Le livre qui a fait craquer Isabelle Balkany
<<On croyait tout connaître des Balkany, ce couple haut en couleur qui règne depuis 36 ans sur Levallois et les Hauts-de-Seine. Mais en lisant, il y a une dizaine de jours, l'ouvrage de Jean-Charles Deniau tout juste parti à l'imprimerie, nous avons eu l'impression d'être projetée dans l'intimité de ceux que l'auteur appelle « les Bonnie & Clyde de la corruption politique ». En effet, rien n'échappe à la plume acérée (et très bien renseignée) de l'auteur de Balkany l'impuni*, qui commence son récit par la rencontre de Patrick et d'Isabelle, avant de relater leur ascension dans le sillage de Charles Pasqua, la conquête de Levallois, l'âge d'or sarkozyste, jusqu'à la descente aux enfers, sur fond de guerre fratricide avec l'ancien intime du couple, Didier Schuller.
Un texte fourmillant de détails qui fera mal à ceux qui ont confié leur vote à l'édile et à son épouse pendant des années, tout comme il a dû faire mal à Isabelle Balkany. Ce n'est sans doute pas un hasard si c'est le 1er mai, veille de la parution de l'ouvrage, et non à l'ouverture du procès – programmée le 13 mai prochain, que l'épouse de Patrick Balkany a craqué, au point d'être hospitalisée pour une tentative de suicide. Tandis que son mari est présenté en coureur de jupons « à la drague un peu lourde », elle y est dépeinte en « chef de commando » aussi enthousiaste que cynique : « Maintenant, il faut que ça rapporte, se serait écriée devant témoin “Isa” le 6 mars 1983, jour mémorable où Levallois, commune périphérique de l'Ouest parisien, est tombée dans les mains des Balkany. »
Le clientélisme comme doctrine politique
Celle qui sait toujours « écouter, chercher une solution, dépanner » et dont « le portefeuille est toujours prêt pour sortir un petit militant de ses ennuis financiers » serait aussi celle qui a érigé le clientélisme en doctrine politique. « Nos administrés sont des consommateurs. C'est la société, c'est comme cela. Ce ne sont pas des êtres éthérés qui vivent dans une ville en leur demandant qu'on parle de grandes idées. Qu'est-ce qu'ils nous demandent ? Une ville propre et sûre, des logements corrects. À partir du moment où vous faites cela, ils votent pour vous », écrit l'auteur. S'il loue « leur gestion de Levallois », qui leur vaut d'être encore très populaires à Levallois en dépit de leurs ennuis judiciaires passés et présents, Jean-Charles Deniau s'étend surtout sur « leur appétit immodéré pour la grande vie ».
Et de raconter : « Chaque été, ils organisent le 16 août, jour anniversaire de Patrick, des fiestas pharaoniques. Comme le dit leur ami Stéphane Collaro : “Patrick réussit même à dépasser ses amis Eddie Barclay ou Tony Murray” dans la débauche des mets, des vins et spiritueux, et des orchestres qui animent ces soirées. L'immense piscine sert de réceptacle à ceux des invités les plus audacieux qui pimentent leur bain de minuit d'ébats... qui n'ont rien à voir avec ceux de l'Assemblée nationale. »
« Avez-vous entendu parler d'un palais dans la Palmeraie ? »
S'ils n'avaient pas trahi Chirac (pour Balladur) d'abord, puis Didier Schuller, en l'empêchant de revenir en politique après ses années de purgatoire, les Balkany couleraient peut-être encore des jours heureux dans l'une de leurs propriétés. Mais, en présentant un candidat face au « repenti » parti à la conquête de Clichy – alors qu'il l'avait assuré du contraire, Patrick Balkany aurait signé le début de ses ennuis judiciaires. C'est en tout cas ce qui ressort de cette conversation rapportée dans le livre.
« “Avez-vous entendu parler d'un palais dans la Palmeraie qui appartiendrait, dit-on, aux Balkany ?” lance, un jour, un médecin d'origine marocaine, présenté à l'élu en campagne par un militant. “Ce qu'a fait Balkany à Schuller est inqualifiable. Si tu peux te renseigner sur cette affaire, ce serait formidable. On en a assez du système Balkany.” Quelques semaines plus tard, le médecin dépose sur la table une enveloppe de papier kraft assez épaisse. Il est écrit : “MAROC – Notaire”. Y figurent deux actes d'achat d'une propriété à Marrakech du nom de Dar Gyucy avec le prix d'achat : 2 750 000 euros, la date de la transaction : janvier 2010. [...] À la simple lecture du dossier, il saute aux yeux que les véritables propriétaires du bien acheté par la SCI Dar Gyucy ont pris grand soin de n'apparaître sur aucun document ni en Suisse ni à Singapour. Mais une facture fait sursauter Didier Schuller. Elle émane d'un transitaire de Casablanca qui a fait parvenir à la villa Dar Gyucy un container renfermant une tonne de meubles. Il connaît bien le nom de l'expéditeur : Bertrand Prestige, une boutique parisienne située près des Champs-Élysées. Elle appartient à une femme qui se présente dans tout Paris comme une cousine d'Isabelle Balkany mais qui est en fait une de ses amies d'enfance. [...] Un premier indice de taille qui lie les Balkany au ryad de Marrakech. Schuller alerte son avocat William Bourdon qui mesure aussitôt l'importance de la découverte et fait parvenir le dossier au juge Renaud Van Ruymbeke. »
Relatée dans l'ordonnance de renvoi, la déposition d'une autre femme, Marie-Cécile B., qui possède une boutique de mobilier de jardin à Marrakech, est tout aussi instructive. Elle déclare sur procès-verbal : « Madame Balkany a acheté à plusieurs reprises du mobilier de jardin chez moi, et j'ai livré ce mobilier dans sa villa. » Elle donne aux policiers un avis de virement de 41 000 euros qu'elle a reçu d'une société genevoise. Il est tiré sur un compte à Singapour nommé, comme par hasard, Himola. La facture est surmontée d'une annotation manuscrite : « Isabelle Balkany ». Un coup dur pour celle qui déclarait aux enquêteurs ne « pas [être] propriétaire de la villa, mise à sa disposition par des amis ».
Indigence intellectuelle et sécheresse de cœur
Dans le message posté sur Facebook avant de tenter de mettre fin à ses jours, l'élue levalloisienne a clairement visé l'auteur du livre, sans pour autant mentionner son nom. « #Jesuisfatiguée de voir certains “écrivains” ou “journalistes” (guillemets de rigueur), sortir de leur hibernation comme les “Scathophaga stercoraria” (les latinistes traduiront), pour se repaître de leur détestation des autres, s'ériger en “juges”, en “moralisateurs”, en “bien-pensants”, se délecter en “pondant” des “sagas” aussi pitoyables que saugrenues et ravager ainsi des vies en provoquant des dégâts affectifs et psychologiques que l'indigence intellectuelle et la sécheresse de cœur ne leur permettent pas de mesurer. » Des termes violents, qui ont ébranlé Jean-Charles Deniau. « J'espère qu'elle va se remettre. Je sais que ce livre arrive alors que le couple est déjà sous pression, mais tout ce qui est écrit est la stricte vérité », souligne l'auteur, contacté par Le Point. Source >>
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