Le bain de sang de l'emploi se transforme en massacre : l'entreprise la plus précieuse au monde annonce des licenciements massifs alors que l'IA générative et les agents d'IA modifient les méthodes de travail
Les licenciements massifs dans le secteur de la technologie ne s'arrêtent pas. Plus de 150 000 emplois ont été supprimés dans 549 entreprises en 2024. Depuis le début de cette année, plus de 22 000 travailleurs ont été victimes de réductions d'effectifs dans l'industrie technologique, dont un nombre impressionnant de 16 084 au cours du seul mois de février. L'embauche de nouveaux talents a ralenti et celui de jeunes diplômés a chuté de 25 % en 2024. L'hécatombe de l'emploi se poursuit alors que l'IA générative et les agents d'IA redéfinissent les exigences de l'industrie et modifient les méthodes de travail. La situation laisse les professionnels IT démoralisés.
Dans ce contexte, Microsoft prévoit de supprimer une fois de plus des milliers d'emplois en raison de l'augmentation de ses investissements dans l'IA. Ces suppressions, qui toucheront surtout les fonctions commerciales, s'inscrivent dans le cadre d'un effort plus large de rationalisation des effectifs de l'entreprise. Selon un récent rapport de Bloomberg, les licenciements devraient être annoncés au début du mois de juin 2025, après la fin de l'année fiscale de Microsoft.
Selon des sources familières avec le sujet, les équipes de vente ne seront pas les seules concernées par ces réductions, et le calendrier pourrait encore être modifié. Ces licenciements font suite à une précédente série de licenciements chez Microsoft en mai, qui a touché plus de 6 000 professionnels, principalement à des postes liés aux produits et à l'ingénierie logicielle. À Washington, siège de Microsoft, les postes d'ingénieurs logiciels ont été les plus impactés.
L'entreprise comptait 228 000 employés dans le monde à la fin du mois de juin 2024. Microsoft est actuellement l'entreprise la plus précieuse au monde avec une capitalisation boursière de plus de 3 500 milliards de dollars. Mais il cherche à réduire ses coûts alors qu'il consacre des milliards à son ambitieux pari sur l'IA. Microsoft prévoyait de faire appel à des sociétés tierces pour gérer davantage de ventes de logiciels aux petites et moyennes entreprises.
Selon le fournisseur de données sur l'emploi Live Data Technologies, les entreprises publiques américaines ont réduit leurs effectifs de cols blancs de 3,5 % au total au cours des trois dernières années. Au cours de la dernière décennie, une entreprise sur cinq du S&P 500 a réduit ses effectifs.
Une tendance marquée vers la réduction des effectifs dans l'industrie
La technologie continue de bouleverser le marché de l'emploi : les emplois de débutants disparaissent le plus rapidement et les licenciements dans les secteurs de la technologie, de la finance et du conseil s'accélèrent. Selon SignalFire, les entreprises technologiques ont recruté moins de jeunes diplômés en 2024 qu'en 2023. Précisément, SignalFire indique que les entreprises ont réduit l'embauche de jeunes diplômés de 25 % en 2024 par rapport à 2023.
Les entreprises technologiques semblent en être convaincues : moins d'employés signifie une croissance plus rapide. Ces réductions vont au-delà des mesures classiques de réduction des coûts et témoignent d'un changement de philosophie plus large. L'embauche de nouveaux talents, qui était autrefois le signe d'une augmentation des ventes et d'une confiance en l'avenir, signifie désormais que les dirigeants doivent faire quelque chose de travers.
Les nouvelles technologies telles que l'IA générative permettent aux entreprises d'en faire plus avec moins. Dans une note récente adressée à ses employés, PDG d'Amazon, Andy Jassy, a écrit que l'essor de l'IA va rendre certains emplois inutiles dans les années à venir. Plus tôt cette année, il a déclaré à son personnel que tous les nouveaux projets ne nécessitaient pas l'intervention de 50 personnes. Ce qui fait échos à la position de nombreux PDG.
Amazon est le deuxième employeur des États-Unis et l'entreprise est considérée comme un indicateur de la stabilité de l'emploi. L'entreprise a déjà ralenti ses embauches, ce qui laisse penser que l'IA influence déjà ses besoins en personnel. Il est également clair que l'entreprise mise beaucoup sur la nouvelle technologie. Amazon a déjà révélé son intention d'investir jusqu'à 100 milliards de dollars dans les centres de données dont dépend l'IA.
En outre, Andy Jassy a déclaré aux actionnaires que « les meilleurs dirigeants obtiennent les meilleurs résultats avec le moins de ressources possible ». Avec moins de 59 000 employés, Hewlett Packard Enterprise (HPE) est à son plus petit effectif depuis qu'elle est devenue une société indépendante il y a dix ans. « Une structure plus horizontale est plus rapide », a déclaré Marie Myers, directrice financière de HPE, au sujet des vagues de licenciements.
