L'IA dans l'industrie française : entre révolution douce et défis sous-estimés, l'Apec fait un état des lieux
s'intéressant à l’intégration de l’IA dans les processus industriels et ses conséquences sur les compétences cadres
L'intégration de l'intelligence artificielle (IA) dans l'industrie française progresse, mais à un rythme encore mesuré. Malgré une augmentation notable des besoins en compétences IA, seules 3 % des offres d'emploi cadres dans l'industrie exigent aujourd'hui des connaissances explicites en IA. Ce paradoxe souligne un double phénomène : l’IA est déjà présente dans les processus industriels, notamment via l’IdO, mais son adoption reste encore largement cantonnée aux grandes entreprises et aux services R&D, informatiques ou commerciaux.
La généralisation récente de l’IA générative (IAG) accentue cet écart : surmédiatisée, elle a accéléré la prise de conscience des enjeux, sans encore transformer massivement les métiers cadres.
Des impacts variés selon les métiers et les secteurs
L'étude montre que l’IA dans l’industrie entraîne des gains de productivité, d’innovation et d'optimisation des coûts. Elle libère les cadres des tâches routinières, permettant de recentrer leur rôle sur des missions plus stratégiques, créatives ou d'analyse.
Cependant, l'impact est très hétérogène selon les fonctions :
- Informatique et R&D (57 % des offres IA) sont les plus directement concernées ;
- Commercial/marketing (16 %) utilisent l'IA pour mieux cibler les prospects et analyser les marchés ;
- Services techniques (qualité, maintenance, sécurité) dépendent de plus en plus de l’IA pour la maintenance prédictive et le contrôle qualité
La branche de la Métallurgie domine largement cette dynamique, concentrant 81 % des offres IA de l'industrie, suivie par les industries électriques, gazières et chimiques.
Ci-dessous, l'extrait de l'étude à ce sujet :
« Sur la période étudiée, les entreprises de la branche Métallurgie représentent 80 % des offres de l’industrie demandant explicitement des compétences en IA, tandis que cette branche représente la moitié des entreprises et 55 % des salariés de l’industrie. Cela démontre son rôle central quant au déploiement de l’IA dans l’industrie, portée par des domaines de pointe comme la construction de matériels de transport (aéronautique, automobile, ferroviaire, etc.) ou la fabrication d’équipements électriques et électroniques qui ont très tôt commencé à utiliser ces technologies, regroupées souvent sous le terme générique d’usine du futur, ou encore usine 4.0, bien avant les années 2020, notamment pour améliorer le contrôle qualité et la fiabilité de ses produits.
« D’autres branches professionnelles comptent des entreprises montrant également leur intérêt pour ces technologies, mais à moindre échelle toutefois, comme les Industries électriques et gazières, la Chimie ou l’Industrie pharmaceutique, qui représentent respectivement 2,3 % des offres « IA » dans l’industrie. Il faut aussi noter le poids relatif des établissements sans convention collective qui comprennent de grandes entreprises, y compris para-publiques comme le CNES, l’Institut Pasteur, le BRGM ou le CEA, très impliquées dans le développement de l’IA.
« Ainsi, les chercheurs de l’Institut Pasteur ont par exemple conçu ImJoy, une plateforme informatique qui a pour vocation de rendre accessible l’apprentissage profond dans la communauté biomédicale ; le CEA met à la disposition de ses partenaires une plateforme qui réunit les compétences de près de 200 chercheurs-ingénieurs, experts en analyse de signaux et de séries temporelles, en analyse statistiques et sémantique, en systèmes d’aide à la décision et en vision par ordinateur ».
Un changement de culture et de compétences indispensable
La transition IA dans l'industrie ne se limite pas à l'acquisition d'outils techniques : elle implique une véritable acculturation des cadres. Beaucoup expriment un besoin criant de formations de base sur l'IA. Sans cela, le risque est grand de creuser une fracture entre ceux qui maîtrisent les nouveaux outils et ceux qui restent à la marge.
