Les ultrasons permettent de lire le cerveau des singes, ouvrant une nouvelle voie pour contrôler les machines par la pensée
les patients pourraient préférer cette technologie moins invasive aux puces implantées dans le cerveau

L'enthousiasme des chercheurs et des organisations pour la recherche et le développement d'interfaces cerveau-machine (ICM) s'est grandement développé lors de ces dernières années. Pour le moment, les dispositifs de contrôle de l'esprit les plus avancés testés chez l'homme ou les animaux reposent sur de minuscules fils ou puces insérées dans le cerveau, comme la dernière puce de Neuralink qui a été testée sur un singe. Mais les résultats d'une récente étude menée sur les ultrasons pourraient permettre des avancées majeures dans le domaine des ICM. Les chercheurs ont utilisé l'imagerie par ultrasons pour prédire les mouvements intentionnels des yeux ou des mains d'un singe.

« Les nouvelles technologies sont essentielles pour comprendre l'activité dynamique des circuits et systèmes neuronaux dans le cerveau. Nous avions démontré qu'une approche peu invasive basée sur les ultrasons peut être utilisée pour détecter les corrélats neuronaux de la planification des mouvements, y compris les directions et les effecteurs », ont écrit les chercheurs en résumé à leur étude. Le rapport de l'étude est publié sur Neuron, une revue scientifique spécialisée dans le domaine des neurosciences. En effet, l'imagerie par ultrasons utilise des ondes sonores à haute fréquence pour visualiser l'intérieur du corps.

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Les images étant capturées en temps réel, elles peuvent également montrer le mouvement des organes internes du corps ainsi que la circulation du sang dans les vaisseaux sanguins. Contrairement à l'imagerie par rayons X, il n'y a pas d'exposition aux rayonnements ionisants associée à l'imagerie par ultrasons. L'imagerie par ultrasons, utilise un plan sonore large et plat. Comme l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), les ultrasons fonctionnels mesurent les modifications du flux sanguin qui indiquent quand les neurones sont actifs et dépensent de l'énergie.

Mais elle crée des images d'une résolution beaucoup plus fine que l'IRMf et ne nécessite pas que les participants soient allongés dans un énorme scanner. En utilisant cette technique, des chercheurs américains, australiens et français sont parvenus à prédire les mouvements intentionnels des yeux ou des mains d'un singe. Selon ces derniers, les résultats de l'étude constituent des informations qui pourraient permettre des avancées dans la mise en place d'IHM moins invasives. « Ces travaux mettront les ultrasons sur la carte en tant que technique d'interface cerveau-machine », a déclaré Krishna Shenoy, neuroscientifique de l'université de Stanford, qui n'a pas participé à l'étude.

« Ajouter cela à la boîte à outils est spectaculaire », a-t-elle ajouté. D'après le neuroscientifique Richard Andersen de l'Institut de technologie de Californie (Caltech), coauteur de l'étude, la méthode qu'ils ont exploitée nécessite toujours l'ablation d'un petit morceau de crâne, mais contrairement aux électrodes implantées qui lisent directement l'activité électrique des neurones, elle n'implique pas l'ouverture de la membrane protectrice du cerveau. Andersen a expliqué que les ultrasons fonctionnels sont en mesure de lire les régions profondes du cerveau sans pénétrer dans les tissus.

Toutefois, l'ingénieur biochimiste de Caltech Mikhail Shapiro, un autre coauteur de l'étude, a précisé que, mesurer l'activité neuronale à distance implique de sacrifier un peu de vitesse et de précision. « Comparés aux relevés effectués par les électrodes, les ultrasons fonctionnels fournissent un signal moins direct. On s'est donc demandé quelle quantité d'informations les images ultrasoniques contenaient réellement », a continué d'expliquer Shapiro. Selon les universitaires, les images pouvaient révéler l'activité neuronale lorsque le cerveau se préparait à un mouvement.

