Des startups optent pour une nouvelle catégorie de licence appelée « Fair Source » afin d'éviter les pièges des licences open source
et résoudre les tensions entre logiciels propriétaires et logiciels libres
Une nouvelle catégorie de licence logicielle fait son apparition : « fair source ». Cette licence logicielle a été introduite par la société de logiciel Sentry et bénéficie du soutien de startups telles que Codecov, GitButler, Keygen, PowerSync, Ptah.sh et CodeCrafters. Elle vise à combiner le meilleur des deux mondes : les logiciels propriétaires et les logiciels libres. Le manque d'incitation financière pousse à l'abandon de l'open source. Mais le concept du fair source vise à permettre aux entreprises de conserver un certain niveau de propriété sur leur code sans s'attirer les foudres des développeurs de logiciels libres pour avoir abandonné la communauté.
« Fair source » et « Fair Source Software » : définition et caractéristiques
« Fair source » est un nouveau paradigme de licence introduit par Sentry, une startup valorisée à 3 milliards de dollars qui propose des logiciels de monitoring de code et de diagnostic de bogues. Il est conçu pour faire le lien entre les mondes ouvert et propriétaire, avec une nouvelle définition, une nouvelle terminologie et un nouveau modèle de gouvernance. Dans un article de blogue, Sentry explique : « le fair source est conçu pour les entreprises qui souhaitent impliquer la communauté des développeurs dans leurs produits de base, tout en étant claires sur la gouvernance et la propriété de la feuille de route ».
En d'autres termes, le fair source vise à aider les entreprises à s'aligner sur la sphère « ouverte » du développement de logiciels, sans empiéter sur les licences existantes, qu'il s'agisse d'open source, d'open core ou de source-available, et tout en évitant les associations négatives qui existent avec le terme « propriétaire ». Selon la page Web de la licence, pour être défini comme « Fair Source Software (FSS) », le code doit adhérer à trois principes clés, notamment :
- être lisible publiquement ;
- permettre l'utilisation, la modification et la redistribution avec un minimum de restrictions afin de protéger le modèle commercial du producteur ;
- faire l'objet d'une publication Open Source différée (delayed Open Source publication, DOSP).
La DOSP fait référence à l'Open Source Initiative (OSI), par laquelle un logiciel est initialement déployé sous une licence propriétaire avant d'être progressivement transféré vers une licence open source. Le principal argument de vente de la licence fair source de Sentry semble être qu'elle offre aux développeurs et aux entreprises « un modèle financier plus sûr », tout en évitant les connotations négatives associées aux termes « fermé » et « propriétaire ».
Sentry cite plusieurs licences qui seraient compatibles avec cette définition. Il s'agit de sa propre licence, la Functional Source License (FSL), évidemment, mais aussi la « Core License » de Keygen et la « Business Source License (BSL) » de MariaDB. Bien que le concept du fair source puisse séduire certains membres de la communauté, il est fortement critiqué par d'autres.
Résoudre les tensions entre les logiciels propriétaires et les logiciels libres
De nombreux développeurs et entreprises ont subi des réactions négatives après avoir abandonné leur licence open source, comme HashiCorp, qui est passé à une licence propriétaire en 2023 avant d'accuser OpenTofu d'avoir enfreint cette licence en 2024. Le passage de Redis à un modèle de licence non libre a également suscité une vague de critiques. Les développeurs de logiciels libres ont accusé Redis d'avoir trahi la communauté du libre. L'abandon des licences open source par les développeurs fait l'objet d'un grand débat dans la communauté. Le manque d'incitations financières est cité comme l'une des causes.
Le fair source pourrait permettre aux entreprises de conserver un certain niveau de propriété sur leur code sans s'attirer les foudres des développeurs de logiciels libres pour avoir abandonné la communauté. « L'objectif du fair source est de légitimer la pratique des entreprises qui partagent de manière significative l'accès au code de leurs produits logiciels de base tout en conservant le contrôle de leur feuille de route et de leur modèle commercial », explique Sentry.
Le concept de fair source semble apporter une solution à ce problème en remettant l'accent sur l'aspect financier du développement de logiciels. Mais Amanda Brock, avocate et PDG d'OpenUK, ne pense pas que le fair source soit la solution. Elle a déclaré : « la nouvelle licence n'est pas une affaire très importante, car l'organisation a une traction très limitée en dépit de ses tentatives d'engager les dirigeants de l'open source ». Elle est très peu optimiste pour le projet.
Selon Amanda Brock, si la notion de source publique ou de source distribuée est importante, « elle n'a pas besoin d'être définie au-delà d'un logiciel dont le code source est public, mais qui ne fait pas partie d'une licence approuvée par l'OSI ». « Toute autre définition est inutile, car elle risque de créer quatre catégories de code », a ajouté Amanda Brock. Le fair source est également un concept très critiqué par les internautes, certains affirmant qu'il s'agit d'un piège.
« Ces entreprises considèrent l'utilisation des logiciels et les contributions comme allant de soi. Fair source est manifestement une tentative vaine d'obtenir des contributions sans rien donner en retour. Ils feraient mieux d'arrêter de faire semblant et de rester dans le privé. Selon moi, si le modèle commercial de votre entreprise repose sur le fait que votre code principal est propriétaire, vous n'avez pas de modèle commercial », peut-on lire dans les commentaires.
