L'Europe envisage d'obliger les grandes entreprises technologiques à partager des données avec la concurrence
et de leur interdire de préinstaller exclusivement leurs propres applications en vertu du Digital Service Act

Les législateurs européens envisagent de définir de nouvelles règles pour les grandes enseignes numériques qui pourraient inclure de les forcer à partager des données avec de plus petits concurrents et/ou imposer des limites étroites sur la façon dont elles peuvent utiliser les données dans le but d'uniformiser les règles du jeu numériques.

Selon le brouillon, les « contrôleurs d’accès » (gatekeepers), tels que les entreprises ayant un pouvoir de goulot d'étranglement ou un statut de marché stratégique, ne seront pas autorisés à utiliser les données collectées sur leurs plateformes pour cibler les utilisateurs, à moins que ces données ne soient partagées avec des concurrents. « Les contrôleurs d'accès ne doivent pas préinstaller exclusivement leurs propres applications ni exiger des développeurs de systèmes d'exploitation tiers ou des fabricants de matériel de préinstaller exclusivement la propre application des contrôleurs d'accès », peut-on lire sur le document.

D'autres idées évoquées sont l'interdiction pour les plateformes dominantes de favoriser leurs propres services ou d’obliger les utilisateurs à souscrire à un ensemble de services, selon le brouillon du Digital Service Act (DSA, loi sur les services numériques) que les législateurs européens devraient introduire avant la fin de l'année.

Le brouillon du DSA suggère qu'il pourrait y avoir des restrictions majeures sur les infrastructures numériques clés telles que l'App Store iOS d'Apple et le Google Play Store Android, ainsi que des limites potentielles sur la façon dont la grande enseigne du commerce électronique Amazon pourrait utiliser les données des marchands vendant sur sa plateforme (notons que la Commission mène déjà une enquête sur le sujet).

Motivations

La Commission européenne adopte une ligne ferme contre les grandes enseignes technologiques américaines, en partie motivée par des affaires antitrust qui ont abouti à des décisions qui n'ont par la suite pas réussi à stimuler la concurrence en raison du long processus qui prend généralement plusieurs années.

D’ailleurs, comme illustration, nous pouvons citer une étude publiée ce lundi par 25 concurrents de Google qui indique que l’entreprise a renforcé sa position sur le marché trois ans après que les autorités antitrust de l'UE lui ont ordonné de cesser de favoriser son propre service de comparaison de prix.

« Elle (la proposition de Google) a encore renforcé la position de Google sur les marchés nationaux des services de comparaison de prix et a consolidé sa position dominante dans la recherche générale », a déclaré Thomas Hoppner, auteur de l'étude et conseiller de plusieurs concurrents de Google. « Ce n’est pas parce que la Commission a imposé la mauvaise solution, c’est parce que le mécanisme de conformité choisi par Google ne respecte pas le recours imposé », a-t-il déclaré.

Hoppner a appelé la Commission soit à forcer Google à proposer une solution plus efficace, soit à sanctionner l'entreprise pour violation de ses directives. La Commission a déclaré qu'elle surveillait le marché pour évaluer l'efficacité de la proposition de Google.

Google a déclaré que les chiffres de l’étude ignoraient les faits et le raisonnement de la Commission dans sa décision : « La solution fonctionne avec succès depuis trois ans, générant des milliards de clics pour plus de 600 services de comparaison de prix, et est soumise à une surveillance intensive », a déclaré une porte-parole de l’entreprise.

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Quoi qu’il en soit, la situation générale est devenue urgente en raison de la dépendance de milliers d'entreprises européennes à l'égard des géants de la technologie pour leurs activités.

Aussi, la Commission européenne indique :

« Le cadre juridique des services numériques est resté inchangé depuis l'adoption de la directive sur le commerce électronique en 2000. Depuis lors, cette directive a été la pierre angulaire de la réglementation des services numériques dans l'Union européenne.

« Cependant, le monde en ligne et l'utilisation quotidienne des moyens numériques changent chaque jour. Au cours des 20 dernières années, de nombreuses nouvelles façons de communiquer, d'acheter ou d'accéder à l'information en ligne ont été développées, et ces méthodes sont en constante évolution. Les plateformes en ligne ont apporté des avantages significatifs aux consommateurs et à l’innovation, ainsi qu’une grande efficacité dans le marché intérieur de l’Union européenne. Ces plateformes en ligne facilitent les échanges transfrontaliers à l'intérieur et à l'extérieur de l'Union et ouvrent des opportunités commerciales entièrement nouvelles à une variété d'entreprises et de commerçants européens en facilitant leur expansion et leur accès à de nouveaux marchés

« Bien que les nouveaux services, technologies et modèles commerciaux aient apporté de nombreuses opportunités dans la vie quotidienne des citoyens européens, ils ont également créé de nouveaux risques pour les citoyens et la société dans son ensemble, les exposant à une nouvelle gamme de produits, d'activités ou de contenus illégaux.

