Privé de palais de l’Elysée, Sarkozy fréquentera le palais de justice
Éliminé de la course présidentielle, Nicolas Sarkozy se retrouve à la merci des juges. Il risque de subir deux procès, dans les affaires Paul Bismuth et Bygmalion, ainsi qu'une mise en examen dans le dossier du financement libyen de sa campagne de 2007
<< Nicolas Sarkozy, qui n’aime pas les magistrats, va devoir s’habituer à les fréquenter plus souvent qu’il ne l’aurait souhaité. Parmi les conséquences de sa défaite cuisante à la primaire de la droite et du centre, dimanche 20 novembre, figure en effet son retour définitif à un statut de simple justiciable. L’ancien chef de l’État ne pourra plus prétendre bénéficier de la tradition (non écrite mais presque toujours respectée) de « trêve électorale », qui veut que l’on ne soit pas mis en examen, ni renvoyé devant une juridiction et encore moins jugé pendant une campagne électorale.
Surtout, étant privé d’un retour à l’Élysée, il ne peut plus espérer bénéficier de l’immunité pénale accordée aux chefs d’État, qui avait congelé les affaires Chirac pendant de longues années. Il ne pourra pas non plus remettre sur le tapis la suppression du juge d’instruction indépendant, une de ses marottes, ni nommer des procureurs compréhensifs aux postes clés, comme il l'avait fait pendant son quinquennat (2007-2012).
On ignore si c’est le spectre des « affaires » qui a motivé le retour en politique de Nicolas Sarkozy, dans l’espoir hypothétique de fuir les juges. De même, on ne sait pas encore à quel point l’accumulation des scandales de corruption – visant tant sa personne que son entourage proche – a fini par lui coûter des voix au sein de son électorat. Mais il est à peu près certain, en revanche, que le calendrier judiciaire de l’ancien champion de la droite risque d’être chargé dans les mois et les années à venir. Cela même s’il devait décider de ne plus exercer la profession d’avocat.
Le dossier le plus brûlant, sur le front des « affaires », est l'affaire dite Paul Bismuth. Depuis le 1er juillet 2014, Nicolas Sarkozy est mis en examen pour « corruption active, trafic d’influence et recel de violation du secret professionnel », en compagnie de son avocat et ami Thierry Herzog et de l’ex-magistrat Gilbert Azibert. Le parquet national financier (PNF) devrait rédiger rapidement son réquisitoire, puis les deux juges d'instruction chargés du dossier pourraient signer prochainement leur ordonnance, et renvoyer Nicolas Sarkozy devant le tribunal correctionnel. Cet éventuel procès, qui ne pourrait matériellement avoir lieu avant la fin 2017, serait à haut risque. La corruption, comme le trafic d'influence, est passible d'une peine de dix ans de prison et 1 million d'euros d'amende.
Dans cette affaire où il téléphonait avec un portable au nom de Paul Bismuth, l’ex-chef de l’État est soupçonné d’avoir instrumentalisé, par l’intermédiaire de Thierry Herzog, le haut magistrat Gilbert Azibert, alors en poste à la Cour de cassation, pour que celui-ci intervienne dans le cours de la justice. Il s’agissait alors d’obtenir la restitution des agendas de Nicolas Sarkozy, qui avaient été saisis dans le cadre de l’affaire Bettencourt, et intéressaient potentiellement d’autres magistrats.
En multipliant les recours, l'ex-président de la République a réussi à ralentir cette instruction à plusieurs reprises. Les deux juges d’instruction avaient achevé leurs investigations début 2016, mais ont ainsi dû rouvrir le dossier, quelques pièces ayant été annulées (les convocations de Nicolas Sarkozy et de Thierry Herzog, qui avaient refusé de répondre à la moindre question des juges). L’ensemble de la procédure a toutefois été validé à deux reprises, par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris en mai 2015 (on peut lire intégralement son arrêt ici), puis par la chambre criminelle de la Cour de cassation, en mars 2016 (à lire ici).
L'autre dossier très chaud est l'affaire Bygmalion. Depuis le 16 février dernier, Nicolas Sarkozy est mis en examen pour « financement illégal de campagne électorale ». Aux yeux du juge Serge Tournaire, qui l’a mis en examen, Nicolas Sarkozy ne pouvait ignorer le dérapage considérable de ses dépenses lors de la campagne électorale de 2012. L’ex-candidat est impliqué dans ce dossier par deux alertes rouges adressées par ses experts-comptables, ainsi qu’un mail du directeur général de l’UMP rapportant, en mars 2012, le « souhait du Président de tenir une réunion publique chaque jour », soit d’accélérer la campagne.
Nicolas Sarkozy risque d'être renvoyé en correctionnelle pour ce « financement illégal », délit puni d’un an d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende. Les juges d’instruction ont signifié la fin de leurs investigations au début du mois de juin, et le parquet de Paris a requis le renvoi de l'ancien chef de l'État devant le tribunal correctionnel début septembre. Mais plusieurs recours ont été déposés par la défense, et la chambre de l'instruction rendra sa décision le 15 décembre prochain. Par ailleurs, les deux juges d'instruction chargés du dossier apprécient différemment la responsabilité pénale du candidat Sarkozy dans cette affaire. Un éventuel procès ne pourrait, là encore, pas se tenir avant début 2018.
Enfin, Nicolas Sarkozy vient d'être mis en cause publiquement et de façon spectaculaire par Ziad Takieddine dans le dossier du possible financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007. Le 15 novembre, l'intermédiaire franco-libanais a révélé, dans un entretien filmé diffusé par Mediapart, avoir remis à trois reprises un sac bourré d'espèces à Claude Guéant puis à Nicolas Sarkozy, au ministère de l'intérieur, pour un montant total de 5 millions d'euros, avant l'élection présidentielle de 2007.
Dans une première enquête sur l’affaire Karachi et les ventes d’armes au Pakistan et à l’Arabie saoudite (entre 1993 et 1995), Takieddine, qui servait de go-between aux politiques et industriels français, avait déjà avoué aux juges avoir remis des fonds au clan Balladur dans la perspective de la présidentielle de 1995. Renaud Donnedieu de Vabres, Thierry Gaubert et Nicolas Bazire – collaborateurs respectifs des ministres François Léotard et Nicolas Sarkozy et du premier ministre Édouard Balladur – ont d’ailleurs été renvoyés devant le tribunal correctionnel par la justice dans ce dossier (qui a été dépaysé à Lyon).
Dans l’affaire libyenne, Ziad Takieddine est celui qui a introduit Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, en préparant sa première visite à Tripoli et sa rencontre initiale avec Mouammar Kadhafi, en octobre 2005. À raison d’un ou deux voyages en Libye par mois à compter de cette date, il s’est chargé de la signature de nombreux contrats sécuritaires ou pétroliers, en concertation permanente avec Claude Guéant, comme l’ont montré des documents déjà publiés par Mediapart.
Dès la diffusion de l'interview explosive de Ziad Takieddine, le juge d'instruction Serge Tournaire, chargé du dossier libyen, a aussitôt fait procéder à une longue audition de l'intermédiaire par les services de police anticorruption (OCLCIFF), et celui-ci a confirmé ses accusations. En bonne logique, le magistrat devrait maintenant convoquer Takieddine, avant d'entendre Claude Guéant et Nicolas Sarkozy, sous un statut pénal qui restera à déterminer. Source>>
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