CJUE : la modération des contenus diffamatoires ou injurieux sur Facebook ne s'arrête pas aux frontières de l'UE
mais s'applique au niveau mondial
La modération de contenus haineux doit-elle s'étendre au-delà des frontières de l'Union européenne ? Oui, a tranché ce jeudi la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Facebook et les autres hébergeurs de contenus pourront se voir ordonner de supprimer au niveau mondial et de manière automatique des commentaires jugés diffamatoires ou injurieux par une juridiction d'un pays membre de l'UE. La contrainte s'adresse également aux contenus « identiques » à celui visé initialement.
Tout a commencé en 2016 lorsqu'Eva Glawischnig-Piesczek, qui était alors députée du parti écologiste autrichien, a estimé qu'un utilisateur de Facebook avait porté atteinte à son honneur en postant sur sa page personnelle un article de presse illustré par une photo de l'élue et accompagné d'insultes comme « sale traîtresse du peuple » ou encore « idiote corrompue ». Après le refus d'obtempérer de l'entreprise, l’affaire avait été portée devant la justice autrichienne.
C'est finalement l'Oberster Gerichtshof, la Cour suprême autrichienne, qui s'est tournée vers la CJUE. Facebook avait certes revu ses positions entre-temps, mais pas suffisamment selon Eva Glawischnig-Piesczek, selon qui la modération devait s'appliquer aux « contenus équivalents » et à l'échelle mondiale.
La CJUE a décidé de s'en tenir aux recommandations faites par l'avocat général Maciej Szpunar en juin dernier. Si l'article 15 de la directive européenne de 2000 sur le commerce électronique interdit toute obligation de surveillance généralisée, une modération active reste envisageable si elle est circonscrite à un objet et à une durée limitée.
« Le droit de l'Union n'empêche pas un fournisseur tel que Facebook d'être condamné à supprimer des commentaires identiques et, dans certaines circonstances, des commentaires équivalents précédemment déclarés illégaux », a déclaré la Cour dans un communiqué. « En outre, le droit de l'Union n'empêche pas une telle injonction de produire des effets dans le monde entier, dans le cadre du droit international applicable ».
Le jugement est intervenu une semaine à peine après que le même tribunal a déclaré à Google qu'il n'était pas obligé d'appliquer la loi européenne sur le droit à l'oubli dans le monde entier. Dans l'affaire Google, le tribunal a décidé que le droit de suppression des données à caractère personnel n'était pas absolu et que la liberté d'information devait également être prise en compte.
La décision à l’encontre de Facebook se limite aux décisions judiciaires et ne s’applique pas aux plaintes plus larges d’utilisateurs alléguant que certains contenus sont illégaux.
Bien que le droit à l'oubli ait un impact limité sur le moteur de recherche Google, la décision de jeudi a des implications beaucoup plus larges, car elle pourrait s'appliquer à toutes les plateformes sociales, moteurs de recherche, fournisseurs d'accès haut débit et sociétés facilitant les transactions en ligne.
Facebook a déploré la décision, jugeant qu'elle « sape le principe de longue date selon lequel un pays n'a pas le droit d'imposer à un autre sa législation sur la liberté d'expression », selon un communiqué transmis à l'AFP. « Cela ouvre également la porte aux obligations imposées aux entreprises d’Internet de surveiller de manière proactive le contenu, puis d’interpréter si ce contenu est "équivalent" à un contenu qui a été jugé illégal », a déclaré la société. « Afin d’obtenir ce droit, les juridictions nationales devront énoncer des définitions très claires de ce que "identique" et "équivalent" signifient dans la pratique. Nous espérons que les tribunaux adopteront une approche proportionnée et mesurée, afin d’éviter d’avoir un effet dissuasif sur la liberté d’expression ».
Le groupe de défense des droits numérique, Article 19, a soutenu Facebook, affirmant que cela pourrait amener les plateformes sociales à installer des filtres automatisés pour filtrer le contenu : « Cela créerait un dangereux précédent où les tribunaux d’un pays peuvent contrôler ce que les utilisateurs d’Internet d’un autre pays peuvent voir. Cela pourrait donner lieu à des abus, en particulier de la part de régimes ayant de piètres résultats en matière de droits de l'homme », a déclaré le directeur exécutif, Thomas Hughes.
Selon Philipp James, un avocat londonien interrogé par Bloomberg, cette décision a « des répercussions potentielles énormes pour les hébergeurs […] Si le litige en question concerne les commentaires haineux et pas le copyright, il y a une tendance des juges à donner raison aux ayants droit et aux justiciables visés par ces contenus ».
L’avocate de Glawischnig, Maria Windhager, s’est félicitée du jugement, évoquant un « succès historique pour les droits de la personne contre les géants du web » : « La CJUE prend position sur cette question en déclarant qu'il faut créer et renforcer des instruments pour faire respecter les droits de la personne », a-t-elle déclaré à ORF, une chaîne de télévision nationale autrichienne. « Il n'est pas vraiment question de publier moins de messages de haine (après le jugement) que de sensibiliser le public au fait que nous pouvons nous défendre avec succès contre cela et que cela nous renforcera tous dans la lutte contre les incitations à la haine en ligne ».
Source : Reuters
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