Les travailleurs de la technologie perdent le pouvoir face à l'IA
L'essor de l'IA générative permet aux entreprises d'automatiser des tâches et de rationaliser les opérations. Amazon prévoit de réduire son effectif au cours des prochaines années en raison de « l'efficacité accrue » permise par l'IA. Des entreprises comme Shopify et Duolingo ont indiqué que les futures embauches dépendraient de la possibilité d'automatiser les tâches, bien que certaines entreprises font marche arrière dans leur stratégie en matière d'IA.
En avril, la plateforme d'apprentissage Duolingo a annoncé qu'elle va remplacer ses travailleurs contractuels par l'IA. Le PDG a informé que le recrutement ne se fera que si une équipe ne peut pas automatiser une plus grande partie de son travail. Mais il a adouci son message après le tollé suscité par sa note de service sur les réseaux sociaux, précisant que son entreprise continue à recruter au même rythme qu'auparavant.
De nombreuses entreprises s'orientent vers l'utilisation des agents d'IA, c'est-à-dire des robots autonomes capables de prendre des décisions et d'accomplir des tâches à la place des humains, comme payer une facture ou réacheminer des stocks si une catastrophe naturelle perturbe un itinéraire de transport routier. Ainsi, Walmart déploierait de tels agents d'IA afin de réduire jusqu'à 18 semaines le délai de production de ses vêtements en interne.
Le secteur est frappé par ce que les experts appellent la « Grande Hésitation ». Ce phénomène succède à la « Grande Démission » et se caractérise par une prudence accrue des entreprises en matière d'embauche, exacerbée par l'incertitude économique et l'essor de l'IA. Les entreprises prolongent leurs processus d'embauche, font appel à des travailleurs contractuels ou attendent les candidats qui remplissent toutes les conditions, et même plus.
Selon Global Work AI, des « spécialistes qualifiés » recherchent activement des emplois non qualifiés, notamment dans les domaines de la saisie de données, du service client et de l'assistanat, même si 62,75 % des demandeurs d'emploi ont suivi des études supérieures. Ils sont en concurrence avec l'IA pour ces postes.
Quelques chiffres de l'hécatombe de l'emploi dans la technologie
Cette tendance à la réduction des effectifs bouleverse le cycle habituel d'embauche et de licenciement. Les entreprises licencient souvent en période de récession, puis recrutent à nouveau lorsque l'économie redémarre. Pourtant, les réductions d'effectifs de ces dernières années coïncident avec une forte augmentation des ventes et des bénéfices, annonçant un changement plus fondamental dans la manière dont les dirigeants évaluent leur personnel.
Selon la Banque fédérale de réserve de Saint-Louis, les bénéfices des entreprises américaines ont atteint un niveau record fin 2024. Au total, environ une entreprise du S&P 500 sur cinq compte aujourd'hui moins d'employés et sur le terrain qu'il y a dix ans. Voici quelques chiffres des licenciements en 2025 :
Juin 2025
- Intel a annoncé qu'il prévoit de licencier 15 à 20 % des travailleurs de sa division Intel Foundry à partir du mois de juillet 2025. Intel Foundry conçoit, fabrique et emballe des semiconducteurs pour des clients externes. L'effectif total d'Intel s'élevait à 108 900 personnes en décembre 2024, selon la déclaration annuelle de l'entreprise ;
- Playtika a annoncé le licenciement d'environ 90 employés, dont 40 en Israël et 50 en Pologne. La dernière série de suppressions d'emplois intervient après que la société de jeux basée en Israël a licencié 50 employés il y a quelques semaines ;
- Airtime s'est séparé d'environ 25 employés sur une équipe de 58 personnes, a confirmé la société à TechCrunch. Phil Libin, fondateur d'Evernote, a lancé la startup vidéo en 2020, proposant Airtime Creator et Airtime Camera ;
- Microsoft licencie de nouveaux employés, quelques semaines seulement après avoir annoncé une réduction de plus de 6 000 emplois en mai, ce qui représentait environ 3 % de ses effectifs mondiaux. Les licenciements les plus récents concernent des ingénieurs logiciels, des chefs de produit, des responsables de programmes techniques, des spécialistes du marketing et des conseillers juridiques.
