ramasser assez de sous pour toi et encore assez pour nous payer un kilo de rouge, de quoi se rincer le sifflet, quand le blé se fait rare sur les quais, simplement en jouant dans les bars de la Joliette et du centre, autour de la place où on fait la manche.
- On va voir ce que ce patelin va donner, fit Banjo. C'est pas seulement une fois ou deux que ce copain fidèle m'a tiré d'affaire quand j'étais sur le sable. Un jour, là-bas à Montréal, j'avais perdu tout mon fric en pariant aux courses ; je suis entré dans une boîte rupin et j'ai récolté vingt-cinq dollars en jouant. Mais le coup le plus fumant, c'était à San Francisco, avec trois copains qui avaient une guitare, un ukulélé et un tambourin. Bon sang,
j'ai vécu dans le trèfle pendant six mois !
- Tu t'en tireras ici aussi, dit Malty, même si ce patelin grouille d'artistes qui font leur numéro dans les cafés. C'est pas souvent que t'en rencontres un qu'est foutu de tirer une note capable de te chatouiller un accord dans le système. Joue-nous un morceau, qu'on voie comment ça sonne.
- Pas maintenant répondit Banjo. Vaut mieux attendre ce soir dans un café. Peut-être qu'ils aimeraient pas ça, ici.
- Mais si, sûr et certain. Dans ce pays tu peux faire n'importe quoi à n'importe quel moment.
- C'est foutrement pas vrai, lança Bugsy d'un ton tranchant. Mais tu peux tout de même faire de la musique quand tu veux, dit-il à Banjo. Les gens viendront t'écouter et le patron pourra leur refiler un peu plus de son pinard pourri.
- Il est pas si mauvais, ce vin-là ... dit Ginger.
Partager