Les enjeux sont doubles :
- Maintenir la valeur ajoutée humaine dans un contexte où certaines tâches, historiquement stratégiques, sont automatisées.
- Assurer une montée en compétence éthique et environnementale, deux dimensions encore peu intégrées dans la réflexion des cadres, malgré l’impact énergétique croissant du deep learning et l’urgence d'une IA plus "frugale"
Les cadres témoignent le plus souvent d’une image positive en première approche, plaçant l’IA comme un outil puissant, permettant à la fois d’optimiser les capacités humaines, mais aussi d’élargir le champ des possibles, dans les domaines suivants :
- L’aide, l’assistance, la facilitation (pour la réalisation des tâches).
- La puissance, le potentiel exponentiel (informatique et algorithmes).
- La technologie, la robotique, l’innovation, le progrès, l’avenir.
- Le gain de temps, de productivité.
Dans la fonction services techniques, ce sont les cadres en qualité, process-méthodes et maintenance-sécurité qui sont particulièrement recherchés par les entreprises de l’industrie. Ce sont des activités pour lesquelles les process liés à l’intelligence artificielles sont déjà à l’œuvre chez de nombreux industriels. Grâce à l’IA, les entreprises peuvent suivre leur production et contrôler la qualité de leurs produits en temps réel
La qualité a par ailleurs une dimension très importante dans les entreprises industrielles, les produits étant souvent fabriqués en grandes séries. Le rappel de produits peut ainsi représenter un coût important pour l’entreprise et nuire à sa compétitivité comme à sa réputation. Face à ces enjeux, les entreprises ont renforcé et automatisé les contrôles qualité grâce à l’emploi de nombreux capteurs IdO et caméras permettant une inspection visuelle en temps réel. L’intelligence artificielle leur permet d’analyser les données en parallèle et de détecter très rapidement les défauts de fabrication.
La maintenance des équipements et des lignes de production est également un enjeu important pour les entreprises industrielles. Grâce aux données collectées des équipements IdO et à leur analyse via l’intelligence artificielle, les entreprises s’emploient aujourd’hui à être dans une démarche de maintenance prédictive. L’intelligence artificielle avec l’utilisation d’algorithmes de machine learning entraînés leur permet de détecter les défaillances avant qu’elles ne se produisent, limitant les risques et coûts liés à l’arrêt d’un équipement ou d’une chaîne de production.
Les profils cadres dans ces activités sont davantage recherchés par les entreprises de l’industrie : 16 % des offres liées à l’IA les concernent contre 9 % pour l’ensemble des secteurs.
Les défis cachés : sécurité, souveraineté, et réglementations
Au-delà de cette perception positive, apparaissent en creux des inquiétudes quant aux limites ou risques induits par ce développement rapide des intelligences artificielles, notamment :
- Une menace pour certains emplois, la disparition ou la transformation de certains métiers, en particulier ceux dont les activités impliquent des tâches répétitives et considérées comme ayant une faible valeur ajoutée.
- Une perte de compétences et d’expertise : l’automatisation excessive et la dépendance à l’IA risquent de mener à une érosion progressive des connaissances et des compétences humaines, entraînant une « paresse intellectuelle » et une dépendance accrue envers les machines.
- Une déshumanisation croissante des processus et des relations, favorisant un management exclusivement centré sur les résultats, augmentant la pression sur les salariés.
- Des risques d’exclusion et de conflits, l’IA pourrait générer une fracture entre les salariés qui intègrent les processus et compétences requis et ceux qui ne parviennent à s’adapter.
- Un défi pour la sécurité des données : l’utilisation de l’IA soulève des préoccupations en matière de confidentialité et de sécurité des données. Les risques accrus de fuites de données sensibles sont une source majeure d’inquiétude pour les cadres interrogés, et ce dans un contexte où l’usage des IAG s’opère souvent dans un contexte de « shadow IT ».
