Russie : les médias sociaux s'opposent aux injonctions des procureurs
dans le cadre de l'affaire Navalny

Le vendredi 19 décembre a été créée une page Facebook qui servait de plateforme pour l’organisation des manifestations en soutien à Alexeï Navalny, un leader de l’opposition russe, suite à la demande du procureur qui réclamait 10 ans de détention (en comptant sa peine de sursis d’un an en cours d’exécution) pour lui et 8 ans pour son frère Oleg. Selon les enquêteurs, entre 2008 et 2013, les frères ont détourné plus de 26,7 millions de roubles (environ 387 417 euros dans le cours actuel) au détriment de la société Yves Rocher Vostok, ainsi que 4,4 millions de roubles (environ 63 844 euros dans le cours actuel) à Multifunctional Processing Company.

Le lendemain, soit le samedi 20 décembre, elle a été bloquée sur le territoire russe à la demande du procureur général conformément à la loi portant sur le blocage immédiat des sites Web, comme l’a expliqué le secrétaire de presse de Roskomnadzor (Service fédéral russe de surveillance d'Internet et des médias traditionnels) Vadim Ampelonski à Dojd. Cette demande de blocage ne s’est pas limitée à l’américain uniquement puisque, peu de temps après, Nikolaï Dourov, ancien directeur technique et frère du fondateur du réseau Pavel Dourov, a annoncé que la grande communauté « Rassemblement pour Navalny » sur le réseau social VKontakte, le numéro un en Russie, a également subit le même sort. D’ailleurs, il a précisé que le Service fédéral a déjà exigé le blocage de plus de 50 communautés de ce type.

Le blocage de Facebook a été vivement critiqué par l’ancien ambassadeur des États-Unis en Russie Michael McFaul, ainsi que par les rédactions de plusieurs quotidiens dont le nom est connu à l’international. L’ancien ambassadeur a écrit sur son compte Twitter : « nous faisons tous des erreurs. Facebook devrait corriger les siennes dès que possible en Russie ». Depuis lors, Facebook a laissé actives les autres pages relatives au sujet en Russie. L’une d’elle indique même déjà que plus de 33 000 personnes vont participer à un rassemblement le 15 janvier prochain, date à laquelle le tribunal Zamoskvoretski de Moscou doit annoncer son verdict aux frères Navalny dans l’affaire « Yves Rocher ». Twitter a également confié avoir été convié de bloquer les comptes utilisateurs et d’enlever les contenus relatifs à ce rassemblement sur sa plateforme.


Jusqu’à présent, les entreprises se sont souvent pliées aux exigences russes concernant des contenus à bloquer plutôt que de risquer de se faire bannir du pays. Cependant, la nature publique de ce cas peut les avoir placé face à un dilemme : d’une part la coopération avec les autorités russes qui risque de porter atteinte à leur réputation parmi les utilisateurs, d’autre part un refus d’obtempérer qui peut les mettre dans une situation bien embarrassante avec les autorités.

« Ces entreprises ne veulent pas bloquer quoi que ce soit. Mais, d'autre part, elles ont besoin de protéger leurs employés et de protéger leur base d'annonceurs. Ces deux choses se retrouvent menacées dès lors qu’elles s’érigent contre le gouvernement », a expliqué Ethan Zuckerman, directeur du Center for Civic Media au Massachusetts Institute of Technology.

Pourtant, un porte-parole de Twitter a déclaré que l’entreprise « n’a pas enlevé les contenus qui ont été spécifiés » et a fait suivre les injonctions du gouvernement aux utilisateurs pour les prévenir. Google pour sa part a aussi bravé l’interdiction et a laissé des vidéos YouTube qui font la propagande dudit rassemblement sur sa plateforme en dépit des directives des autorités. VKontakte quant à lui a refusé de bloquer les contenus afin de ne pas perdre de public en faveur de la concurrence étrangère.

Un porte-parole de Roskomnadzor a fait savoir que la directive des procureurs qui exige le blocage des contenus relatifs à ce rassemblement « sera appliquée », sans pour autant divulguer plus de détails. Il a quand même expliqué que ces ordres de blocage sont venus sous une nouvelle loi adoptée au début de cette année qui permet aux procureurs d’ordonner le blocage des sites sans avoir obtenu au préalable un mandat de la cour dans le cas où ils (les sites) sont soupçonnés d’extrémismes ou comportent appels à manifester qui ont été interdits par les autorités.

Dans un contexte où les tensions vont croissantes entre le Kremlin et Washington, l’importance de cette affaire a mis les grandes enseignes technologiques américaines présentes en Russie sous les projecteurs. Leur résistance face aux injonctions juridiques peut être le signal d’une détérioration des relations avec le Kremlin qui a souvent pointé du doigt les sociétés internet américaines en les accusant d’être des outils utilisés pour déstabiliser le gouvernement en place.

Malheureusement pour lui, le pouvoir a décidé d'avancer au 30 décembre 2014 la séance où sera prononcé le verdict pendant que la plupart des moscovites seront absorbées par les fêtes de fin d'année et donc que sa condamnation pourra relativement passer inaperçue. « Ce changement de date est un fait sans précédent. Dans le passé, il y avait eu des cas où les jugements avaient été rendus à une date ultérieure à celle fixée initialement par le juge. Mais que l’on décide d’avancer l’énoncé d’un jugement, cela est inédit », rappelle l’avocate de l’opposant, Olga Mikhaïlova.

Source : rfi, wsj

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