Stratégie IA française : Cédric Villani suggère de doubler les salaires en début de carrière
Stratégie IA française : Cédric Villani suggère de doubler les salaires en début de carrière
pour résister à la pression compétitive des géants du numérique
L’intelligence artificielle est aujourd’hui au centre de presque toutes les problématiques, en allant de la création de produits innovants en entreprise au renforcement de la souveraineté d’un pays. Pour cette raison, la France essaie de mettre en place une politique nationale afin d’être sur le devant de la scène mondiale dans le domaine. Dans le cadre de l’initiative France IA par exemple, il a été annoncé l’an dernier un investissement de 25 millions d’euros sur cinq ans dans dix startups de l’intelligence artificielle.
Fin aout, Emmanuel Macron a confirmé que l’IA est une priorité pour la France et exprimé son ambition de devenir leader mondial. Suite à cela, en septembre dernier, le Premier ministre a chargé le député et mathématicien Cédric Villani d’une mission importante sur l’IA : proposer une stratégie visant à repositionner la France et l’Europe au premier plan de ces transformations et en saisir les opportunités. Début décembre, Cédric Villani a donc lancé une consultation publique sur l'intelligence artificielle pour permettre à tout le monde (ensemble des acteurs et des citoyens) de contribuer à l’élaboration de cette stratégie. Le résultat est un rapport de 235 pages qui vient d'être publié. Nous n’allons pas entrer dans les détails du rapport, mais il y a certains points qui méritent une attention particulière et que nous allons présenter ici.
Inciter les acteurs économiques au partage et à la mutualisation de leurs données
Les données sont généralement le point de départ de toute stratégie en IA, car de leur disponibilité dépendent de nombreux usages et applications. « Or les données bénéficient aujourd’hui majoritairement à une poignée de très grands acteurs », peut-on lire dans le rapport. D'après Cédric Villani, il est nécessaire que les pouvoirs publics, mais aussi les acteurs économiques plus petits et la recherche publique, puissent bénéficier de ces données. Et « cela devra passer par une incitation des acteurs économiques au partage et à la mutualisation de leurs données, l’État pouvant ici jouer un rôle de tiers de confiance. » Dans certains cas, dit-il, « la puissance publique pourrait imposer l’ouverture s’agissant de certaines données d’intérêt général. » Le député LREM compte aussi sur plusieurs réformes en cours au niveau européen qui doivent permettre un meilleur accès et une plus grande circulation des données.
Anticiper et maîtriser les impacts de l’IA sur le travail et l’emploi
Le rapport appelle à anticiper les impacts sur l’emploi via la création d’un « laboratoire public de la transformation du travail ». Il sera la « tête chercheuse » à l’intérieur des politiques publiques de l’emploi et de la formation professionnelle. Il recommande aussi de lancer un chantier législatif relatif aux conditions de travail à l’heure de l’automatisation afin de prendre en compte les nouveaux risques.
Le député LREM pense aussi qu'il faut former des talents en IA, à tous les niveaux (bac+2, bac+3, master, doctorat), en se fixant un objectif clair : à un horizon de trois ans, multiplier par trois le nombre de personnes formées en intelligence artificielle en France, à la fois en faisant en sorte que l’offre de formation existante s’oriente vers l’IA, mais également en créant de nouveaux cursus et de nouvelles formations à l’IA (doubles cursus droit-IA par exemple, modules généraux…).
Endiguer la fuite des cerveaux
L'un des objectifs de la mission était de proposer des solutions pour mettre fin à la fuite de cerveaux (vers l'étranger ou vers des acteurs privés dont les activités sont d’un intérêt social réduit) et attirer les chercheurs étrangers. Pour cela, Cédric Villani propose de créer des Instituts Interdisciplinaires d’Intelligence Artificielle (3IA) qui vont rassembler les chercheurs, ingénieurs et étudiants en IA. « Ces instituts devront procurer un environnement de travail suffisamment attractif pour résister à la pression compétitive des géants du numérique ». En parlant d'attractivité, il fait référence à « un allègement drastique des formalités administratives du quotidien, [des] compléments de salaire conséquents, [et des] aides pour l’amélioration de la qualité de vie ».
Le mathématicien et député LREM reconnait qu' « il est illusoire de penser rivaliser financièrement avec les offres des GAFAM », mais pense qu'un « doublement des salaires en début de carrière est un point de départ minimal indispensable » pour éviter de « voir se tarir définitivement le flux de jeunes prêts à s’investir dans l’enseignement supérieur et la recherche académique. » Il est par ailleurs nécessaire, selon lui, de renforcer l’attractivité de la France pour les talents expatriés ou étrangers, notamment avec des incitations financières. Il ne manque pas non plus d'insister sur le fait que les instituts de recherche en IA doivent pouvoir disposer d’outils de calcul qui leur permettent de rivaliser avec les moyens quasi illimités des grands acteurs privés.