« En outre, de nombreuses entreprises en ligne ont été aux prises avec des problèmes systématiques familiers à l'économie des plateformes concernant la contestabilité, l'équité et la possibilité d'entrée sur le marché. Les grandes plateformes en ligne sont capables de contrôler des écosystèmes de plateformes de plus en plus importants dans l'économie numérique. En règle générale, ils ont la capacité de connecter de nombreuses entreprises à de nombreux consommateurs via leurs services qui, à leur tour, leur permet de tirer parti de leurs avantages, tels que leur accès à de grandes quantités de données, à partir d'un domaine de leur activité pour améliorer ou développer de nouveaux services sur les marchés adjacents.

« Le marché unique européen nécessite donc un cadre juridique moderne pour garantir la sécurité des utilisateurs en ligne et permettre aux entreprises numériques innovantes de se développer, tout en respectant les principes de base qui sous-tendent le cadre juridique actuel de la directive sur le commerce électronique. »

Le brouillon de la loi sur les services numériques a été en consultation publique ouverte

La Commission indique que :

« Le nouveau package de la loi sur les services numériques devrait moderniser le cadre juridique actuel des services numériques au moyen de deux piliers principaux:

« Premièrement, la Commission proposerait des règles claires définissant les responsabilités des services numériques pour faire face aux risques encourus par leurs utilisateurs et protéger leurs droits. Les obligations légales garantiraient un système moderne de coopération pour la surveillance des plateformes et garantiraient une application efficace.

« Deuxièmement, le package de la loi sur les services numériques proposerait des règles ex ante couvrant les grandes plateformes en ligne agissant en tant que contrôleurs d’accès, qui fixent désormais les règles du jeu pour leurs utilisateurs et leurs concurrents. L'initiative devrait garantir que ces plateformes se comportent équitablement et peuvent être contestées par les nouveaux entrants et les concurrents existants, afin que les consommateurs aient le choix le plus large et que le marché unique reste compétitif et ouvert aux innovations.

« Dans le cadre d'un processus de consultation solide et actif, la Commission a lancé une consultation publique pour soutenir les travaux d'analyse et de collecte de preuves permettant de cerner les questions spécifiques qui peuvent nécessiter une intervention au niveau de l'UE. Tous les citoyens et organisations européens et non européens sont invités à contribuer à cette consultation. La consultation sera ouverte jusqu'au 8 septembre 2020. »

L’un des éléments du projet auquel les grandes entreprises technologiques américaines vont s’opposer (notamment Apple et Google) est les dispositions limitant les applications préinstallées sur le matériel, car les appareils iPhone et Android sont livrés avec toute une suite de programmes intégrés que vous ne pourrez peut-être jamais supprimer. Apple est également très susceptible de s'opposer à une disposition qui interdirait effectivement aux entreprises de contrôle d'accès de bloquer le chargement latéral ou les magasins d'applications alternatifs ou les méthodes de paiement - tout le cœur du différend actuel entre Epic et Apple.

Pendant ce temps, Google, Facebook et Amazon, qui s’appuient tous sur la liaison de vastes quantités de données entre les utilisateurs et les concurrents, sont susceptibles de s'opposer aux dispositions exigeant que les informations qu'ils considèrent comme exclusives soient partagées avec leurs rivaux.

Source : Commission européenne

Et vous ?

Que pensez-vous de ces propositions (notamment sur le partage des données avec la concurrence ou l'interdiction de préinstaller exclusivement ses propres applications comme c'est le cas sur Android et iOS) ?
De façon plus générale, que pensez-vous de cette initiative ?

Voir aussi :

Une ONG parle de l'accélération des dépenses en lobbying des GAFAM en Europe, qui sont deux fois plus élevées que celles des sept plus grands constructeurs automobiles européens selon Corporate Europe
Google aurait renforcé sa position sur le marché des comparaisons des prix malgré les injonctions de l'UE, selon une étude publiée par 25 de ses concurrents