Telegram aurait transmis les données personnelles de ses utilisateurs aux autorités fédérales allemandes
après qu'elles ont menacé de fermer l'application de messagerie

Des journalistes d'investigation allemands ont publié au début du mois un rapport alléguant que Telegram a répondu à un certain nombre de demandes de données de la police criminelle fédérale allemande concernant des suspects de terrorisme et d'abus d'enfants. Cependant, l'entreprise de médias sociaux a réfuté les allégations, insistant sur le fait qu'elle n'a jamais partagé de données personnelles d'utilisateur avec une quelconque partie tierce, y compris le gouvernement. Le rapport précise toutefois que d'autres demandes de données concernant d'autres affaires criminelles ont été plus ou moins ignorées.

Les applications de messagerie qui offrent un chiffrement de bout en bout (end-to-end encryption ou E2EE) peuvent prétendre protéger leurs utilisateurs en affirmant qu'ils ont jeté la clé - au sens métaphorique et littéral - et qu'ils ne peuvent pas défaire ce qui a été brouillé lors de la transmission. Telegram, cependant, affirme qu'il protège tous les utilisateurs, qu'ils utilisent ou non le chiffrement de bout en bout. L'entreprise explique que les demandes de données gouvernementales doivent être particulièrement exigeantes avant que Telegram ne s'y conforme et qu'il n'a jamais accédé à de telles demandes.

Mais un groupe de journalistes d'investigation allemands estime que ce n'est pas le cas. Selon ces derniers, les exploitants de l'application de messagerie Telegram auraient - contrairement à ce qui a été présenté publiquement jusqu'à présent - transmis dans plusieurs cas des données d'utilisateurs à l'Office fédéral allemand de police criminelle (BKA). Il s'agirait de données de suspects dans les domaines de l'abus d'enfants et du terrorisme. La nature ou le type des données supposément divulguées n'a pas été précisé dans le rapport, mais les auteurs estiment que cela allait au-delà de l'adresse IP et le numéro de téléphone.

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En effet, à ce jour, Telegram a maintenu dans la section FAQ de son site Web qu'il n'a jamais transféré "aucun octet de données utilisateur" à des tiers, y compris des gouvernements. Dans la section 8.3 de sa politique de confidentialité, mise à jour pour la dernière fois en 2018, l'entreprise affirme qu'elle divulgue les adresses IP et les numéros de téléphone des utilisateurs aux autorités lorsqu'on lui présente un mandat pour des accusations liées au terrorisme. Cependant, bien qu'elle ait promis de publier des rapports semestriels sur toute activité de divulgation, elle ne l'a jamais réellement fait.

Selon le rapport, un canal de rapport de transparence de Telegram, actualisé tous les six mois, n'a pas non plus enregistré de transmission de données aux autorités. Le rapport allègue également qu'en février, le ministère fédéral allemand de l'Intérieur aurait eu une discussion directe avec Telegram afin d'inciter le service à coopérer avec les autorités allemandes et à bloquer les contenus punissables. Lors du premier échange, le PDG de Telegram Pawel Durow en personne serait apparu dans l'appel vidéo, aux côtés de trois autres représentants de haut niveau de l'entreprise, dont un cadre supérieur germanophone.

Les participants ont décrit l'échange comme étant tout à fait amical et constructif. En outre, Durow aurait souligné l'importance du marché allemand et aurait signalé qu'il prenait au sérieux les préoccupations et les exigences. Il aurait été établi de mettre en place un canal direct fiable au niveau du travail. Selon les informations du rapport, deux autres entretiens auraient eu lieu depuis entre les collaborateurs de Telegram et le ministère fédéral allemand de l'Intérieur, des représentants du ministère fédéral allemand de la Justice y ont également participé.

Entre-temps, Telegram aurait créé une adresse e-mail spécialement pour le BKA. Selon le rapport, c'est à cette adresse que les enquêteurs s'adressent lorsqu'ils découvrent, dans le cadre d'une enquête, des contenus punissables que Telegram doit bloquer. Le BKA aurait ainsi signalé plus d'une centaine de canaux et de groupes allemands à Telegram, et le rapport allègue que presque tous ne sont effectivement plus accessibles depuis l'Allemagne. La ministre allemande de l'Intérieur Nancy Faeser aurait expliqué qu'elle avait exercé une pression considérable dès son premier jour de fonction afin d'amener Telegram à coopérer.

