La Cour de justice de l'UE estime que YouTube n'est pas responsable des contenus postés par les utilisateurs,
à condition que des moyens soient mis en place pour lutter contre la violation des droits d’auteur

La Cour constitutionnelle allemande a saisi la Cour de justice de l'Union européenne au sujet d'une affaire opposant YouTube et un producteur de musique allemand. Frank Peterson, qui dispose de droits sur les concerts de la soprano britannique Sarah Brightmann, demandait des dommages-intérêts à l’entreprise américaine, en raison de vidéos d’un spectacle de la chanteuse postée sur YouTube. Les juges ont rendu leur verdict sur cette affaire qui est vieille de près d'une décennie.

Dans le même arrêt, les juges ont rendu leur verdict sur une affaire de la même nature opposant Elsevier Inc. à Cyando AG.

Ils ont estimé que la responsabilité des plateformes en ligne vis-à-vis des contenus illégaux postés par leurs utilisateurs n'est pas engagée dès lors que ces dernières mettent en place des moyens rapides pour supprimer ou bloquer l’accès aux contenus problématiques :

« Une plateforme de partage de vidéos ou une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers, sur laquelle des utilisateurs peuvent mettre illégalement à la disposition du public des contenus protégés, n’effectue pas une "communication au public" de ceux-ci, au sens de cette disposition [du Parlement européen sur l'harmonisation des droits d'auteur], à moins qu’il ne contribue, au-delà de la simple mise à disposition de la plateforme, à donner au public accès à de tels contenus en violation du droit d’auteur. Tel est notamment le cas lorsque cet exploitant a concrètement connaissance de la mise à disposition illicite d’un contenu protégé sur sa plateforme et s’abstient de l’effacer ou d’en bloquer l’accès promptement ».

La Cour de justice européenne considère donc qu’une mise en cause est possible si les plateformes « contribuent, au-delà de la simple mise à disposition de la plateforme, à donner au public accès » à ces contenus ou encore lorsqu’elles « participent à la sélection de contenus protégés communiqués illégalement au public, fournissent des outils destinés spécifiquement au partage illicite de tels contenus ou promeuvent sciemment de tels partages ».

La plateforme de vidéos de Google, qui faisait l’objet d’une plainte déposée par le producteur de musique après la diffusion en 2008 de plusieurs de ses œuvres protégées sur YouTube, a rappelé pour sa défense qu'elle a installé sur le site un bouton de signalement des contenus illicites, mais aussi qu'elle recourt à des logiciels de reconnaissance de contenus protégés. Sa responsabilité n'est donc pas engagée au sens de la CJUE puisqu'elle a « déployé des mesures techniques visant à contrer de manière crédible et efficace les violations du droit d’auteur sur sa plateforme ».

Néanmoins, ce jugement n'aura qu’une « portée limitée à long terme », en raison de la « nouvelle directive européenne sur les droits d’auteurs », a reconnu un porte-parole de la CJUE. En effet, l’Union européenne a adopté en 2019 une nouvelle législation, qui permet d’accroître les obligations des plateformes en la matière, mais qui ne s’applique pas dans ce cas d’espèce postérieur à la loi.

L’article 17 de cette directive impose aux plateformes de rémunérer les producteurs de contenus, via des accords de licence. En l’absence d’accord, les hébergeurs doivent mettre en place des « mesures préventives garantissant l’indisponibilité des œuvres non autorisées ».


Suite à la publication de l'arrêt, un porte-parole de Google a indiqué que « rien qu’au cours des 12 derniers mois, nous avons versé quatre milliards de dollars à l’industrie de la musique, dont plus de 30 % proviennent de revenus liés aux contenus générés par les utilisateurs ».

Exposé des motifs

Frank Peterson contre YouTube LLC

M. Peterson est un producteur de musique et soutient être propriétaire de la société Nemo Studios.

YouTube exploite la plateforme Internet éponyme sur laquelle les utilisateurs peuvent téléverser (upload) gratuitement leurs propres vidéos et les mettre à la disposition d’autres internautes. Google est l’associée unique et la représentante légale de YouTube. YouTube Inc. et Google Germany GmbH ne sont plus parties au litige.

Le 20 mai 1996, la société Nemo Studio Frank Peterson a conclu avec l’artiste Sarah Brightman un contrat d’artiste exclusif de portée mondiale relatif à l’exploitation d’enregistrements audio et vidéo de ses spectacles. Ce contrat a fait l’objet en 2005 d’un accord complémentaire. Le 1er septembre 2000, M. Peterson a conclu en son nom et au nom de la société Nemo Studios un accord de licence avec Capitol Records Inc. portant sur la distribution exclusive des enregistrements et des spectacles de Sarah Brightman par Capitol Records.

Au mois de novembre 2008, l’album A Winter Symphony, composé d’œuvres interprétées par l’artiste, a été commercialisé. Le 4 novembre 2008, Sarah Brightman a débuté une tournée, dénommée « Symphony Tour », au cours de laquelle elle a interprété les œuvres enregistrées sur l’album.

Les 6 et 7 novembre 2008, des œuvres tirées de cet album et des enregistrements privés de concerts de cette tournée étaient consultables sur la plateforme Internet YouTube et couplés à des images fixes ainsi qu’à des images animées. Par courrier du 7 novembre 2008, M. Peterson, produisant, à l’appui de sa demande, des captures d’écran destinées à établir les faits qu’il dénonce, s’est adressé à Google Germany et a exigé de celle-ci ainsi que de Google qu’elles fournissent des déclarations d’abstention sous peine de sanction. Google Germany s’est ensuite adressée à YouTube, qui a recherché manuellement, à l’aide des captures d’écran transmises par M. Peterson, les adresses Internet (URL) des vidéos en cause et en a bloqué l’accès. Les parties s’opposent sur l’étendue de ces blocages d’accès.

