Microsoft signe un contrat géant d'élimination du carbone pour éponger le CO2 à l'aide de calcaire
certains y voient une opération de greenwashing qui repose sur une technologie incertaine et coûteuse
Microsoft a signé un contrat avec Heirloom Carbon, une startup qui utilise le calcaire pour capturer et stocker le carbone de manière permanente. Le contrat porte sur l’achat de 315 000 tonnes de carbone sur plusieurs années, ce qui représente l’un des plus gros accords de ce type à ce jour. L’accord permettra à Heirloom de financer la construction de deux nouveaux sites commerciaux et de bénéficier du soutien du ministère américain de Énergie. Microsoft poursuit ainsi son objectif de devenir neutre en carbone d’ici à 2030.
Heirloom est un leader mondial dans la technologie de capture directe de l’air et dispose de la seule installation aux États-Unis qui élimine définitivement le CO2 de l’atmosphère. L’entreprise se base sur les propriétés naturelles du calcaire pour piéger le CO2 présent dans l’air et le stocker durablement de différentes façons, comme dans le béton. En accélérant le processus naturel d’absorption du CO2 par le calcaire, qui passe de quelques années à quelques jours, Heirloom se prépare à éliminer le CO2 à faible coût et à grande échelle.
Brian Marrs, responsable principal de l’énergie et du carbone chez Microsoft, a déclaré : « Le contrat de Microsoft avec Heirloom est une nouvelle avancée importante dans la création du marché de l’élimination du carbone de haute qualité et soutient notre objectif de devenir neutre en carbone d’ici à 2030. En tant qu’investisseur et client d’Heirloom, nous pensons que leur approche technique et leur plan sont conçus pour une amélioration rapide afin d’aider à réduire le coût de la capture directe de l’air à grande échelle au rythme urgent nécessaire pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. »
De plus, le contrat entre Microsoft et Heirloom représente l’un des premiers contrats financiers sur l’élimination du dioxyde de carbone. Il donne à Heirloom un moyen de financement essentiel pour les futures installations de capture directe de l’air, comme d’autres projets d’infrastructure à grande échelle ont été financés pendant des décennies.
Shashank Samala, PDG de Heirloom, a déclaré : « Microsoft a été un partenaire formidable pour Heirloom, nous aidant à développer l’une des solutions de capture directe de l’air les plus efficaces au monde. Des contrats financiers de cette envergure permettent à Heirloom d’obtenir un financement de projet pour notre croissance rapide, alimentant ainsi une expansion exponentielle comme celle que nous avons connue dans l’industrie des énergies renouvelables. »
Cet accord assure des flux de trésorerie supplémentaires stables et prévisibles qui sont nécessaires pour permettre le financement de projet des prochaines installations de capture directe de l’air d’Heirloom. Le financement de projet est un levier essentiel du développement d’infrastructures à grande échelle depuis des décennies, et consiste à financer des projets à forte intensité de capital avec les flux de trésorerie futurs générés par ces projets.
Ce mécanisme de financement a notamment été un facteur clé dans la croissance et la commercialisation rapides des technologies éoliennes, solaires et d’autres énergies renouvelables. « Il est très positif de voir des accords de cette envergure, car les entreprises acheteuses, comme Microsoft, peuvent réduire considérablement le coût du capital pour les entreprises de capture directe de l’air qui cherchent à financer des projets d’infrastructure, tels que de futures installations d’élimination du dioxyde de carbone », a déclaré Robert Keepers, directeur général de J.P. Morgan Green Economy Banking.
Microsoft investit dans Heirloom Carbon : les limites et les risques de cette technologie d’élimination du carbone
L’initiative de Microsoft d’acheter du carbone à Heirloom Carbon peut être vue comme une tentative louable de réduire son empreinte carbone et de soutenir une technologie innovante d’élimination du carbone. Toutefois, cette initiative soulève également des questions et des critiques sur son efficacité, sa durabilité et sa pertinence.
