Une note interne à La France insoumise dénonce « un fonctionnement dangereux pour l’avenir du mouvement »
Dans un document que « Le Monde » s’est procuré, plusieurs dirigeants « insoumis » demandent plus de démocratie interne et critiquent sévèrement le mauvais score du parti aux élections européennes.



<< C’est un texte de cinq pages qui secoue La France insoumise (LFI) et qui tombe au pire moment : juste après la défaite aux élections européennes où la liste emmenée par Manon Aubry a recueilli 6,31 % des suffrages, et en pleine crise interne autour de la stratégie à adopter. Une note qui va par ailleurs gâcher l’installation des eurodéputés aujourd’hui au Parlement européen et la réunion intergroupe prévue avec les députés LFI.

Intitulée « Repenser le fonctionnement de La France insoumise », envoyée le 5 juin, cette note que Le Monde s’est procurée, est signée par quarante-deux cadres et militants « insoumis » – dont des figures du mouvement, comme Charlotte Girard, ex-responsable du programme ; Manon Le Bretton, qui dirige l’école de formation ; ou encore Hélène Franco, magistrate et coanimatrice du livret Justice de LFI. Elle est un réquisitoire en règle contre la gouvernance du mouvement populiste de gauche.

« Cette prétention de construction d’un mouvement suffisamment “gazeux” pour être à l’abri des tensions entre “courants” ou “fractions”, et à l’abri des enjeux de pouvoir, est un leurre. »

Sans jamais nommer ni Jean-Luc Mélenchon, leader de fait de LFI, ni Manuel Bompard, son dirigeant statutaire, mais en les visant constamment, ce texte – qui se présente comme une « contribution interne et positive » – affirme qu’après « la séquence présidentielle de 2017, [LFI n’a pas su] maintenir la dynamique » ni « s’ancrer durablement dans la société », souligne « l’affaiblissement du réseau militant et le départ de plusieurs responsables » dus « en grande partie au mode de fonctionnement du mouvement depuis sa création ». Pour les auteurs de cette note, « le fonctionnement actuel de LFI combine une certaine horizontalité en termes de fonctionnement mais une grande verticalité en termes de décisions collectives ».

Pour les signataires, il s’agit de préserver l’outil créé pour les élections de 2017. Pour l’un d’eux, « la maison brûle, il faut agir ». Le texte s’inquiète ainsi de la perte « d’un nombre considérable de militants, mettant en péril la possibilité de présenter des listes aux municipales ». Lire aussi Jean-Luc Mélenchon pourrait se mettre − un temps – en retrait de la vie politique « Un tel fonctionnement n’a plus de justification »

« Aucune véritable instance de décision collective ayant une base démocratique n’a été mise en place. (…) Les décisions stratégiques fondamentales sont finalement prises par un petit groupe de personnes, dont on ne connaît même pas précisément la démarcation – prérogatives, champ d’action, identité, statut sans qu’ils aient pour autant reçu de véritable délégation de la part du mouvement pour le faire », dénoncent les auteurs.

Ils ajoutent : « Les positions politiques publiques proviennent essentiellement du groupe parlementaire, qui a bien entendu toute légitimité pour prendre des positions, mais qui n’a pas reçu de mandat de la part du mouvement pour le faire en son nom. Ne pas reproduire les travers des partis traditionnels est évidemment une problématique cruciale ; mais si nous n’y prenons garde, notre mouvement finira par tomber dans les excès de ceux qu’on a appelés des “partis d’élus”. »

La preuve de ces dysfonctionnements a eu lieu, pour les signataires, lors de la campagne des élections européennes :

« Elle a été particulièrement impactée par ces incertitudes (tiraillements programmatiques autour de la stratégie plan A/plan B, mot d’ordre de “référendum anti-Macron”, relativisation du rôle des députés européens, procédures d’arbitrage autour des questions animales/agricoles ou bien des droits d’auteur en lien avec le programme et les livrets, manque de liaisons entre les équipes thématiques, les candidat·e·s et les réponses de l’équipe de campagne aux courriers extérieurs, annonce d’une “fédération populaire” à venir…). Une certaine logique descendante a été ressentie à la base par les “insoumis·es” dans les groupes d’actions et les ex*-candidats signataires en ont souvent été témoins durant la campagne sur le terrain. »

Et de porter l’estocade : « Un tel fonctionnement n’a plus de justification et n’a pas d’avenir une fois cette phase [présidentielle et législative] passée. Et il est dangereux pour l’avenir du mouvement. (…) Cette prétention de construction d’un mouvement suffisamment “gazeux” pour être à l’abri des tensions entre “courants” ou “fractions”, et à l’abri des enjeux de pouvoir, est un leurre. » Trois exigences

A certains moments, la critique se fait encore plus sévère pour Jean-Luc Mélenchon : « Le fonctionnement pouvait ne pas poser de problème majeur tant qu’il n’y avait pas de débats de fond à arbitrer (question européenne, relations avec le reste de la gauche…), tant que l’attitude et la stratégie des dirigeants semblaient incontestables et tant que la question de la nomination de candidats à une élection nationale ne se posait pas. Mais dès que ces conditions n’ont plus été réunies, suite notamment aux perquisitions et dans le cadre de la préparation des élections européennes, nous avons pu constater que les problèmes pouvaient surgir très rapidement. »

Pour rebondir, les auteurs posent trois exigences avant la tenue de l’assemblée représentative de LFI, le 23 juin à Paris : « Que de véritables débats contradictoires puissent avoir lieu » ; « que les “insoumis” aient la possibilité de proposer des textes au vote de l’Assemblée » pour « trancher la ligne politique et les contre-pouvoirs internes permettant de la valider » ; « le principe d’une assemblée constituante du mouvement pour la rentrée ». Pour Manuel Bompard, « cette note ne pose pas de problème; les propositions vont être prises en compte. Je ne me sens pas visé. »

Ce n’est pas la première fois que des dirigeants alertent sur les dysfonctionnements de La France insoumise. En janvier une lettre interne (dont Mmes Girard et Le Bretton étaient cosignataires) dénonçait déjà une dérive autocratique. Par ailleurs, les multiples cadres ayant quitté LFI lors de la campagne européenne ont tous souligné les mêmes travers du mouvement. Source >>

Comme à dit le philosophe : "Mélenchon, le petit dictateur de carton pâte", tout est dit...