Le 19 novembre 2008, des enregistrements audio de spectacles de l’artiste, couplés à des images fixes et à des images animées, pouvaient de nouveau être consultés sur la plateforme Internet YouTube.

En conséquence, M. Peterson a introduit devant le Landgericht Hamburg (tribunal régional d’Hambourg, Allemagne) contre Google et YouTube (ci-après, ensemble, les « défenderesses au principal ») une action en cessation, en communication de renseignements et en constatation de leur obligation de verser des dommages-intérêts. À l’appui de cette action, il a invoqué ses droits propres en tant que producteur de l’album A Winter Symphony ainsi que les droits propres et les droits découlant de ceux de l’artiste liés à l’exécution des œuvres contenues dans cet album réalisé avec sa participation artistique en tant que producteur et choriste. Il fait en outre valoir, à l’égard des enregistrements des concerts de la tournée « Symphony Tour », qu’il est le compositeur et l’auteur des textes de diverses œuvres de l’album. De plus, il détiendrait, en tant qu’éditeur, des droits dérivés de ceux des auteurs à l’égard de diverses œuvres musicales.

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Par arrêt du 3 septembre 2010, la juridiction saisie a fait droit au recours en tant qu’il porte sur trois œuvres musicales et a rejeté le recours pour le surplus.

M. Peterson ainsi que les défenderesses au principal ont fait appel de cette décision devant l’Oberlandesgericht Hamburg (tribunal régional supérieur d’Hambourg, Allemagne). M. Peterson a demandé qu’il soit interdit aux défenderesses au principal de mettre à la disposition du public, dans des versions synchronisées ou reliées d’une autre manière à des contenus de tiers ou à des fins publicitaires, douze enregistrements audio ou interprétations figurant dans l’album A Winter Symphony de l’artiste Sarah Brightman, qu’il a produit, ainsi que douze œuvres musicales de sa composition tirées de concerts de la tournée « Symphony Tour » ou, à titre subsidiaire, de permettre à des tiers une telle mise à la disposition du public des œuvres concernées. Il a en outre exigé la communication de renseignements sur les activités illicites et sur le chiffre d’affaires ou les bénéfices réalisés grâce à ces activités. Il a également demandé la condamnation de YouTube au paiement de dommages-intérêts et celle de Google à la répétition de l’indu. À titre subsidiaire, il a demandé à obtenir des renseignements sur les utilisateurs de la plateforme Internet YouTube qui ont téléversé les titres en question en utilisant des pseudonymes.

Par arrêt du 1er juillet 2015, l’Oberlandesgericht Hamburg (tribunal régional supérieur d’Hambourg) a en partie réformé l’arrêt rendu en première instance et a condamné les défenderesses au principal à ne pas permettre aux tiers, en ce qui concerne sept œuvres musicales, de mettre à la disposition du public, dans des versions synchronisées ou reliées d’une autre manière à des contenus de tiers ou à des fins publicitaires, des enregistrements audio ou des interprétations par l’artiste tirés de l’album A Winter Symphony. Il a de plus condamné les défenderesses au principal à indiquer les noms et les adresses postales des utilisateurs de la plateforme qui ont téléversé les œuvres musicales sur celle-ci en utilisant un pseudonyme ou, à défaut d’adresse postale, l’adresse électronique de ces utilisateurs. La juridiction d’appel a rejeté le recours pour le surplus, comme étant en partie irrecevable et en partie dénué de fondement.

S’agissant des sept œuvres musicales tirées de l’album A Winter Symphony, la juridiction d’appel a considéré que les droits de M. Peterson ont été violés en raison du fait que ces œuvres ont été placées sans autorisation sur la plateforme de partage de vidéos de YouTube et rattachées à des images animées, comme des films tirés de la vidéo promotionnelle de l’artiste. Elle a considéré que YouTube n’est pas responsable de ces infractions en tant qu’auteur ou complice, dès lors qu’elle n’aurait joué aucun rôle actif dans la création ou le placement des contenus litigieux sur la plateforme et n’aurait pas non plus fait siens ces contenus provenant de tiers. En outre, elle n’aurait pas fait preuve de l’intention nécessaire pour être responsable en tant que complice, étant donné qu’elle n’aurait pas eu connaissance des infractions concrètes. YouTube serait néanmoins responsable en tant que « perturbatrice » (Störerin), dès lors qu’elle aurait violé les obligations de comportement qui lui incombent. Ainsi, en ce qui concerne lesdites œuvres, alors que des activités illicites portant sur ces dernières lui auraient été signalées, elle n’aurait pas immédiatement effacé les contenus incriminés ou bloqué l’accès à ces contenus.

En revanche, en ce qui concerne les enregistrements de concerts de la tournée « Symphony Tour », YouTube n’aurait violé aucune obligation de comportement. Les vidéos sur lesquelles figurent les œuvres musicales désignées auraient certes été illégalement placées par des tiers sur la plateforme de partage de vidéos. YouTube n’aurait cependant pas été suffisamment informée de ces infractions ou aurait procédé à temps aux blocages d’accès des contenus en question qui s’imposaient, voire ne pourrait pas se voir reprocher d’avoir violé l’obligation de procéder immédiatement au blocage de ces contenus.

Source : Cour de justice de l'Union européenne

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