L'Europe lance son offensive contre l'optimisation fiscale des multinationales
et propose des mesures juridiquement contraignantes pour briser certains mécanismes
Jeudi matin, la Commission européenne a proposé une directive sur la lutte contre l'évasion fiscale prévoyant des mesures juridiquement contraignantes pour briser certains des mécanismes d'évasion fiscale les plus répandus. Sa recommandation sur les conventions fiscales indique aux États membres les meilleurs moyens de protéger leurs conventions fiscales contre les pratiques abusives, d'une manière qui soit conforme au droit de l'UE. Elle a également proposé une révision de la directive sur la coopération administrative afin de renforcer la transparence sur les impôts payés par les entreprises. En vertu des règles proposées, les autorités nationales échangeront des informations fiscales sur les activités des multinationales, pays par pays. Dans les grandes lignes, il s'agit de la transcription d'une partie du plan BEPS (Base Erosion and Profit Shifting, optimisation fiscale) de l’OCDE conclu en novembre dernier lors du G20 à Antalya que la Commission européenne entend compléter et renforcer.
La Commission propose une uniformisation de certaines règles pour décourager les entreprises de transférer leurs bénéfices dans des paradis fiscaux. Ces règles concernant les filiales, connues sous le nom de règles SEC (Sociétés étrangères contrôlées), doivent permettre au pays siège d’une entreprise de taxer les revenus de certaines de ses filiales si ces derniers ne sont pas suffisamment imposés dans d’autres pays (juridictions à fiscalité faible). Ces règles ont pour objectif d’empêcher les multinationales de transférer les profits réalisés dans le pays de la société mère vers des juridictions à fiscalité faible. En France, par exemple, l’administration fiscale a le droit d’imposer des revenus dans d’autres pays si le taux d’imposition effectif dans ces pays est inférieur à la moitié de ce que ces filiales paieraient en France. Aussi, si une filiale d’une entreprise française réalise des profits aux Bermudes, où le taux d’imposition sur les bénéfices est nul, le fisc français peut réclamer 33 % sur ces bénéfices.
Il faut noter cependant que la Commission n'apporte pas une définition uniforme de ce qu’est une juridiction à fiscalité faible : elle propose de définir comme une « juridiction à fiscalité faible » tous les pays hors de l’Union européenne qui proposent un taux d’imposition effectif inférieur à 40 % du taux d’imposition effectif de l’État membre où la maison mère de la multinationale est située.
Toutefois, la Commission pense que ce système permettra de garantir l’imposition effective des bénéfices, au taux d’imposition de l’État membre dans lequel ils ont été générés. Et elle donne un cas pratique en guise d'illustration : « une compagnie d’assurance a son siège dans un État membre de l’Union. Elle crée une filiale de réassurance dans un pays tiers à fiscalité nulle. La compagnie d’assurance effectue des paiements de primes gonflées en faveur de la compagnie de réassurance offshore et réduit donc ses bénéfices imposables dans l’État membre de l’Union. Les paiements que reçoit la société de réassurance ne sont pas taxés non plus, en raison du taux nul appliqué par le pays tiers.
Avec la règle relative aux SEC proposée, l’État membre pourra imposer les bénéfices de la compagnie d’assurance comme s’ils n’avaient pas été transférés vers le pays à fiscalité nulle, ce qui garantira une imposition effective au taux en vigueur dans l’État membre concerné ».
Les paiements d’intérêts sont en général fiscalement déductibles dans l’Union. Raison pour laquelle certaines entreprises se sont souvent endettées auprès d’autres filiales de leur groupe, souvent domiciliées dans des paradis fiscaux, de manière à transférer des bénéfices dans ces juridictions via le paiement d’intérêts. Le groupe réduit de cette manière sa pression fiscale globale et a payé en tout moins d’impôts en transférant ses bénéfices dans le cadre de dispositifs de prêts entre ses sociétés. La directive propose de limiter le montant des intérêts nets qu’une entreprise peut déduire de son revenu imposable, en prenant pour base un ratio fixe de ses bénéfices.
Comme illustration, la Commission apporte ce cas pratique : « un groupe crée une filiale dans un pays tiers à fiscalité nulle, où cette dernière accorde alors un prêt à taux d’intérêt élevé à une autre entreprise du groupe, établie dans un État membre de l’Union. L’entreprise établie dans l’Union doit verser à la filiale des intérêts élevés, qui sont déductibles des impôts. Ce faisant, elle réduit son revenu imposable dans l’État membre, tandis que le revenu d’intérêt correspondant n’est pas imposé dans le pays tiers.
Dans le cadre de la règle de limitation des intérêts proposée, l’État membre appliquera une limite fixe au montant des intérêts que l’entreprise peut déduire et imposera le reste des paiements. Cela devrait dissuader les entreprises de déplacer leurs dettes dans le seul but de réduire leurs contributions fiscales ».
La Commission a proposé une série d'autres mesures comme une règle de «switch-over» selon laquelle les entreprises seront tenues de faire savoir à l’autorité fiscale de l’Union qu’elles ont reçu un dividende et si elles ont été imposées ou non sur ce dividende ailleurs, l'imposition à la sortie pour empêcher les entreprises de délocaliser leurs actifs dans le seul but d’éluder l’impôt, ou encore des dispositifs hybrides pour empêcher les entreprises d’exploiter des asymétries nationales pour éluder l’impôt.
« Permettez-moi de le résumer. Les jours sont comptés pour les entreprises qui réduisent abusivement leurs impôts sur le dos des autres», a prévenu par Pierre Moscovici, commissaire européen aux Affaires économiques, durant une conférence de presse. Il a également indiqué que la Commission européenne a l'intention d'apporter des mesures supplémentaires.
Une mise en garde qui survient dans un contexte où Google est dans le collimateur de plusieurs pays européens. Michel Sapin, le ministre français des Finances, a également estimé qu'un accord entre le numéro un de la recherche et la France sur ses arriérés d'impôts est « aussi une nécessité ». Rome pour sa part réclame à Google plus de 200 millions d'euros d'arriérés d'impôts. Refusant de commenter le redressement fiscal de Google en Grande-Bretagne, Pierre Moscovici a avancé que « toutes les entreprises doivent payer leur juste part d'impôts où elles réalisent leurs bénéfices ».
L'OCDE estime au minimum entre 100 et 240 milliards USD les pertes annuelles dues au transfert de bénéfices, ce qui équivaut à une part de 4 à 10 % des recettes mondiales de l'impôt des sociétés. Le service de recherche du Parlement européen chiffre à un montant annuel de 50 à 70 milliards EUR environ les pertes de recettes dues à l'évasion fiscale des entreprises dans l'UE.
Une trentaine de pays ont déjà signé un premier accord d’échange d’informations fiscales mercredi.
Source : propositions de la Commission, communiqué de presse Commission européenne
Et vous ?
Que pensez-vous de ces mesures ?
Voir aussi :
Le commissaire européen à la Concurrence pourrait ouvrir une enquête sur les arrangements fiscaux entre Google et la Grande-Bretagne
Partager