Se concentrer dans un premier temps sur quatre secteurs clés
La mission a choisi de se concentrer sur quelques secteurs clés qui constituent des niches économiques d’excellence et qui permettent de répondre à de grands défis collectifs. Il s'agit notamment de la santé, l’écologie, les transports-mobilités et la défense-sécurité. Les auteurs du rapport justifient le choix de ces secteurs par le fait que « tous représentent un défi majeur du point de vue de l’intérêt général, tous requièrent une impulsion importante de l’État et tous sont susceptibles de cristalliser l’intérêt et l’implication continue des acteurs publics et privés ».
Et bien d'autres propositions...
Dans les grandes lignes, le rapport sur l'IA suggère, entre autres, d'établir un cadre éthique et de confiance pour le développement de l’IA. Cédric Villani insiste également sur le fait que l'IA doit être au service d’une économie soutenable et écologique.
Pour le moment, ce ne sont que des propositions que l’exécutif français va étudier en vue de retenir ce qui lui semble pertinent. Toutes ces idées sonnent peut-être bien, mais dans quelle mesure peuvent-elles devenir une réalité et propulser la France au premier plan au niveau mondial dans le domaine de l’IA ?
Sources : Reuters, Rapport de Cédric Villani sur l’IA
Et vous ?
:fleche: Que pensez-vous de ces propositions ?
:fleche: Que suggérez-vous pour que la France soit attractive pour les talents et chercheurs en IA ?
Macron veut investir 1,5 milliard d’euros dans l'intelligence artificielle
Macron veut investir 1,5 milliard d’euros dans l'intelligence artificielle
mais exclut l'idée de doubler les salaires suggérée par Cédric Villani
Après la publication du rapport de Cédric Villani mercredi, Emmanuel Macron a levé hier le voile sur sa stratégie pour faire de la France l'un des leaders mondiaux de l'intelligence artificielle. Il s'inspire, sinon valide les grandes idées proposées par le député LREM, à quelques changements près.
Le président français se montre en effet plus réaliste que le mathématicien Cédric Villani et exclut l'idée de doubler les salaires des talents de l'IA. Le doublement des salaires en début de carrière dans l'IA, pour Cédric Villani, était pourtant un « minimum indispensable » pour endiguer la fuite des cerveaux. Mais Macron préfère plutôt s'inspirer d'autres propositions faites par le député. Pour empêcher les chercheurs et ingénieurs français en IA d'aller dans les bras des géants de la Silicon Valley, il compte par exemple lancer un « programme national », coordonné par l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA). L’objectif de ce programme sera de faire émerger « un réseau d’instituts dédiés localisés dans quatre ou cinq endroits en France », accompagné par un programme de chaires individuelles, afin « d’attirer les meilleurs chercheurs mondiaux et de doubler les capacités de formation en IA ».
Macron a toutefois annoncé le déblocage d'une enveloppe de 1,5 milliard d'euros jusqu'en 2022 pour soutenir le développement et la recherche en IA en France. Dans ce fonds, un montant de 400 millions d’euros sera utilisé pour des « appels à projets et de défis d’innovation de rupture », a-t-il annoncé jeudi après-midi au Collège de France. Ces fonds seront issus de redéploiements budgétaires, de fonds publics existants et du nouveau fonds pour l’innovation de 10 milliards d’euros, censés produire 260 millions d’euros de ressources publiques par an. Une enveloppe de 100 millions d’euros et de 70 millions d’euros les années suivantes sera consacrée à l’amorçage de start-up dans l’intelligence artificielle et la deep tech.
Emmanuel Macron compte aussi « augmenter la porosité entre la recherche publique et le monde industriel ». Ainsi, les chercheurs français pourront à terme consacrer 50 % de leur temps à un groupe privé. Aujourd'hui, ils ne peuvent pas consacrer plus de 20 % de leur temps à une entité privée. Si cette mesure peut faciliter le transfert de connaissances entre la recherche publique et le monde industriel, elle pourrait notamment permettre d'augmenter un peu les rémunérations des chercheurs dans le public.