D’une part, il faut reconnaître que la technologie d’Heirloom Carbon utilise le calcaire, une roche abondante et peu coûteuse, pour capturer et stocker le carbone de manière permanente. Ce procédé s’inspire du cycle naturel du carbone, qui implique la dissolution des roches silicatées et la formation de coquilles carbonatées par les organismes marins1. Il présente donc l’avantage de ne pas nécessiter de sources d’énergie externes ni de générer de déchets. Il pourrait aussi contribuer à la création d’emplois locaux et à la valorisation des ressources minérales.
D’autre part, il faut aussi s’interroger sur les limites et les risques de cette technologie. Tout d’abord, le potentiel de séquestration du carbone par le calcaire est limité par la disponibilité et la réactivité des roches, ainsi que par la vitesse de réaction chimique. Selon une étude du Cirad, le calcaire ne peut séquestrer que 0,1 à 0,2 tonne de carbone par hectare et par an, ce qui est très faible comparé aux besoins actuels de réduction des émissions.
Ensuite, le transport et la manipulation du calcaire peuvent entraîner des impacts environnementaux négatifs, tels que la pollution de l’air, de l’eau et des sols, la destruction des habitats naturels, ou encore l’émission de gaz à effet de serre. Enfin, il faut se demander si l’achat de carbone à Heirloom Carbon n’est pas une façon pour Microsoft d’éviter de réduire ses propres émissions à la source, en se reposant sur une solution externe qui n’est pas encore éprouvée ni régulée. Il s’agirait alors d’un cas de compensation carbone controversé, qui pourrait nuire à la crédibilité et à la responsabilité de l’entreprise.
Une stratégie écologique ou une tromperie ?
L’initiative de Microsoft d’acheter du carbone à Heirloom Carbon peut être perçue comme une stratégie de greenwashing, c’est-à-dire une tentative de se donner une image écologique trompeuse. En effet, Microsoft est une entreprise qui a une empreinte carbone importante, liée à ses activités numériques, à ses centres de données, à ses produits et à ses services.
Selon son rapport annuel 20201, Microsoft a émis 11,6 millions de tonnes de CO2 en 2020, dont 4,3 millions liées à sa consommation d’électricité. Microsoft affirme vouloir devenir neutre en carbone d’ici à 2030, mais son plan repose largement sur l’achat de crédits carbone et sur le soutien à des technologies d’élimination du carbone qui ne sont pas encore éprouvées ni régulées. Ainsi, Microsoft pourrait continuer à émettre du CO2 tout en se dédouanant de sa responsabilité en payant des tiers pour compenser ses émissions.
Cette pratique pourrait être considérée comme du greenwashing, car elle ne remet pas en cause le modèle économique et les pratiques de Microsoft, mais se contente de les maquiller en vert. De plus, Microsoft pourrait profiter de son image écologique pour attirer des clients et des investisseurs soucieux de l’environnement, sans pour autant leur garantir des produits et des services réellement respectueux du climat et de la biodiversité.
Le Comité économique et social européen (CESE) reconnaît le rôle des technologies d’élimination du dioxyde de carbone (EDC) dans la décarbonation de l’industrie européenne, mais il appelle à une approche prudente et équilibrée. Il met en garde contre les risques de dépendance vis-à-vis de l’EDC, qui ne doit pas se substituer aux efforts de réduction des émissions à la source. Il insiste également sur la nécessité d’évaluer les impacts environnementaux et sociaux des différentes technologies d’EDC, ainsi que de les encadrer par des politiques publiques adaptées.
Un rapport inédit du think tank Carbon180, relayé par Le Figaro, plaide pour le développement et le déploiement de l’élimination du CO2, notamment par le calcaire, comme un levier clé contre le réchauffement climatique. Il souligne le potentiel de cette technique pour créer des emplois, stimuler l’innovation et réduire les coûts. Il appelle les gouvernements à investir davantage dans la recherche et le développement sur l’élimination du CO2, ainsi qu’à créer des incitations économiques pour les acteurs du marché.