En effet, en janvier, Faeser a laissé entendre que Berlin pourrait fermer Telegram et qu'elle était en pourparlers avec des partenaires de l'UE sur la meilleure façon de réglementer le service de messagerie. « Nous avons pris contact avec la direction de Telegram. Lors d'une première discussion constructive sur la poursuite de la coopération, nous avons convenu de poursuivre et d'intensifier les échanges. Cette étape est une bonne réalisation sur laquelle nous allons nous appuyer », a déclaré Faeser dans un tweet du 4 février. « Cette pression est efficace », a ajouté la ministre allemande de l'Intérieur.

Elle voit en outre des problèmes persistant avec le service. « L'application ne doit plus être un accélérateur d'incendie pour les extrémistes de droite, les idéologues du complot et autres agitateurs. Nous continuerons à faire pression pour que la plateforme remplisse ses obligations légales », a déclare Faeser. Le rapport indique qu'en raison des pressions, Telegram s'est mis à bloquer plus de canaux/groupes en Allemagne. Ainsi, l'organisation allemande "Center für Monitoring, Analyse und Strategie" (CeMAS) enregistrerait davantage de blocages et de suppressions que l'année précédente.

Mais elle ne peut pas encore identifier de changement de cap fondamental chez Telegram. « Elle surveillerait désormais de manière automatisée environ 3000 canaux et groupes germanophones dans lesquels sont diffusés des contenus idéologiques conspirationnistes et d'extrême droite. Parmi ce pool, 81 canaux et 90 groupes sont actuellement restreints ou bloqués », explique Josef Holnburger, expert du CeMAS. À titre de comparaison, le rapport indique que sur l'ensemble de l'année précédente, seuls 25 chaînes et groupes comparables avaient disparu.

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Par ailleurs, Telegram risquerait de devoir payer des amendes allant jusqu'à 55 millions d'euros en raison de deux procédures d'amende de l'Office fédéral allemand de la justice. L'autorité reproche au service de messagerie des violations de la loi allemande sur l'application des réseaux. L'office de Bonn a ouvert les deux procédures dès le printemps 2021. Cependant, malgré plusieurs tentatives, les courriers officiels n'ont pas pu être envoyés à une adresse officielle de Telegram à Dubaï. En mars de cette année, les autorités allemandes ont choisi de publier les lettres sous forme abrégée dans la publication officielle Bundesanzeiger.

Depuis, un cabinet d'avocats représentant Telegram dans cette affaire a consulté la version complète des lettres d'audience à Bonn. Pour le ministre fédéral de la Justice Marco Buschmann (FDP), cette évolution montre que "personne ne peut se dérober en restant injoignable" : « notre État de droit est capable de se défendre et de s'imposer, même face à des fournisseurs étrangers ». Notons que Telegram est devenu très populaire auprès des manifestants et des activistes en Allemagne après que les plateformes de médias sociaux comme Facebook se sont montrées plus dociles aux demandes du gouvernement de réprimer ce qu'elles prétendent être de la désinformation.

Le ministre allemand de la Justice a déclaré que Telegram est tenu de mettre en place des systèmes de plainte pour les signalements de contenus punissables par les utilisateurs. Selon lui, l'absence d'une telle procédure de notification prescrite par la loi et accessible en permanence est également l'un des reproches dans les procédures d'amende en cours. Selon les auteurs du rapport, le fait que Telegram fournisse des informations sur les utilisateurs aux autorités marque au moins un revirement prudent dans le cours des choses de l'entreprise fondée en 2013.

Pendant longtemps, les enquêteurs allemands n'ont reçu aucune réponse lorsqu'ils voulaient savoir qui se cachait derrière les comptes Telegram qui diffusaient des contenus punissables sur le réseau. Les opérateurs continuent de déclarer sur leur site : « jusqu'à aujourd'hui, nous avons transmis 0 octet de données d'utilisateurs à des tiers, y compris à tous les gouvernements ». Rappelons que dans le même ordre d'idées, la Russie a purgé l'application de l'entreprise en 2018 du pays pour avoir refusé de remettre ses clés de chiffrement en vertu des lois antiterroristes fédérales.

Telegram a conclu un accord avec le Kremlin en 2020 qui verrait l'application revenir en Russie avec une application accrue de la loi sur toute la plateforme. Mais tout cela laisse des questions sans réponse sur la quantité de données d'utilisateur que la société a donné aux gouvernements. Pendant ce temps, Signal, un concurrent de Telegram, WhatsApp et d’autres applications de messagerie, déclare avoir activé par défaut le chiffrement de bout en bout pour tous les utilisateurs et ne collecte aucune donnée sur les utilisateurs en dehors du numéro de téléphone, la date de la création du compte et la date de la dernière connexion.

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