Cher Monsieur/Madame X, cher député,
En tant qu'habitant de votre circonscription, je vous envoie ce message, celui d'un citoyen à son représentant parlementaire.
Vous le savez sans doute, le 5 mai prochain sera la date du vote à l'Assemblée Nationale pour le projet de loi sur le renseignement dont les articles et amendements ont déjà été débattus dans l'Hémicycle.
Je ne suis pas habitué à écrire de telles missives (celle-ci est même la première) et ne me prétend pas être expert en droit. Cependant, ce projet de loi me dérange et m'inquiète à plusieurs égards :
- sur le plan technologique :
- Une des finalités de cette loi est de permettre la détection de comportement pour mieux identifier et interpeller des membres d'un projet terroriste. Ce qui est appelé « boîte noire » actuellement. Or, la réalisation d'un tel algorithme nécessite par essence, l'interception des communications de tous, citoyens, terroristes, personnes situées hors de France... Autrement dit, pour séparer le bon grain de l'ivraie, il faut prendre le bon grain. Pour retirer une aiguille d'une botte de foin, il faut avoir récolté du foin. Cela implique donc la collecte d'un nombre considérable d'informations sur l'ensemble des citoyens (qu'ils soient journalistes, médecins, députés, ministres...). L'efficacité théorique d'un tel procédé est plus que mise en doute (même un très faible taux de « faux positifs » engendrerait des situations kafkaïennes nombreuses et le risque toujours inconnu d'être passé « à côté » de réelles menaces).
- Comme l'a indiqué Stéphane Richard dont le poste n'est plus à présenter, cela implique de placer des équipements chez les hébergeurs, fournisseurs d'accès sans que ceux-ci n'aient un quelconque contrôle dessus, je cite. « Il faudra bien réfléchir à cela parce qu’avoir dans nos propres réseaux des équipements que nous n’opérons pas de fait, qui sont opérés par des personnels extérieurs à l’entreprise, c’est un sujet très très compliqué et qui comprend un certain nombre de risques ». Ceci représente ce qu'on appelle plus communément un « cheval de Troie », dont nul ne pourra savoir in fine s'il comporte des failles techniques.
- sur le plan économique :
- mettre en place ces silos de données représenterait une dépense de plusieurs centaines de millions d'euros pour le seul aspect matériel...
- de nombreux acteurs français du numérique ont démontré (OVH par exemple) que leur marché serait impacté par une telle loi. Entraîner une fuite de ressources hors de France alors qu'on souhaite la protéger serait, à mon sens, dommageable. Le numérique est un des secteurs porteurs, un des axes de développement économique, dans le contexte actuel, s'en défaire serait incompréhensible.
- enfin et surtout sur le plan éthique :
- séparation des pouvoirs : des éléments que j'ai compris de ce projet de loi, le contrôle judiciaire, pour ne pas « ralentir » de telles opérations « urgentes », est absent. Le triptyque des pouvoirs de la démocratie française se retrouve donc mis à mal. C'est donc la notion même de démocratie française, comme définie à ses premiers instants, qui est touchée. Agir dans l'urgence peut être nécessaire, négliger la Justice ne l'est pas.
- moyen donnés : le contrôle de la mise en œuvre de techniques de renseignements, repose uniquement sur la Commission nationale du contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Or son silence vaut accord et la question des moyens donnés à cet organisme reste sans réponse. Étrangler économiquement un tel organe reviendrait à laisser un champ libre total, sans aucun équilibre ni contrôle objectif.
- notion de vie privée : pour vous Monsieur le député, pour moi et pour les personnes avec lesquelles nous vivons, la vie privée est un bien inaliénable. Sous couvert d'urgence et de danger constant, celle-ci se retrouverait reléguée au rang de luxe ? Que ce soient les arcanes des sombres histoires de la politique française, l'histoire (passée et actuelle) des régimes non-démocratiques où ceux qui « sortent du lot » sont détectés et persécutés, que ce soit de la science fiction (1984 a été de nombreuses fois cité), on a vu des mises sous écoute illégitimes, des utilisations partisanes de tels pouvoirs de surveillance.
Que ce soit hors ou avec Internet, avoir sa vie privée mise sous les projecteurs (quels qu'ils soient) parce qu'une erreur d'un programme informatique a détecté que je connaissais A et que A connaissait B et que B connaissait... quelqu'un dont le comportement est « exotique » ou « anormal » est un sacrifice auquel je ne consentirai pas.
Pour ces raisons, Monsieur/Madame le député, je souhaiterais avoir votre opinion sur cette loi (après tout, l'échange ne s'avère que plus intéressant s'il est bidirectionnel).
Vous l'aurez compris avec les raisons mentionnées ci-avant, j'ai l'intime conviction qu'un vote contre cette loi permettra de mieux préserver les libertés de chaque citoyen français. Agir contre cette loi, représente pour moi, une lutte contre cet effet pervers du terrorisme qui serait une avalanche de mesures sécuritaires dont l'efficacité serait à démontrer sans cesse et où, malheureusement, la Loi créerait un colosse aux pieds d'argiles sans efficacité technique ni équilibre juridique.
À la suite de l'examen de ce projet et des débats parlementaires précédents, je vous invite à rejoindre Madame Laure de la Raudière, Madame Isabelle Attard, Monsieur Sergio Coronado, Monsieur Jacques Tardy, et Monsieur Jean-Jacques Candelier dans une opposition réfléchie et argumentée quant à ce projet de loi qui, encore une fois, sera soumis à un vote solennel le 5 mai prochain.
Avec l'assurance de mes sentiments sincères et respectueux,
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