Freedom House : la France fait un peu mieux que l'année dernière en matière de libertés sur Internet,
même si la tendance mondiale est à la perte de ces libertés

Internet est de moins en moins libre dans le monde et la démocratie elle-même dépérit sous son influence. C’est en tout cas ce que suggère le rapport annuel de Freedom House sur les libertés sur Internet.

Adrian Shahbaz, de Freedom House, s’inquiète : « Les infox et la propagande diffusées en ligne ont empoisonné la sphère publique. La collecte effrénée de données personnelles a brisé les notions traditionnelles de confidentialité. Et une cohorte de pays s'oriente vers l'autoritarisme numérique en adoptant le modèle chinois de censure extensive et de systèmes de surveillance automatisés. En conséquence de ces tendances, la liberté de l'Internet mondial a diminué pour la huitième année consécutive en 2018 ».

Les événements de cette année ont confirmé qu'Internet pouvait être utilisé pour perturber les démocraties aussi sûrement que pour déstabiliser les dictatures. En avril 2018, le fondateur et directeur général de Facebook, Mark Zuckerberg, a témoigné lors de deux audiences devant le Congrès sur le rôle joué par sa société dans le scandale de Cambridge Analytica, révélant que Facebook avait exposé les données de près de 87 millions d'utilisateurs à une exploitation politique. L'affaire rappelait la manière dont les informations personnelles sont de plus en plus utilisées pour influencer les résultats électoraux. Les pirates russes ont ciblé les listes électorales américaines dans plusieurs États dans le cadre des efforts plus larges du Kremlin pour saper l'intégrité des élections de 2016. Depuis lors, des chercheurs en sécurité ont découvert de nouvelles violations des données affectant 198 millions d'Américains, 93 millions de Mexicains, 55 millions de Philippins, et 50 millions d'électeurs turcs.

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Adrian note qu’avec ou sans intention malveillante, Internet et les médias sociaux, en particulier, peuvent pousser les citoyens vers des chambres d'écho polarisées et s'attaquer au tissu social d'un pays, alimentant ainsi l'hostilité entre différentes communautés. Au cours des 12 derniers mois au Bangladesh, en Inde, au Sri Lanka et au Myanmar, de fausses rumeurs et une propagande haineuse ont été diffusées en ligne, ce qui a provoqué une flambée de violence à l'encontre des minorités ethniques et religieuses. Ces dissensions servent souvent les intérêts des forces antidémocratiques de la société, du gouvernement ou d’États étrangers hostiles, qui les ont activement encouragées par la manipulation du contenu.

La Chine encore une fois avec le plus mauvais score

Alors que les sociétés démocratiques luttent contre les défis d'une sphère en ligne plus dangereuse et plus contestée, les dirigeants à Beijing ont redoublé d'efforts pour utiliser les médias numériques dans le but d'accroître leur propre pouvoir, chez eux et à l'étranger. La Chine a de nouveau été le pire abuseur de la liberté d'internet en 2018 et, au cours des 12 derniers mois, son gouvernement a accueilli des représentants des médias de dizaines de pays dans le cadre de séminaires de deux et trois semaines sur son système de censure et de surveillance. En outre, ses sociétés ont fourni du matériel de télécommunication, des technologies avancées de reconnaissance faciale et des outils d’analyse de données à divers gouvernements aux prises avec des problèmes de droits de l’homme, ce qui pourrait profiter aux services de renseignement chinois ainsi qu’aux autorités locales répressives. L’autoritarisme numérique devient alors un moyen permettant aux gouvernements de contrôler leurs citoyens par le biais de la technologie, inversant le concept d’internet en tant que moteur de la libération humaine.

Tout au long de l’année, les autoritarismes ont prétexté des « fake news » et de scandales informatiques pour se rapprocher du modèle chinois. Les gouvernements d'Égypte et d'Iran ont réécrit des lois restrictives sur les médias à appliquer aux utilisateurs de médias sociaux, emprisonné les critiques en vertu de mesures conçues pour enrayer les fausses informations et bloqué les médias et les services de communication étrangers. La Chine, la Russie et d’autres États répressifs exigent également que les entreprises stockent les données de leurs citoyens à l’intérieur de leurs frontières, où elles peuvent être consultées par les agences de sécurité.

La Chine obtient un score de 88/100 avec 40/40 en matière de violation des droits des utilisateurs, 31/35 dans la limitation des contenus accessibles et 17/25 dans les obstacles à l’accès.

La France

Alors que la liberté de la France sur Internet s’est légèrement améliorée avec l’atténuation des effets des infox après une année électorale tendue, le nouveau président français Emmanuel Macron a réagi en promouvant une proposition législative visant à lutter contre les infox pendant les campagnes électorales.

