L’Open Source peut-il avoir la priorité dans les entreprises françaises ?
L’équipe IT de Société Générale veut gagner ce pari
Open Source ou logiciels propriétaires ? Voici une question qui a alimenté les débats cette année en France, quand les parlementaires ont commencé à discuter des différents amendements dans le cadre de la loi pour une république numérique. Ne faudrait-il pas accorder la priorité aux logiciels Open Source et formats ouverts au sein des administrations françaises ? C’est ce qu’ont suggéré certains députés, mais en fin de compte, les parlementaires ont décidé d’encourager tout simplement l’Open Source, donc de ne pas l’imposer. Il faut toutefois dire que certaines administrations ont déjà embrassé l’Open Source. Comme nous le savons, c’est le cas de la gendarmerie nationale qui a équipé des dizaines de milliers d’ordinateurs de Linux.
Dans le secteur privé français, les IT de certains grands groupes se sont également ouverts à l’Open Source dans leurs projets. C’est le cas du groupe Société Générale avec le principe d’ « Open Source First ». Une stratégie en trois mots : Use, Contribute, Attract.
Quels sont les avantages de l’Open Source d’après le groupe Société Générale ?
D’après David Fiou, architecte au sein du Groupe, le principal avantage de l’Open Source, est de permettre à l’équipe de développement de livrer rapidement des solutions aux clients. « Chaque fois qu’un besoin client nous est présenté, notre premier réflexe est de regarder dans le paysage Open Source pour voir s’il n’existe pas déjà une solution pour répondre à ce besoin, » dit-il. Et la plupart du temps, la solution existe déjà au moins en partie, ce qui permet de réduire les délais de développement.
Pour les équipes IT du Groupe, le gain que procure l’Open Source n’est pas tant financier comme beaucoup ont tendance à le penser. « L’Open Source ne veut pas dire qu’il n’y a pas de coût. Son utilisation peut nécessiter qu’on prenne un support avec une société tierce. Il faut aussi parfois former nos équipes pour qu’elles montent en compétence. Il n’y a donc pas de coût zéro et ce n’est pas la raison première qui nous pousse à faire de l’Open Source », explique David.
Et s’il y a un lien avec les coûts, c’est davantage parce que l’Open Source permet de limiter la dépendance vis-à-vis des éditeurs traditionnels. « L’éditeur peut m’imposer les règles du jeu, dans les négociations commerciales, mais aussi dans la façon d’utiliser ses produits. Par exemple, c’est l’éditeur qui va faire passer d’une version A à une version B. S’il ne supporte plus une version, je dois passer à une autre. L’Open Source peut nous permettre d’être libres sur le plan financier, mais aussi sur le choix de la version, le choix de la migration et de la relation qu’on veut avoir avec le partenaire. »
Le coût n’est donc pas ce qui pousse les équipes IT de la Banque à accorder la priorité à l’Open Source, pas plus que la sécurité, poursuit M. Fiou, qui estime que l’Open Source n’est ni plus ni moins sécurisé que les logiciels dits propriétaires - un avis que beaucoup ne partagent pas - : « Il existe des arguments selon lesquels l’Open Source n’est pas sécurisé, car l’accès au code du produit Open Source donne accès à toutes les vulnérabilités et permet d’attaquer une entreprise qui l’utilise. Mais il existe aussi d’autres arguments selon lesquels avec l’Open Source, les failles les plus évidentes ont déjà été corrigées. Il y a donc des arguments pour et contre. Au sein de Société Générale, en comparant le nombre de « fix » de sécurité de solutions propriétaires et Open Source, nous avons pu conclure que l’Open Source n’est ni plus ni moins sécurisé qu’une solution propriétaire. Cela veut dire que la même vigilance s’applique aux deux produits Open Source et éditeur.»
Pourquoi est-il important de contribuer à l’Open Source pour les développeurs ?
