Histoire : le fabuleux destin de la calculatrice graphique
Née dans la clandestinité de l'Apple sans Steve Jobs
Entre le licenciement de Steve Jobs par la bande à John Sculley en 1985, et son retour en 1996, bien des histoires se sont passées à Apple, que l'Histoire n'a pas forcément choisi d'oublier.
Cette période, marquée par une perte du sens de produit d'Apple au profit de la recherche du... profit, a conduit à la multiplication de produits, la scission entre les équipes et une dilatation des développements amenant l'entreprise au bord du gouffre.
La suite de l'histoire, on la connaît. Mais d'un tel marasme, de bonnes choses sont nées. Comme NuCalc, plus communément appelé Graphing Calculator.
Un peu d'histoire.
Ron Avitzur a travaillé chez Apple Computer dans les années 90.
Tout a commencé quand le projet « secret » d'un ordinateur, auquel il était affecté, fut abandonné. Un projet tellement « en proie aux politiques et à l'ego que quand les ingénieurs ont demandé une supervision technique, notre manager a plutôt recruté un psychologue », raconte Avitzur.
Le projet a donc fini par être abandonné et le contrat d'Avitzur, simple contracteur, fut résilié. Il n'est plus engagé par Apple et n'a a priori aucune raison d'y revenir.
Mais frustré par autant de travail perdu, n'ayant « ni famille ni hypothèque », Ron a décidé de vivre de ses économies le temps de « désannuler » une partie de son travail. Un logiciel de calculatrice graphique.
Et comme son badge le laissait toujours accéder à Apple, il ne s'est pas gêné à squatter les bureaux de son ancienne équipe du projet top-secret.
Le PowerPC
À cette époque, Apple adaptait son système d'exploitation maison aux microprocesseurs PowerPC d'IBM et notre développeur a dû adapter le travail déjà fait à la nouvelle architecture, gagnant entre autres la sympathie des développeurs en charge de l'adaptation du système.
Ainsi, deux gars se sont un jour pointés à son bureau, et ils y ont « campé » jusqu'à ce que les modifications aient été faites. Bénévolement. La belle époque !
« À une heure du matin, nous sommes parties dans un bureau où se trouvait un prototype de PowerPC. Nous nous sommes regardés, pris une profonde inspiration et lancé l'application. L'écran a pris feu, et nous l'avons calmement transporté dehors pour éviter de déclencher l'alarme-incendie. Nous l'avons branché à un autre moniteur et réessayé. Le logiciel n'a pas causé incendie [l'autre] écran a juste choisi le mauvais moment pour déconner. Le logiciel s'est exécuté 50 fois plus vite ». Un triomphe, se souvient Ron Avitzur.
Un ami à la rescousse
Puis il a appelé à la rescousse Greg Robbins qui vivait à peu près la même situation dans une autre division. Les deux ont fait croire aux managers qu'ils étaient chacun sous les ordres de l'autre. Le bobard est passé, et les managers gardés au loin.
Le duo s'est donc attelé à poursuivre le travail. La plupart des collègues ne remarquaient pas leur présence, et Avitzur répondait aux autres, incrédules, qu'il ne travaille pas à Apple, qu'il n'est même pas free-lance, qu'il n'est pas payé et qu'il subvient à ses besoins en « vivant simplement ».
La situation s'était quelque peu compliquée quand le bureau, officiellement vide, allait être occupé par Apple Facilities. La présence clandestine a été démasquée grâce à la candeur rafraîchissante de sincérité de Avitzur, qui lui a valu d’être renvoyé par la sécurité. Son badge a été annulé.
« Heureusement », 20 % des effectifs d'Apple ont été licencié à cette période sombre des finances de l'entreprise. Il n'était donc pas difficile de trouver un autre bureau vide, ni très compliqué d'accéder subrepticement chaque jour au campus.
Le grand secret de la programmation
Le travail s'est poursuivi à un rythme soutenu, mais les deux ingénieurs n'étaient pas en mesure de réaliser à eux tout seuls un logiciel qui devait être livré à des millions d'utilisateurs.
Entre autres, il fallait des professionnels de l'assurance qualité. Là encore ils ont été approchés par deux gars de la QA qui avaient entendu parler de leur histoire et ont décidé de leur filer un coup de main.
Ils ont eu besoin de quelqu'un pour les images 3D. Un ami s'est proposé. Et ainsi de suite, pour la conception graphique, la documentation, la programmation, les mathématiques et l'interface utilisateur.
Le grand secret de la programmation, conclut Avitzur, n'est ni « l'intelligence, ni le travail dur, ni l'expérience (quoique ça peut vous aider). Le secret de la programmation c'est d'avoir des amis intelligents ».
La fable qui relâche la pression
Plus étonnant encore, une rencontre plus que bienvenue est venue relâcher la pression, car rien ne garantissait à nos deux lascars que leur produit allait être un jour installé sur les ordinateurs d'Apple. Une dure réalité qui « me terrifiait nettement plus que le risque d'être poursuivi en justice pour intrusion criminelle », avoue-t-il.
Un visiteur, séduit par leur travail, s'est pointé à 2 heures du matin, leur affirmant qu'il détient le « Golden Master », ce disque dur original que les usines utilisent pour remplir les disques des ordinateurs lors de la production. Son affirmation qu'il pouvait y inclure leur logiciel à la dernière minute, probablement sans une once de vérité, a largement soulagé les développeurs et boosté leur productivité.
Le produit presque achevé, les ingénieurs ont fait la démonstration au manager de tous les « amis » qui les ont aidés. Le travail fut largement apprécié, mais la clandestinité de l'approche a empêché les choses d’aller plus vite.
Par miracle, le directeur du projet PowerPC était un académicien en congé, et son directeur marketing était fils d'un prof de math. Les deux, reconnaissant la valeur d'offrir un tel logiciel sur chaque Mac, l’ont rapidement adopté.
Mais là situation s'est vite emballée. Les managers d'assurance qualité ont attribué des équipes au projet. Les chargés de localisation ont attribué des traducteurs... le tout sans que les leaders du projet aient le droit d'accéder aux bureaux sans effraction.
On a enfin des badges...
Ils ont fini par obtenir des badges décents. Identiques à ceux que portaient « les gars travaillant à la cafeteria, ceux qui arrosent les plantes ou réparent les photocopieuses », ricane Avitzur. Une reconnaissance officielle qui a davantage emballé l'enthousiasme autour du produit.
Tout avait commencé en avril 1993 et depuis janvier 1994, Graphing Calculator (NuCalc) a été inclu dans 20 millions de Macintosh, a été porté sous Windows et il est devenu une référence auprès des enseignants et des élèves. Le logiciel a été commercialisé par Pacific Tech, une société créé par Avitzur après avoir récupéré tous les droits sur le logiciel.
Comme quoi la sincérité, le travail dur et la foi en ses idées et son travail peuvent déplacer des montagnes.
Et vous ?
Connaissiez-vous cette anecdote ? Qu'est ce qu'elle vous inspire ?
Que pensez-vous de la démarche des deux développeurs ?
Avez-vous un jour repris en main bénévolement un projet que votre entreprise a abandonné ?
Source : site de Pacific Tech (histoire détaillée)
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