L'open source menacé en raison du problème de manque de financement
Le développeur chevronné Bruce Perens a critiqué les licences ouvertes au début de cette année. Il a déclaré que les licences ouvertes ne fonctionnaient pas et que les développeurs de logiciels open source avaient besoin de plus d'incitations financières pour maintenir l'écosystème en vie. « Rémunérer les développeurs de manière équitable pour leur travail », a déclaré Bruce Perens. Et des critiques pensent que « le fair source n'est pas une affaire très importante ». Mais Bruce Perens n'est pas le seul. De nombreux autres développeurs de logiciels open source et libres ont dénoncé cette situation ces dernières années.
Le développeur Jan Kammerath déplore également le manque de financement et de compréhension de l’open source de la part des organisateurs de l’initiative, qui attendent que la communauté open source mette en œuvre leurs concepts gratuitement, sans leur offrir aucun soutien ni récompense. Dans une analyse l'année dernière, Kammerath observe que la plupart sont financés ou contrôlés par de grandes entreprises technologiques, notamment américaines.
La nouvelle licence proposée par Sentry aspire à offrir aux développeurs une liberté sans permettre l’exploitation commerciale non autorisée par des concurrents. Mais certains experts soulignent que le fair source pourrait ajouter une couche de complexité juridique et peut-être même freiner l’innovation. Alors, cette initiative est-elle réellement une avancée ou simplement un rebranding stratégique ? Certains critiques répondent par l'affirmative et restent sceptiques.
Amanda Brock doute que « le concept de fair source modifie la façon dont l'argent est gagné dans le contexte des structures de licence », mais elle admet qu'il peut favoriser la compréhension au sein de la communauté. « La clé, cependant, est qu'il ne tente pas de faire fonctionner une nouvelle définition, car cela pourrait être préjudiciable. S'il tente de faire fonctionner une nouvelle définition, cela n'aidera pas et cela échouera probablement », a déclaré Amanda Brock.
Scott Chacon, cofondateur de GitHub, est l’un des adopteurs de cette nouvelle licence avec son projet GitButler. Le modèle hybride proposé par Sentry pourrait offrir une flexibilité précieuse aux startups cherchant à protéger leur travail tout en contribuant au bien commun. Cependant, est-ce une solution durable pour les grandes entreprises ? À l’heure actuelle, des entreprises comme CodeCrafters, Keygen et PowerSync embrassent également le mouvement fair source.
Sentry navigue entre open source et propriété pour offrir une nouvelle voie
Sentry, une plateforme de surveillance des performances des applications qui aide les entreprises à diagnostiquer les logiciels bogués, était initialement disponible sous une licence open source permissive BSD 3-Clause. Cela dit, en 2019, le produit est passé à Business Source License (BUSL), une licence plus restrictive, initialement créée par MariaDB. Ce choix visait à contrer ce que David Cramer, cofondateur et directeur technique de Sentry, a appelé « les entreprises financées qui plagient ou copient notre travail pour concurrencer directement Sentry ». Cette décision a valu à Sentry de nombreuses critiques.
En août de cette année, Sentry a annoncé qu'il rendait open source un outil de développement récemment acquis, appelé Codecov. Cette annonce a suscité le mécontentement de nombreuses personnes, qui se sont demandé si la société pouvait vraiment l'appeler « open source » étant donné qu'il était publié sous BUSL, une licence qui n'est pas compatible avec la définition de « open source » de l'OSI. De nombreux développeurs ont ce choix ces dernières années.
David Cramer a rapidement publié une sorte d'excuse, expliquant que bien qu'il ait utilisé par erreur le descripteur, la licence BUSL adhère à l'esprit de ce que sont de nombreuses licences dites open source : « les utilisateurs peuvent héberger et modifier eux-mêmes le code sans payer un centime au créateur. Ils ne peuvent simplement pas commercialiser le produit en tant que service concurrent ». Le fair source est considéré comme une réponse à ce mauvais épisode.
Pour justifier son choix de ne pas utiliser une licence open source, Sentry fait savoir à la communauté : « l'open source n'est pas un modèle commercial. L'open source est un modèle de distribution, c'est avant tout un modèle de développement de logiciels. « De fait, elle limite considérablement les modèles économiques possibles, à cause des conditions de licence », a déclaré le responsable « open source » de l'entreprise, Chad Whitacre, à Techcrunch.
Bien sûr, il existe des projets open source qui remportent un franc succès, mais il s'agit généralement de composants de produits propriétaires plus importants. Les entreprises qui ont brandi le drapeau de l'open source ont pour la plupart battu en retraite pour protéger leur travail, passant d'une licence totalement permissive à une licence plus restrictive, comme l'ont fait Element et Grafana, ou abandonnant l'open source, comme l'a fait HashiCorp avec Terraform.
Un rapport de Redmonk, un cabinet d’analystes axé sur les développeurs, a révélé qu’il n’existe pas de lien évident entre le passage d’une licence open source à une licence propriétaire et l’augmentation de la valeur de l’entreprise. Cette étude, menée par l’analyste principal Rachel Stevens, a examiné plusieurs entreprises ayant effectué cette transition, notamment MongoDB, Elastic Co, HashiCorp et Confluent.
Source : Fair source
Et vous ?
Que pensez-vous du concept du « fair source » ? Est-ce pertinent pour l'open source ?
Cette nouvelle licence peut-elle combler les lacunes commerciales du modèle open source traditionnel ?
Le concept du fair source peut-il modifier la façon dont l'argent est gagné par les projets libres et open source actuels ?
Comment améliorer le financement de l'open source et des logiciels tout en préservant les valeurs initiales de ces mouvements ?
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