Microsoft surfe sur la frénésie de l’IA : la bulle de l'IA fait grimper la rémunération du PDG de Microsoft à 96,5 millions de dollars,
l'entreprise a supprimé plusieurs milliers d'emploi dans le même temps
Dans le sillage de l’euphorie boursière liée à l’intelligence artificielle, Microsoft a vu sa valorisation exploser et ses dirigeants en profiter largement. Satya Nadella, PDG du géant de Redmond, a empoché 96,5 millions de dollars pour l’exercice 2024-2025, soit une hausse de plus de 20 % par rapport à l’année précédente. Une rémunération record, dopée par l’envolée du cours de l’action, mais aussi par la frénésie spéculative autour de l’IA. Alors que Microsoft s’impose comme le grand gagnant de la course à l’intelligence artificielle, cette rémunération interroge : la bulle de l’IA sert-elle d’abord à gonfler les portefeuilles des dirigeants avant de profiter au reste du monde ?
Contexte
Le rapport annuel de Microsoft a dévoilé un chiffre qui résume à lui seul la nouvelle ère de l’IA : 96,5 millions de dollars. C’est la somme totale reçue par Satya Nadella, entre salaire, bonus et stock-options, pour l’année fiscale close fin juin 2025. L’essentiel de cette somme ne vient pas du salaire fixe, modeste à l’échelle des géants du numérique (2,5 millions de dollars), mais des actions liées aux performances de Microsoft — et surtout de ses divisions d’intelligence artificielle et de cloud computing.
Depuis le lancement de Copilot, son assistant intelligent intégré à Windows et à la suite Office, Microsoft a vu ses revenus exploser. Les investisseurs ont salué la stratégie de Nadella, qui a su transformer OpenAI en allié stratégique et faire du partenariat avec ChatGPT un accélérateur de croissance sans précédent. Résultat : la capitalisation boursière de Microsoft a franchi les 3 500 milliards de dollars, dépassant Apple et consolidant son statut de première entreprise mondiale.
Mais derrière cette performance financière se cache une réalité plus contrastée : une part croissante des gains profite aux actionnaires et aux dirigeants, bien plus qu’aux salariés ou à la société dans son ensemble.
Le jackpot de l’ère Copilot
Le président-directeur général de la méga-entreprise de logiciels et de cloud computing a reçu une rémunération totale de 96,5 millions de dollars pour l'exercice 2025 de Microsoft, soit une augmentation de près de 22 % par rapport à l'année précédente. Ce montant comprend un salaire de base de 2,5 millions de dollars, inchangé depuis 2023, 84 millions de dollars en actions, 9,5 millions de dollars dans le cadre d'un plan d'intéressement non lié à des actions et 196 000 dollars pour toutes les autres rémunérations.
Mais il le mérite, a déclaré Microsoft à ses actionnaires dans sa circulaire de sollicitation de procurations. Depuis que Nadella est devenu le grand patron en 2014, Microsoft a triplé son chiffre d'affaires, quadruplé son bénéfice net et quintuplé son bénéfice par action (BPA) dilué.
Au cours de l'exercice clos le 30 juin, Microsoft a déclaré un chiffre d'affaires de 281,7 milliards de dollars, un bénéfice net de 101,8 milliards de dollars et un BPA de 13,64 dollars. Le chiffre d'affaires de toutes les divisions a connu une croissance à deux chiffres, à l'exception de LinkedIn, qui a enregistré une baisse, et de Windows OEM and Devices, qui a progressé de 3 %.
Nadella, insiste Microsoft, devrait être récompensé financièrement de manière à « encourager son leadership continu et stimuler la croissance durable de l'entreprise et la valeur pour les actionnaires ». Sa rémunération est liée au cours de l'action Microsoft, qui a doublé en trois ans grâce aux attentes suscitées par l'IA et le rôle de Microsoft dans ce domaine.