Le président français adhère aussi à l'idée de Cédric Villani en ce qui concerne l’ouverture de certaines données d’intérêt général. La politique en matière d’ouverture des données sera donc étendue pour rendre un plus grand nombre de bases de données publiques accessibles. Il souhaite toutefois que la France ne se disperse pas, et concentre ses forces dans les domaines où elle dispose déjà d'une grande quantité de données. Macron a donc décidé de mettre l'accent sur la santé, où l'Hexagone possède, selon lui, un avantage lié à la centralisation de ses bases de données. L'Élysée a donc annoncé la création d'un « Health Data Hub » qui « pilotera l'enrichissement continu et la valorisation du système national des données de santé, pour y inclure à terme l'ensemble des données remboursées par l'assurance-maladie, les données cliniques des hôpitaux, des données de la médecine de ville...»
Ces données seront ouvertes aux acteurs de l'IA dans un cadre sécurisé et garantissant la confidentialité pour, comme l'espère Emmanuel Macron, développer des « innovations majeures », comme l'amélioration du traitement des tumeurs cancéreuses, ou la détection des arythmies cardiaques ; et permettre à l'État de faire d'importantes économies.
Emmanuel Macron a également insisté sur les enjeux sociaux, éthiques et démocratiques liés à l'essor de l'IA. Il pense que les États doivent s'interroger sur valeurs que l'IA doit servir, afin de tracer des lignes rouges. Pour cela, il souhaite notamment lancer une réflexion mondiale sur « le contrôle et la certification » des algorithmes. Il a donc appelé à la création d'un groupe d'experts intergouvernemental qui sera chargé de mener une réflexion prospective sur les impacts éthiques de l'IA.
Une stratégie IA accompagnée par les géants de la technologie
La France a à peine déballé sa stratégie que les géants de la technologie semblent déjà la trouver comme un endroit propice à leurs investissements. Facebook, Google, Samsung, IBM, Fujitsu, Microsoft ont déjà annoncé de nouveaux investissements en IA dans l'Hexagone.
Au mois de janvier, Facebook a annoncé un investissement de 10 millions d'euros dans l'IA, et noué un partenariat avec Pôle Emploi, pour former 50 000 chômeurs au numérique d'ici 2019. À l’occasion du lancement de la stratégie nationale sur l’intelligence artificielle, IBM a également annoncé jeudi un plan d’investissements en France dans ce domaine. Big Blue veut notamment recruter 400 experts d'intelligence artificielle dans l'Hexagone d'ici deux ans. Du côté de Google, il y a deux annonces. Google France a décidé d'apporter un soutien financier à l’École polytechnique pour lancer en septembre une chaire internationale dédiée à l’intelligence artificielle. En plus de cela, on notera l'arrivée prochaine à Paris de DeepMind, la filiale de Google spécialisée en machine learning. Le Français Rémi Munos, l’un des principaux chercheurs de DeepMind et auteur de 150 articles scientifiques, fera ainsi son retour dans son pays, pour diriger le nouveau laboratoire de la filiale de Google.
Le géant sud-coréen Samsung a également choisi la France pour implanter son nouveau centre de recherche sur l'intelligence artificielle, ce qui va permettre de créer plus de 100 emplois ; une nouvelle dont s'est réjoui Emmanuel Macron sur Twitter.
Mais ce n'est pas tout. Fujitsu a également décidé d'étendre ses activités de recherche en IA en France. Et pendant ce temps, Microsoft investit 30 millions de dollars sur trois ans en France afin de développer une « IA de confiance » dans l'Hexagone. La firme de Redmond annonce en effet la création d’Impact IA, « un collectif de réflexion et d’action », et le lancement de Compétences IA, « un programme national fondé sur l’acquisition de compétences autour de l’IA, du cloud et du code pour tous. » D'après Reuters, l’objectif de Microsoft, d'ici trois ans, est de sensibiliser et former 400 000 personnes, tous profils confondus, avec, à la clé, la création de 3000 nouveaux emplois au sein de l’écosystème numérique français. « Nous sommes convaincus que la France dispose d’atouts majeurs pour contribuer activement et positivement au développement de technologies de l’intelligence artificielle dans le respect et l’intérêt de l’Humain », a expliqué Carlo Purassanta, président de Microsoft France dans un communiqué.
Sources : Le Parisien, La Tribune, Le Monde, Reuters (Annonce Microsoft), Reuters (Annonce Google), Blog DeepMind, Communiqué de Fujitsu
Et vous ?
:fleche: Que pensez-vous de la stratégie dévoilée par Emmanuel Macron ?
:fleche: Êtes-vous déçu du rejet de l'idée de doubler les salaires en début de carrière dans l'IA ?
:fleche: Comment accueillez-vous les annonces des géants de la technologie ?
:fleche: Avec ces investissements, vous attendez-vous à un chômage tendant vers zéro dans le numérique dans quelques années ?