
Envoyé par
1984
Et le département des Archives, après tout, n’était lui-même
qu’une simple branche du ministère de la Vérité, dont la principale
mission n’était pas de reconstruire le passé mais de fournir aux
citoyens d’Océania des journaux, des films, des manuels, des
programmes de télécran, des pièces de théâtre, des romans — contenant
tous les types d’informations, d’enseignements ou de divertissements
imaginables, de la statue au slogan, du poème lyrique au traité de
biologie, et du manuel d’orthographe pour enfant à un dictionnaire
de nouvelangue. Et le Ministère devait non seulement répondre aux
divers besoins du Parti, mais aussi répéter la même opération au
niveau inférieur pour le prolétariat. Il y avait toute une chaîne parallèle
de départements s’occupant de la littérature, de la musique, du
théâtre et du divertissement prolétarien. Là étaient produits tous les
journaux de caniveau qui ne contenaient rien d’autre que du sport,
du fait-divers et de l’astrologie, les nouvelles sensationnalistes à cinq
cents, les films suintant de sexe, et les chansons sentimentalistes qui
étaient entièrement composées mécaniquement sur un kaléidoscope
spécial appelé un versificateur.
[... Plusieurs chapitres plus tard ...]
Dès que sa bouche était libérée des pinces à linge, elle chantait dans
un puissant contralto :
> C’était un amourrr impossibleuh,
> Courrrt comme un jourrr d’avril-euh,
> Juste un mot, juste un regarrrd-euh, et le rrrêve s’évanouit
> Avec mon cœurrr il s’est enfui !
Ce chant hantait Londres depuis des semaines. C’était une des
nombreuses chansons similaires produites au bénéfice des prolos par
une sous-section du département des Musiques. Les paroles de ces
chansons étaient composées sans aucune intervention humaine sur
un instrument appelé un versificateur. Mais la femme le chantait si
harmonieusement qu’elle transformait l’horrible immondice en un
chant presque plaisant
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