« Conformément à cette vision et contrairement aux pratiques courantes du marché, la rémunération en actions de M. Nadella est exclusivement versée sous forme d'attributions d'actions liées à la création de valeur à long terme et ne comprend aucune attribution d'actions basée sur la durée. Si l'on inclut sa prime annuelle en espèces, plus de 95 % de la rémunération annuelle totale cible de M. Nadella était basée sur la performance. Pour l'exercice 2025, nous avons fixé la prime en actions liée à la performance de M. Nadella à 50 millions de dollars, un niveau inchangé depuis l'exercice 2022. »
L’intelligence artificielle, moteur d’une bulle spéculative
Le cas Nadella est emblématique d’une dynamique que de nombreux analystes qualifient désormais de bulle de l’IA. À l’image de la bulle Internet des années 2000, la valorisation des entreprises liées à l’intelligence artificielle dépasse souvent leurs revenus réels. Les marchés récompensent la promesse technologique plus que la rentabilité.
Or, dans ce contexte, les dirigeants se retrouvent au cœur d’un système d’incitation explosif. Les stock-options attribuées en période d’euphorie deviennent des mines d’or. Plus de 90 % de la rémunération de Satya Nadella est liée à la performance du titre Microsoft. Autrement dit, plus la bulle gonfle, plus le PDG s’enrichit — sans garantie que cette croissance repose sur des fondamentaux durables.
Les investisseurs, eux, continuent d’alimenter la machine, convaincus que l’IA transformera tous les secteurs, du travail de bureau à la santé, en passant par la défense. Mais certains analystes, comme ceux de MarketWatch ou Bloomberg, rappellent que la frénésie actuelle repose en grande partie sur des anticipations irréalistes : “Les bénéfices concrets de l’IA ne justifient pas encore de telles valorisations”, avertissent-ils.
Un contraste social de plus en plus visible
Dans le même temps, Microsoft a supprimé plusieurs milliers d’emplois en 2024, notamment dans ses divisions de vente, de jeux vidéo et de recherche. Une contradiction qui n’a pas échappé aux critiques : comment justifier une rémunération de 96 millions pour un dirigeant lorsque l’entreprise rationalise ses coûts humains au nom de l’efficacité et de l’automatisation ?
Les syndicats américains ont dénoncé un écart « indécent » entre les dirigeants et les employés, rappelant que le salaire médian chez Microsoft est d’environ 190 000 dollars par an — soit 508 fois moins que la rémunération du PDG. Le ratio de rémunération (« pay ratio ») atteint ainsi un niveau rarement vu dans l’histoire de l’entreprise.
Pour Nadella, la justification est claire : sa mission consiste à assurer la transformation de Microsoft en entreprise « centrée sur l’IA » et à préserver la confiance des marchés. Mais cette transformation semble avant tout profiter aux investisseurs, alors que les gains de productivité promis par l’IA tardent à se matérialiser pour les employés et les consommateurs.
Le symbole d’un capitalisme technologique déconnecté
Le phénomène dépasse largement le cas de Microsoft. Dans tout le secteur, les dirigeants surfent sur la vague de l’intelligence artificielle pour justifier des rémunérations vertigineuses. Chez Nvidia, Jensen Huang a vu sa fortune personnelle exploser parallèlement au boom des GPU. Chez Alphabet, Sundar Pichai a lui aussi bénéficié d’une rémunération à neuf chiffres.
Ces chiffres traduisent une nouvelle phase du capitalisme technologique : celle où la valeur repose moins sur la production réelle que sur la promesse algorithmique. Les PDG deviennent les « prophètes » d’un futur automatisé, récompensés non pas pour ce qu’ils livrent aujourd’hui, mais pour ce que les marchés croient qu’ils livreront demain.
Cette logique renforce la spéculation autour de l’intelligence artificielle. L’IA, censée rationaliser l’économie et réduire les coûts, devient paradoxalement le moteur d’une démesure financière inédite.