Utiliser l’Open Source n’est pas suffisant, d’après M. Fiou, qui estime qu’il est également important de contribuer pour les développeurs. « Avec sa contribution, le développeur alimente son e-réputation. D’ailleurs, beaucoup de nos développeurs contribuent à titre personnel chez eux le soir. Nous nous sommes donc dit que nous pourrions le faire dans le cadre de notre activité professionnelle. Nos développeurs ne veulent pas passer à côté de cette opportunité. Nous sommes consommateurs, mais également contributeurs de l’Open Source. Et il nous semble important de reverser à la communauté les modifications que nous avons pu développer pour ne pas nous écarter des versions courantes d’un produit. »
Le dernier élément de la stratégie Open Source de Société Générale, après l’utilisation et la contribution, c’est l’attractivité. La Banque est persuadée que l’Open Source est un élément motivant pour la communauté des développeurs et a décidé de créer un cadre promoteur de l’Open Source pour attirer les leaders techniques.
Notre analyse : l’Open Source First, mythe ou réalité dans les entreprises (cas de Société Générale) ?
Le principe « Open Source First » a été validé par tous les DSI et métiers du groupe Société Générale. « Pour les différents projets que nous démarrons, la priorité est accordée à l’Open Source », explique M. Fiou. « En d’autres termes, nous vérifions en priorité si l’Open Source peut s’appliquer. Et dans le cas où l’Open Source ne peut s’appliquer, nous avons des standards technologiques de niveau Groupe qui s’appliquent déjà avec des technologies de grands éditeurs traditionnels. C’est un axe stratégique sur lequel nous nous sommes donné des objectifs qui seront mesurés chaque année pour chaque entité du Groupe.».
On retrouve donc le même point, dans les débats de cette année des parlementaires français comme au sein des entreprises : comment décider que l’Open Source est applicable ou non. C’est un peu comme décider d’encourager l’Open Source. Mais au fait, que veut dire encourager ?
À mon avis, ça veut tout simplement dire qu’on va continuer comme avant, en se rappelant simplement que pour ce nouveau projet, l’Open Source pourrait s’appliquer, mais bon ! On a l’habitude d’utiliser du propriétaire donc on y va avec du propriétaire. En effet, pourquoi changer des habitudes (une seconde nature) développées depuis fort longtemps et qui nous sont d’une manière ou d’une autre profitables sous prétexte qu’un nouveau concept semble plus avantageux ?
Le tout se jouera donc dans la définition donnée à « applicable ». Quand est-ce qu’on pourra dire que l’Open Source est applicable : quand une alternative Open Source sera disponible ? Si c’est le cas, l’Open Source est peut-être applicable dans 90 % des cas, et ça sera très difficile d’adopter une telle définition… Ou, allons-nous dire que l’Open Source est applicable quand l’alternative Open Source sera plus robuste que l’option dite propriétaire ? Si c’est le cas, l’applicabilité de l’Open Source se réduit encore. En fonction du sens accordé à « applicable », l’Open Source First à la Société Générale sera soit une réalité, soit un beau rêve.
Et comme le dit David Fiou, il ne faut pas choisir l’Open Source uniquement pour des raisons de coûts ou de sécurité. L’avantage d’utiliser l’Open Source se trouve alors probablement dans sa capacité à fournir rapidement aux clients des solutions à leurs besoins en réutilisant des solutions existantes dans le répertoire Open Source, et il faut le reconnaitre, c’est un avantage robuste qu’on ne trouve pas dans le monde propriétaire.
Pour finir, il faut dire que la politique « Open Source First » risque de ne pas s’appliquer facilement aux logiciels de productivité et systèmes d’exploitation avec lesquels les utilisateurs seront fréquemment en contact. Comme nous le savons tous, les utilisateurs sont hostiles au changement surtout quand il s’agit des outils informatiques. Comment s’assurer qu’ils restent productifs avec des outils qui les effraient pour commencer ? On peut par exemple se rappeler qu’après être passée à Linux en 2014, la ville de Munich a voulu revenir à Windows notamment à cause des plaintes des utilisateurs.
En conclusion, Open Source First d’accord, mais il faut que cela s’accompagne de la volonté des directions et des utilisateurs, sinon cela devient facilement un mythe plutôt qu’une réalité.
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