La stratégie du mensonge était bien au cœur de la campagne de Marine Le Pen
Une enquête de BuzzFeed News confirme que des cadres du FN ont non seulement relayé mais aussi fabriqué de fausses informations.
<<« La stratégie du mensonge » titrait Le Monde au lendemain du débat de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle. Cette « une », comme l’éditorial du jour, visait directement l’attitude de Marine Le Pen face à Emmanuel Macron.
Huit mois plus tard, une série d’enquêtes publiées par BuzzFeed News à partir de documents de travail utilisés par les équipes du Front national achève de démontrer que cette stratégie ne s’est pas limitée aux derniers instants de la campagne. Retour sur les principales intox délibérées véhiculées par la candidate d’extrême droite et par son entourage.
1. Les affirmations erronées pendant le débat, une stratégie qui apparaît comme délibérée
Marine Le Pen a multiplié les contre-vérités lors du débat du second tour de l’élection présidentielle — au moins dix-neuf, selon notre relevé détaillé. Nombre d’entre elles étaient particulièrement grossières, par exemple lorsqu’elle a affirmé que l’aide médicale d’Etat offrait des prestations de santé meilleures que celles garanties aux personnes de nationalité française.
Une note envoyée à Marine Le Pen avant le débat par Damien Philippot, et révélée par BuzzFeed News, montre que ces sorties de route relèvent d’une stratégie assumée. Il y est notamment suggéré à la candidate de « dégrader l’image de Macron, quitte à perdre en crédibilité ».
Une seconde note, qui liste des « idées punchlines » de cadres de la campagne de la candidate, lui a par ailleurs conseillé de faire allusion aux rumeurs sans fondement prêtant un compte offshore à son rival. Un conseil que l’intéressée a suivi, déclarant lors du débat : « J’espère qu’on n’apprendra pas que vous avez un compte offshore aux Bahamas. »
2. Une vidéo ambiguë réalisée par le FN et diffusée par le directeur de campagne de Marine Le Pen
David Rachline, le directeur de la campagne présidentielle de Marine Le Pen, a partagé, le 16 mars, une vidéo sur Facebook accompagnée du commentaire suivant : « L’effrayante vérité sur l’émission “Envoyé spécial” et la directrice de l’information de France Télévisions, Madame Delphine Ernotte, soutien de François Hollande et d’Emmanuel Macron ! »
Ce clip de deux minutes donne la parole à un homme, assis dans le noir de dos, la voix déformée. Présenté comme membre de « l’équipe de Delphine Ernotte », ce prétendu témoin y accuse la directrice de France Télévisions d’avoir été nommée pour défendre la candidature de François Hollande, puis d’avoir décidé de « soutenir coûte que coûte Macron » après le renoncement de l’ex-chef de l’Etat, « avec pour objectif de faire perdre coûte que coûte Marine Le Pen ».
Ce témoignage est apparu comme douteux dès cette époque, faute de source. David Rachline s’était lui-même montré sibyllin sur Twitter, quelques heures après la diffusion de la vidéo, écrivant : « Vous voyez, tout le monde peut faire “journaliste” chez France Télévisions », allusion à un numéro d’« Envoyé spécial » critiqué par les dirigeants du parti. Une posture qu’il a également adoptée par la suite face aux médias qui l’ont contacté à ce sujet, comme LCI.
Intox ou canular, une enquête publiée par BuzzFeed News, le 16 janvier, montre que la vidéo a été fabriquée de A à Z par le FN. Le prétendu « témoin » qui figure dans la vidéo ne serait autre que Christophe Boucher, prestataire du FN pour le Web.
David Rachline n’a pas contesté ces informations, invoquant sur Twitter l’« ironie » et disant qu’il pensait que « tout le monde avait compris qu’il s’agissait d’une parodie ». Il n’avait néanmoins jamais franchement tranché l’ambiguïté à l’époque. En témoignent les commentaires sous sa vidéo sur Facebook ou les messages de militants FN appelant à la démission de la dirigeante de France Télévisions.
3. Un SMS diffusé par des cadres du FN pour accuser des militants d’En marche !
Autre épisode de manipulation émanant de soutiens de Marine Le Pen pendant la campagne : après la visite chahutée de Marine Le Pen à Reims (Marne), le 5 mai, en toute fin de campagne, le vice-président du FN de l’époque, Florian Philippot, et David Rachline ont diffusé sur Twitter un SMS censé émaner de militants d’En marche ! appelant à « siffler », « huer » et « bousculer » Marine Le Pen. « Faut la tuer ! » lisait-on même à la fin du message.
« Une explication M. Macron ? », écrivait alors Florian Philippot. Problème : ce message était un faux grossier, comme nous l’expliquions à l’époque, dont la première publication dont nous avions pu retrouver la trace émanait du compte de Kévin Pfeffer, membre de l’équipe de campagne de Marine Le Pen et conseiller régional FN dans la région Grand Est (l’intéressé n’a jamais donné suite à nos sollicitations à ce sujet).
Le 8 mai, au lendemain du second tour, Florian Philippot se défendait de toute manipulation sur Europe 1, affirmant avoir simplement « relayé un texto dont chacun pensait qu’il était vrai ».
4. De nombreuses intox massivement reprises par des cadres du FN et par ses réseaux militants
Plus largement, de nombreux cadres du FN ont relayé de fausses informations tout au long de la campagne. On peut notamment citer :
Une fausse information, relayée par Marion Maréchal-Le Pen, sur le prétendu financement « à 30 % » de la campagne d’Emmanuel Macron par l’Arabie saoudite ;
le maire d’Hénin-Beaumont, Steeve Briois, accusant, à tort, la chaîne C8 d’avoir manipulé un reportage sur le Front national ;
le député d’extrême droite Gilbert Collard partageant des accusations erronées à l’encontre de la présidente du parquet national financier pendant l’affaire Fillon (la rumeur affirmait à tort que cette dernière était l’épouse du directeur de cabinet de Michel Sapin) ;
le député Louis Aliot accusant sans fondement Benoît Hamon d’avoir été « pistonné » pour devenir professeur à l’université ;
Le trésorier du FN, Wallerand de Saint-Just, diffusant une prétendue « enquête » auprès de lecteurs du Figaro selon laquelle Marine Le Pen était la candidate qui les avaient le plus convaincus lors du débat présidentiel à cinq candidats — des chiffres faux et démentis par Le Figaro.
Plusieurs grosses pages Facebook d’extrême droite ont également relayé à de nombreuses reprises des intox en tout genre pendant la période électorale. Source >>
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