La bulle de l'IA 17 fois plus importante que celle de la bulle Internet et quatre fois plus que celle des subprimes
Selon une nouvelle évaluation réalisée par Julien Garran, analyste de recherche chez MacroStrategy Partnership, la bulle de l'IA est désormais 17 fois plus importante que la tristement célèbre bulle Internet, une première dans l'histoire des actions technologiques liée à l'engouement des investisseurs pour Internet. Pire encore, Garran estime que l'IA représente aujourd'hui plus de quatre fois la richesse piégée dans la bulle des subprimes de 2008, qui a entraîné des années de crise prolongée à travers le monde.
Dans le cas de la bulle Internet, selon le macroéconomiste David Henderson, une catastrophe économique majeure a été évitée car l'impact de la ruée vers le marché boursier sur la croissance du PIB américain a été minime. Malheureusement, ce n'est pas le cas des investissements dans l'IA, qui représentent désormais une part importante de notre croissance économique après des années d'engouement effréné.
Avant la crise financière de 2008, les investisseurs optimistes ont alimenté un marché immobilier voué à l'échec, créé par les banques pour transformer les prêts hypothécaires à haut risque en source de liquidités. À l'instar de ces prêts hypothécaires toxiques, l'IA n'a démontré que très peu de valeur à long terme, du moins à ce stade de son développement, note Garran.
Le problème avec l'IA, a-t-il déclaré, est qu'il est « impossible de créer une application ayant une valeur commerciale, car elle est soit générique [comme dans les jeux vidéo], ce qui ne se vend pas, soit issue du domaine public [comme dans les devoirs], soit soumise au droit d'auteur ».
Il ajoute que c'est également un produit difficile à commercialiser efficacement, comme le montre clairement une start-up spécialisée dans l'IA à New York, dont les publicités dans le métro sont recouvertes de graffitis hostiles. Parallèlement, selon Garran, le coût des systèmes d'IA augmente de manière exponentielle, tandis que les gains en termes de capacités diminuent rapidement.
Il est vain de tenter de prédire ce qui finira par faire éclater la bulle de l'IA, mais une chose est claire : nous avons déjà atteint un point de non-retour.
« Pour savoir si nous avons atteint une limite, nous devons observer les développeurs de LLM », explique l'analyste. « S'ils lancent un modèle qui coûte 10 fois plus cher, qui utilise probablement 20 fois plus de puissance de calcul que le précédent, et qui n'est pas beaucoup plus performant que ce qui existe déjà, alors nous avons atteint une limite. »
Sans l'IA, Garran prévient que l'économie ralentit déjà considérablement et que ce n'est qu'une question de temps avant que la croissance explosive du secteur technologique ne commence à s'inverser, comme cela s'est produit lors de la bulle Internet.
Un modèle à bout de souffle ?
La rémunération de Satya Nadella cristallise les tensions d’un modèle où la performance boursière prime sur la valeur sociale. Si l’intelligence artificielle est bien en train de remodeler les industries, elle révèle aussi la fracture entre ceux qui la contrôlent et ceux qui la subissent.
L’explosion des salaires des dirigeants, alimentée par la bulle de l’IA, pourrait bien devenir l’un des signes avant-coureurs d’un rééquilibrage brutal. Car si les promesses de productivité ne se concrétisent pas, la confiance des marchés pourrait se retourner — et avec elle, la fortune de ceux qui en ont profité.
Source : Microsoft
Et vous ?
Les rémunérations records dans la tech doivent-elles être encadrées lorsque leur explosion dépend d’une bulle spéculative ?
Peut-on encore justifier un écart salarial de 500 pour 1 dans des entreprises prônant la transformation responsable par l’IA ?
L’intelligence artificielle crée-t-elle réellement de la valeur durable ou alimente-t-elle surtout des rentes de court terme ?
Les investisseurs, fascinés par la promesse de l’automatisation, ne risquent-ils pas de financer une illusion semblable à celle de la bulle Internet ?








Les rémunérations records dans la tech doivent-elles être encadrées lorsque leur explosion dépend d’une bulle spéculative ?
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