Julie Schüpbach, journaliste au Temps, souligne les avantages de cette technique qui permet de transformer le CO2 en roche calcaire de manière permanente et sans risque de fuite. Elle reconnaît toutefois que cette méthode nécessite l’utilisation de grandes quantités d’eau et qu’elle n’est pas applicable partout, car elle dépend de la nature des roches.
Microsoft n’est pas à sa première initiative et n'est pas la seule entreprise à envisager de réduire son empreinte carbone
Selon une étude intitulée Transformative Carbon-Storing Materials : Accelerating an Ecosystem et parrainée par la multinationale technologique, Microsoft, les centres de données et d'autres bâtiments pourraient être fabriqués à partir des matériaux tels que le chanvre et les algues qui stockent le carbone, au lieu d'utiliser du béton qui en émet. Pour Microsoft, si l'industrie du béton était un pays, elle émettrait plus de carbone que n'importe quelle autre nation dans le monde, à l'exception des États-Unis et de la Chine. Pourquoi ? Parce que le béton est fabriqué à des températures élevées qui nécessitent un apport énergétique important et parce qu'il fait appel à des réactions chimiques qui génèrent du CO2.
L’étude examine les matériaux traditionnels et d'autres qui en sont à un stade précoce de développement et qui pourraient être utilisés dans les sols, la structure et le revêtement des bâtiments. Il conclut que les six meilleures perspectives sont les dalles de terre, le béton fabriqué avec un ciment non traditionnel, les briques et les panneaux fabriqués avec des algues ou des fibres cultivées à dessein, et les tubes structurels fabriqués à partir de mycélium (fils produits par des champignons). « Ces matériaux suscitent un enthousiasme réaliste et méritent d'être investis pour faciliter et accélérer leur prototypage, leur mise à l'échelle, leur fabrication et leur utilisation commerciale dans la chaîne d'approvisionnement du secteur du bâtiment », indique le rapport.
Meta, la société qui possède Facebook, a conclu un accord portant sur 6,75 millions de crédits carbone avec une société mondiale de financement climatique, Aspiration Partners, pour favoriser la mise en œuvre de solutions d’élimination du carbone basées sur la nature. Meta cherche à réduire son empreinte carbone et à soutenir des projets environnementaux et sociaux à travers le monde. Aspiration affirme que ses crédits carbone sont les plus transparents et les plus contrôlés du marché, et qu’ils contribuent à financer des initiatives telles que la protection des forêts, la restauration des océans ou la distribution de cuisinières propres.
Un crédit carbone représente une tonne de CO2. C’est la définition physique du crédit carbone. Malgré tout, sa définition juridique n’est pas toujours la même en fonction du marché sur lequel s’échange ce crédit carbone. De la sorte, il correspond soit à l’émission soit à la réduction d’une tonne de CO2. C’est un outil qui permet de favoriser la transition énergétique. Un crédit carbone est donc unité qui peut se vendre et s’acheter. Il est l’équivalent d’une tonne de CO2 évitée ou séquestrée. Ce crédit carbone a été mis en place dans le but de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Les acteurs peuvent donc se les échanger, en fonction d’une émission trop élevée ou non.
L’initiative de Microsoft d’acheter du carbone à Heirloom Carbon est une démarche intéressante, mais qui doit être accompagnée d’une analyse critique et d’un suivi rigoureux. Il ne faut pas oublier que l’élimination du carbone n’est pas une solution miracle, mais un complément aux efforts de réduction des émissions. Il faut également veiller à ce que les technologies d’élimination du carbone soient respectueuses de l’environnement et des droits humains, et qu’elles soient encadrées par des politiques publiques adaptées.
Source : Businesswire
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Quelle est la légitimité de Microsoft à se présenter comme un acteur engagé pour le climat, alors qu’elle est l’une des entreprises les plus polluantes du secteur numérique ?
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