Envoyé par
mon pote semi-nazi
S'il y a peut-être un phénomène de discrimination réelle, opéré par le système de recrutement public à quelque moment que ce soit dans le processus des concours (je n'en suis pas totalement convaincu), je crois surtout qu'il y a une sorte d'anticipation par les agents de cette discrimination attendue, et du coup une intériorisation par les individus d'une auto-limitation dans les choix de carrière, que ce soit pour des raisons d'origine sociale, de classe, de genre, d'appartenance ethnique, etc. En gros, on a peu de femmes à l'ENA, par exemple, jusqu'aux années 2000 aussi parce que les femmes, statistiquement, se mettent des barrières - et les hommes s'en mettent moins. L'ENA n'a même plus besoin de discriminer, ce sont les candidates putatives qui se sont discriminées elles-mêmes. On en revient à la connaissance "sociale" des cursus, des emplois, des débouchés, voire au réseau (mais dans la FP, ce phénomène ne joue pas), qui peut jouer le rôle de filtre discriminant. Le recrutement ne discrimine plus guère, les candidats se sont discriminés.
Et ça y compris dans le déroulé de carrière. Il y a très peu de promotions dans la FP : si tu montes, c'est que tu as demandé à monter, et, souvent que tu as voulu passer un concours/examen professionnel pour cela. Donc, si tu ne fais rien, tu ne monteras jamais ; là aussi peut jouer le phénomène d'auto-limitation.
Ce n'est pas vraiment qu'on te discrimine, c'est aussi que tu sens que tu n'y serais pas à ta place, que ce n'est pas pour toi, et tu ne tentes pas l'étape suivante logique - là où l'intégré maximum, qui a tous les codes, le bon genre, etc. le tentera. Et ça tient à tout ce qu'on a intériorisé, en tant qu'homme ou en tant que femme, en tant qu'indigène ou en tant que maghrébin, en tant que juif ou en tant que musulman, en tant que handicapé ou en tant que valide, en tant que pauvre ou en tant que bourgeois.
J'ai connu des gens qui se sont mis dans des carrières improbables ou médiocres alors qu'ils avaient clairement le niveau pour aller bien plus haut, mais ils n'ont jamais voulu essayer parce qu'ils avaient des barrières en eux qui étaient en partie inconscientes et largement insurmontables (sans une prise de conscience). À l'inverse, et j'en garde un souvenir très vif (pour ce que vaut une anecdote), une amie, descendante de Taine et d'André Chevrillon (académicien) ne voyait absolument pas pourquoi telle ou telle connaissance commune, d'extraction modeste, ne tentait pas l'ENA : ça ne lui venait pas à l'idée que son panel intérieur d'ambitions, de désirs, de possibilités n'était pas du tout le même que pour cette personne.
Bref, on s'éloigne un peu des discriminations, mais j'ai le sentiment qu'on voit beaucoup la discrimination qui nous scandalise (quand je recrute un homme plutôt qu'une femme, à même niveau de compétences, voire à moindre niveau de compétences), et très peu la discrimination "invisible" qui se produit lorsque Mohammed ne tente pas, lorsque Blaise-Fortuné renonce, lorsque Djamila se contente de ce qu'elle a, parce que tout un discours intériorisé l'a confinée et assignée à une position d'infériorité.
Après, vous connaissez mon opinion sur ce sujet, elle est dans ma signature : je pense que c'est très bien pour le collectif, toute cette auto-limitation, chacun reste à sa place, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes
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