Au-delà des gains en efficacité, plusieurs risques émergent :
- Sécurité des données : les fuites d’informations sensibles représentent une menace grandissante, dans un contexte d’IA souvent pilotée par des acteurs extra-européens
- Souveraineté technologique : la dépendance aux plateformes nord-américaines suscite de fortes inquiétudes quant à la capacité de l'industrie française à contrôler ses propres données et modèles
- Conformité réglementaire : l'arrivée du règlement européen IA Act impose de lourdes contraintes aux industries utilisant des IA "à haut risque" (automobile, aéronautique, dispositifs médicaux...)
L'IA Act
L’IA Act définit une pyramide de risques associés à l’utilisation d’outils d’intelligence artificielle, entraînant des exigences de documentation, de sécurité et de process pour les acteurs qui développent ou utilisent des systèmes d’IA. Il considère comme à « haut risque » tout système d’IA présentant des risques significatifs pour la santé, la sécurité ou les droits fondamentaux des personnes : « un système d’IA est considéré comme à haut risque s’il est utilisé comme composant de sécurité d’un produit ou s’il s’agit d’un produit lui-même couvert par la législation européenne. » Cette définition concerne notamment les outils d’IA utilisés dans les infrastructures critiques.
« En ce qui concerne les systèmes d’IA qui constituent des composants de sécurité de produits relevant de certaines législations d’harmonisation de l’Union dont la liste figure en annexe du présent règlement, ou qui sont eux-mêmes de tels produits, il convient de les classer comme étant à haut risque au titre du présent règlement si le produit concerné est soumis à la procédure d’évaluation de la conformité par un organisme tiers d’évaluation de la conformité conformément à la législation d’harmonisation de l’Union correspondante. Ces produits sont notamment les machines, les jouets, les ascenseurs, les appareils et les systèmes de protection destinés à être utilisés en atmosphères explosibles, les équipements radio, les équipements sous pression, les équipements pour bateaux de plaisance, les installations à câbles, les appareils brûlant des combustibles gazeux, les dispositifs médicaux, les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, l’automobile et l’aviation ».
Dans les entreprises à « haut risque », l’usage de l’intelligence artificielle est limité de manière à éviter la perte de la maîtrise de décisions par les humains. La définition des domaines mentionnés par cette directive place l’industrie dans les principaux secteurs concernés. Cette limitation, si elle peut apparaître un frein dans le déploiement de l’intelligence artificielle peut néanmoins apparaître comme une opportunité pour le développement d’une IA au service des salariés qui travaillent dans ces entreprises qui, de ce fait, pourront voir leurs compétences maintenues et développées
À ce sujet, Safran Aircraft Engines, experte émérite, explique :
« L’arrivée des nouvelles réglementations comme l’IA Act et les recommandations de l’EASA imposent une réflexion sur l’utilisation des algorithmes automatiques. Nous avons par exemple un algorithme de sanctions qui décide si une pièce est mauvaise en lieu et place d’opérateurs. Or, comme il est reproché qu’un tel outil fasse perdre de la compétence aux opérateurs, il est interdit. Nous avons réfléchi à une solution pour l’utiliser quand même avec l’échantillonnage et un opérateur qui continue de faire son travail sur une partie des données, nous permettant à la fois de garder la compétence des opérateurs et d’avoir une base de données de supervision ».
Source : rapport
Et vous ?
Que pensez-vous de ce rapport ? Le trouvez-vous crédible ou pertinent ?
L'IA industrielle est-elle aujourd'hui réellement un moteur d'innovation, ou seulement un nouvel outil d'optimisation des coûts pour les entreprises ?
Comment équilibrer l'automatisation des tâches et le maintien de la compétence humaine sur le long terme ?
Faut-il privilégier une adoption rapide des IA génératives, ou au contraire avancer de manière plus prudente et progressive ?
Le risque de dépendance aux solutions d'IA américaines ou chinoises doit-il inciter les industriels européens à investir massivement dans des solutions souveraines ?
Comment garantir la transparence et l'explicabilité des modèles d'IA utilisés dans des processus critiques (maintenance, production, qualité) ?
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