Mai 2025
- Amazon aurait licencié une centaine d'employés de sa division « appareils et services », qui englobe diverses activités telles que l'assistant vocal Alexa, les haut-parleurs intelligents Echo, les sonnettes vidéo Ring et les robotaxis Zoox. L'entreprise a réduit ses effectifs d'environ 27 000 personnes depuis le début de l'année 2022 afin de réduire ses coûts ;
- Microsoft a supprimé plus de 6 000 emplois, soit 3 % de sa main-d'œuvre mondiale. En juin 2024, la société basée à Seattle comptait 228 000 employés dans le monde. Il s'agirait de l'un des licenciements les plus importants de l'entreprise depuis la suppression de 10 000 postes en 2023 ;
- Chegg s'est séparé de 248 employés, soit environ 22 % de ses effectifs, afin de réduire ses dépenses et d'améliorer son efficacité. La startup edtech basée à San Francisco, qui propose la location de manuels scolaires et des services de tutorat, a vu son trafic Web chuter depuis des mois, les étudiants optant pour des outils d'IA plutôt que pour les plateformes edtech traditionnelles ;
- CrowdStrike a licencié 5 % de ses effectifs mondiaux, soit environ 500 personnes. La société a déclaré que ces licenciements s'inscrivaient dans le cadre d'un « plan stratégique visant à faire évoluer ses opérations afin de gagner en efficacité », alors que la société continue à développer ses activités avec concentration et discipline pour atteindre son objectif de 10 milliards de dollars en fin d'année [revenus annuels récurrents], dans son rapport 8-K ;
- Deep Instinct a réduit ses effectifs de 20 personnes, ce qui représente 10 % de sa main-d'œuvre totale. En avril 2023, la startup israélienne de cybersécurité avait déjà licencié un nombre similaire d'employés lors d'une série de licenciements.
Avril 2025
- NetApp a supprimé 700 emplois, soit 6 % de son effectif total, dans le cadre d'une réorganisation visant à améliorer son efficacité opérationnelle. L'entreprise, basée à San Francisco, propose aux entreprises des solutions de stockage de données, des services cloud et des solutions CloudOps ;
- Electronic Arts a supprimé environ 300 à 400 employés, dont une centaine chez Respawn Entertainment, pour se concentrer sur ses « priorités stratégiques à long terme » ;
- Expedia a licencié environ 3 % de ses employés dans le cadre de sa restructuration. Les suppressions d'emplois concerneront principalement des postes de niveau intermédiaire au sein des équipes chargées des produits et de la technologie. Cette dernière série de licenciements intervient après que l'entreprise a licencié des centaines d'employés de son équipe marketing au niveau mondial au début du mois de mars ;
- Cars24 a réduit ses effectifs d'environ 200 personnes dans ses divisions produit et technologie dans le cadre d'une mesure de restructuration. La plateforme de commerce électronique pour véhicules d'occasion, basée en Inde, propose une gamme de services tels que l'achat et la vente de voitures d'occasion, le financement, l'assurance, le conducteur à la demande, et bien plus encore. En 2023, la startup soutenue par SoftBank a levé 450 millions de dollars pour une valorisation de 3,3 milliards de dollars ;
- Meta a supprimé plus de 100 emplois de sa division Reality Labs, qui gère la réalité virtuelle et la technologie vestimentaire. Les suppressions d'emplois concernent les employés qui développent des expériences de réalité virtuelle pour les casques Quest de Meta et le personnel qui travaille sur les opérations matérielles afin de rationaliser le travail similaire entre les deux équipes ;
- Google a licencié des centaines d'employés dans sa division plateformes et appareils, qui couvre Android, les téléphones Pixel, le navigateur Chrome, et plus encore ;
- Automattic, le développeur de WordPress.com, a licencié 16 % de ses effectifs dans tous les services. Avant les licenciements, le site Web de l'entreprise indiquait qu'elle comptait 1 744 employés, ce qui signifie que plus de 270 personnes pourraient avoir été licenciées ;
- etc.
Conclusion
Le marché de l'emploi dans le secteur de la technologie ralentit et les perspectives se réduisent considérablement pour des travailleurs qui bénéficiaient autrefois d'avantages de toute sorte. Les entreprises allongent leurs processus de recrutement, augmentent les exigences en matière de compétences, annulent des offres d'emploi et utilisent des outils d'IA pour filtrer les candidatures, éliminant ainsi de nombreux candidats avant même une évaluation humaine.
La réduction des effectifs a fait perdre rapidement aux employés le pouvoir dont ils jouissaient pendant la pandémie, lorsque les emplois étaient nombreux et que les entreprises se disputaient les talents. Aujourd'hui, les travailleurs du secteur informatique sont confrontés à une charge de travail beaucoup plus importante, à davantage de responsabilités et à une crainte persistante pour la sécurité de leur emploi et leurs perspectives d'avenir.
« Les employés sont trop nerveux pour agir. Ce gel bloque le flux normal des opportunités : les jeunes actifs ne peuvent pas percer, les travailleurs expérimentés ne peuvent pas gravir les échelons et les employés épuisés restent sur place », a écrit Mischa Fisher, économiste chez la plateforme éducative Udemy.
Et vous ?
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Que pensez-vous de l'hécatombe de l'emploi dans le secteur technologique ?
Selon vous, qu'est-ce qui est à l'origine de ces vagues de licenciements sans précédent ?
Les entreprises réduisent leurs effectifs malgré une forte augmentation des bénéfices. Qu'en pensez-vous ?
Quels impacts cette tendance pourrait-elle avoir sur l'industrie technologique à l'avenir ? L'innovation est-elle en péril ?
Les entreprises technologiques sont convaincues que moins d'employés signifie une croissance plus rapide. Qu'en pensez-vous ?
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