Mais ce signal était-il suffisamment détaillé pour qu'un ordinateur parvienne à décoder le mouvement prévu ? Pour le savoir, ils ont inséré de petits transducteurs à ultrasons (de la taille et de la forme d'un domino) dans le crâne de deux macaques rhésus. Le dispositif, relié par un fil à un ordinateur, dirigeait les ondes sonores vers une région du cerveau appelée cortex pariétal postérieur, qui intervient dans la planification des mouvements. Les singes ont été entraînés à concentrer leurs yeux sur un petit point au centre d'un écran tandis qu'un second point clignotait brièvement à gauche ou à droite.

Lorsque le point central disparaissait, les animaux déplaçaient leurs yeux vers le point où le second point venait de clignoter. Dans une autre série d'expériences, ils tendaient la main et déplaçaient une manette, au lieu de leurs yeux, vers ce point. Un algorithme informatique a ensuite traduit les données en suppositions sur les intentions des singes. Cet algorithme pouvait déterminer quand les animaux se préparaient à bouger et s'ils prévoyaient un mouvement des yeux ou une extension du bras. Les scientifiques ont pu prédire si un mouvement serait à gauche ou à droite avec une précision d'environ 78 % pour les mouvements oculaires.

La méthode basée sur les ultrasons n'égale pas les performances des implants

Selon le rapport de l'étude, ce pourcentage a grimpé à 89 % dans la prédiction du mouvement d'extension du bras. Deux études précédentes ont utilisé des données d'ultrasons fonctionnels sur le cerveau des singes pour reconstituer ce que les animaux voyaient ou leurs mouvements oculaires. Mais pour ce faire, il fallait calculer la moyenne des signaux sur de longues périodes ou sur plusieurs mouvements. Dans la nouvelle étude, les chercheurs ont recueilli suffisamment de données pour faire une prédiction à chaque cycle de l'expérience, c'est-à-dire chaque fois que le singe planifiait un mouvement.

« C'est une caractéristique importante. Par exemple, l'utilisateur d'un bras robotisé ne devrait penser qu'une seule fois au mouvement qu'il souhaite effectuer pour faire bouger le bras. On ne veut pas que les sujets aient à faire de nombreuses [tentatives de mouvements] pour décoder leurs intentions », a expliqué Maureen Hagan, neuroscientifique à l'université Monash, qui a étudié la façon dont le cerveau orchestre le mouvement. Selon Shenoy, l'étape suivante consistera à utiliser les prédictions de l'ordinateur en temps réel pour guider la main d'un robot ou un curseur.

Il ajoute que les ultrasons fonctionnels "ont encore du chemin à parcourir avant de pouvoir approcher les performances des technologies implantées", tant en matière de vitesse que de complexité des mouvements qu'ils peuvent décoder. Par exemple, les implants d'électrodes peuvent déjà décoder les mouvements du bras dans de nombreuses directions, et pas seulement à gauche et à droite. Mais certains patients pourraient préférer une prothèse qui les connecte à un ordinateur sans pénétrer dans leur cerveau. « C'est tellement personnel. Les patients veulent des options », a déclaré Shenoy.

La neuroscientifique Emilie Macé, de l'Institut Max Planck de neurobiologie, a déclaré que, les signaux de flux sanguin étant plus lents que les signaux électriques, la vitesse est une limite inhérente aux ultrasons fonctionnels. Elle a ajouté que les chercheurs avaient besoin de données provenant d'une période d'environ deux secondes pour décoder la planification des mouvements des singes. Enfin, elle a déclaré que les ultrasons pourraient guider un bras robotique à condition qu'un ordinateur puisse rapidement diriger les mouvements de motricité fine du bras à partir du signal de l'utilisateur.

Coauteure de l'étude, Macé a participé au développement de la technologie à ultrasons dans le laboratoire du physicien Mickael Tanter de l'INSERM, l'agence française de recherche biomédicale. Macé prévoit de nombreuses améliorations futures de la technique, notamment en lui permettant de collecter plus d'informations en imaginant des morceaux de tissu en 3D au lieu d'un plan plat. « La technologie n'a absolument pas encore atteint son plein potentiel », a-t-elle conclu.

Source : Rapport de l'étude

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