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Bien que la montée en puissance des infox et des opérations de bots politiques n'ait finalement pas réussi à influencer le résultat des élections françaises de 2017, leur prolifération dans le but de perturber un processus (électoral dans le cas d’espèce) a déclenché une alarme. Après avoir été la cible d’intox et de fausses rumeurs pendant les élections, le président Emmanuel Macron a annoncé en janvier 2018 une proposition visant à empêcher les campagnes de désinformation à grande échelle sur Internet susceptibles d'affecter le vote. Présentés à la fin du mois de mars, deux textes à l’examen permettraient aux juges de décider rapidement d’interrompre la diffusion de contenus prétendument faux pendant les élections et les périodes préélectorales.

Les mesures prises pour faire face aux menaces terroristes ont également continué à affecter la liberté de la France sur Internet en élargissant les pouvoirs de surveillance et en limitant le contrôle judiciaire. À la suite d'une série d'attaques terroristes meurtrières, la France a finalement mis fin à un état d'urgence de deux ans en novembre 2017. Cependant, certains des pouvoirs exceptionnels utilisés dans le cadre de l'état d'urgence ont été codifiés dans le droit commun. En outre, un amendement récent au projet de loi sur les dépenses militaires courantes (loi sur la planification militaire) pour les années 2019-2025 a étendu l'accès interne aux données collectées à l'extérieur des frontières, en fournissant aux enquêteurs antiterroristes les informations obtenues par le service de renseignement extérieur français.

La France s’en sort avec un score de 25/100. L'année passée, elle avait un score de 26/100, le point de différence vient de la note attribuée à la limitation des contenus.

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Tendance générale

Sur les 65 pays évalués, 26 ont connu une baisse globale depuis juin 2017, contre 19 qui ont enregistré des améliorations nettes. Les plus fortes baisses de score ont eu lieu en Égypte et au Sri Lanka, suivies du Cambodge, du Kenya, du Nigeria, des Philippines et du Venezuela.

Même si le mouvement #MeToo a réussi à dénoncer les agressions sexuelles et le harcèlement généralisés dans certaines parties du monde, deux femmes en Egypte ont été arrêtées lors de plusieurs incidents pour avoir téléchargé des vidéos sur Facebook afin de dénoncer de tels abus dans ce pays. Toutes deux ont été accusées d'avoir diffusé des fausses informations pour nuire à la sécurité publique; l'une, une touriste libanais en visite, a été condamné à huit ans de prison. Les autorités égyptiennes ont lancé une campagne de répression plus large contre la contestation en bloquant quelque 500 sites Web, notamment ceux d'éminentes organisations de défense des droits de l'homme et de médias indépendants. Au Sri Lanka, les autorités ont fermé les plateformes de médias sociaux pendant deux jours lors d'émeutes communautaires qui ont éclaté en mars et ont fait au moins deux morts. Les rumeurs et la désinformation s'étaient répandues sur les plateformes numériques, déclenchant une violence d'autodéfense qui visait principalement la minorité musulmane.

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Dans près de la moitié des pays où la liberté d'internet a diminué, ces réductions ont été liées aux élections. Douze pays ont souffert d'une recrudescence de la désinformation, de la censure, d'attaques techniques ou d'arrestations de critiques du gouvernement avant les élections. Alors que le Venezuela tenait une élection présidentielle en mai pour consolider le régime autoritaire de Nicolás Maduro, le gouvernement a adopté une loi vaguement écrite qui impose de lourdes peines de prison pour incitation à la haine en ligne. La mise en œuvre de la « carte de patrie », un système d'identification électronique utilisé pour canaliser l'aide sociale, a éveillé les soupçons selon lesquels les données collectées à l'aide de l'appareil pourraient être exploitées pour surveiller et faire pression sur les électeurs. Avant les élections générales de juillet 2018, le Cambodge a connu une augmentation du nombre d'arrestations et de peines de prison pour discours en ligne, alors que le gouvernement cherchait à élargir l'arsenal d'infractions utilisées pour faire taire la dissidence, notamment une nouvelle loi sur le lèse-majesté interdisant les insultes à la monarchie.

Conclusion

Pour Freedom House, pour que la démocratie puisse survivre à l'ère numérique, les entreprises technologiques, les gouvernements et la société civile doivent travailler ensemble pour trouver de vraies solutions aux problèmes de manipulation des médias sociaux et de collecte de données abusive. Une coordination multilatérale et intersectorielle est nécessaire pour promouvoir la culture numérique, identifier les acteurs malveillants et leur refuser les outils pour amplifier frauduleusement leurs voix. S'agissant de la protection des données, le gouvernement et les entreprises doivent donner aux utilisateurs le pouvoir de parer aux intrusions indues dans leur vie personnelle. La liberté mondiale sur Internet peut et doit être l'antidote à l'autoritarisme numérique. La santé des démocraties du monde en dépend.

Source : rapport par pays

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