Le porte-parole de 42Registery répond à Développez
Suite aux passions déchaînées par le lancement de l'extension de domaine .42
Interview réalisée par Idelways et Gordon Fowler
Une dizaine de jours après le lancement de 42Registery, (lire ci-avant), le projet ne fait pas l'unanimité et déchaîne les passions.
Le débat principal se cristallise sur les demandes d'enregistrement de sites en .42, sites qui doivent par leurs contenus et leurs activités, se conformer à une charte. Selon les fondateurs du projet, il ne s'agit en aucun cas de censure. La censure consisterait "à refuser une requête qui serait pourtant conforme à notre charte".
Après la publication de notre premier article, les initiateurs du projet nous ont officiellement contactés. C'est donc tout naturellement que nous leur avons donné la parole pour apporter des précisions, notamment suite à la mise à jour de la charte du projet, pour clarifier certaines ambiguïtés et pour répondre aux nombreuses questions que nous avions à leur poser.
Chacun se fera un avis différent en lisant ces réponses. Mais on ne peut nier que ce projet est porteur de sens. Il a en effet le mérite de poser le débat sur l'état actuel de la neutralité des réseaux et sur l'avenir d'un Internet libre et décentralisé. La manière de poser le débat est-elle la bonne ou pas, voilà une autre question.
Une question à laquelle il ne nous appartient pas de répondre.
Vous souhaitiez apporter des précisions à notre article sur votre projet. Lesquelles ?
Il y en a deux principalement : la première concerne la constitution de l'équipe, la seconde se rapporte à la charte et à l'interprétation que l'on peut s'en faire.
Pouvez-vous nous dire, concrètement, qui compose votre équipe ?
Nous avons démarré à 4 : Colin BRIGATO, Rémi LABEYRIE, Franklin RACCAH et moi-même (Romain RIVIERE) avons fondé l'association 42 Registry le 11 janvier 2010. Alexandre LEGRIX nous a rejoint récemment.
Au sens strict, l'équipe se résume donc à 5 personnes. Mais cette équipe ne suffit pas à faire avancer le projet. Nous bénéficions aussi du soutien technique de GeekNode et d'Absolight par exemple. Certains on déjà contribué de façon individuelle au projet (pour le moteur de recherche par exemple).
D'une façon plus générale, chaque utilisateur est un membre de l'équipe au sens large. Le simple fait d'adhérer à l'expérience est une participation en soi. L'un des objectifs de l'Expérience 42 est justement de constituer une communauté autour d'un projet technique. Cette communauté a son rôle à jouer, notamment dans la validation des nouveaux entrants par exemple : c'est prévu depuis le tout début, il nous reste à le mettre en place techniquement.
Il est à noter que Tristan NITOT n'a pas participé au lancement, comme vous avez pu l'écrire. Nous sommes en revanche très heureux de le compter parmi nos utilisateurs, de même que Jérémie ZIMMERMANN ou l'APRIL par exemple.
Deux critiques sont apparues dans les commentaires sur Développez. La première concerne la complexité et la dimension peu "user-friendly" du .42. Que répondez-vous à cette première objection ?
On parle ici de DNS, un concept qui est en général parfaitement transparent pour l'utilisateur final ; avant de pouvoir résoudre les domaines en .42, il faut de toute façon mettre la main dans le cambouis, ce qui n'est pas toujours très intuitif.
C'est pour cette raison que l'Expérience 42 s'adresse avant tout à un public averti. C'est un choix de notre part : nous faisons partie de cette communauté "geek", qui aime savoir comment les choses fonctionnent, que ce soit un grille-pain ou un système d'exploitation. Il était donc naturel de nous tourner vers cette communauté. Ce n'est pas du tout par volonté d'isolement comme j'ai pu le lire dans un commentaire de votre article : c'est au contraire pour rassembler des gens dont nous nous sentions proches, et pour partager avec eux une expérience humaine et technique.
Cela dit, du point de vue de l'utilisateur, le volet technique n'est pas si complexe qu'il n'en a l'air au final. Si l'on souhaite simplement accéder aux domaines en .42, 5 minutes suffisent. C'est un peu plus long si l'on cherche à gérer son domaine .42 chez soi.
Mais mettre en place "son" serveur DNS pour rendre "son" domaine .42 accessible aux autres, c'est une brique essentielle du fonctionnement d'Internet. Cette brique est aujourd'hui masquée par une centralisation dont on commence à voir les effets néfastes. C'est aussi pour cela que nous encourageons les membres de la communauté à franchir le pas, à construire leur petit bout d'Internet alternatif chez eux.
Il est d'ailleurs intéressant de constater que même si beaucoup n'ont fait que "parquer" leur domaine, certains ont déjà fait le nécessaire pour que tout fonctionne correctement. Mieux encore, nous avons déjà notre petit moteur de recherche (http://search.42) développé par nos membres !
Pour finir, l'étape "public geek" est un préalable nécessaire avant de pouvoir toucher un public non-initié. La difficulté technique disparaîtra lorsque nous aurons trouvé un soutien suffisant auprès des divers acteurs d'Internet : nous avons commencé par obtenir celui de 2 FAI français, et nous espérons poursuivre dans cette voie afin que l'extension .42 soit le plus visible possible, tout en restant indépendante.
La deuxième critique concerne, et vous le savez, le comité de validation des sites éligibles au .42. Quels sont les critères sur lesquels vous allez vous appuyer pour accepter ou refuser tel ou tel site ?
Nous avons commencé avec une charte qui était restrictive. Très vite, nous avons dû l'ouvrir, et ce par deux fois déjà, car elle ne correspondait pas à ce que voulait réellement la communauté (voir ici et là sur ces changements). Les critères sont donc toujours ceux énoncés dans la charte (en anglais pour l'instant).
L'une des plus grosses incompréhensions tourne autour de l'utilisation "commerciale". C'est ce qui nous a poussé à publier le deuxième message et à reformuler le paragraphe intitulé "Qu'en est-il des projets commerciaux ?" de notre FAQ (en page d'accueil). En bref, il n'est pas question de refuser un domaine .42 dès que l'argent pointe le bout de son nez (sourire).
Dans un futur assez proche, nous voulons impliquer la communauté 42 dans le processus de validation. Il s'agit simplement d'offrir aux utilisateurs déjà inscrits la liste des demandes en cours (ces données étant déjà publiques), et la possibilité de voter Oui/Non pour chacune d'elles. Pour les cas réellement difficiles, nous en discuterons sur une liste de diffusion dédiée où chaque utilisateur, y compris le demandeur intéressé, aura voix au chapitre. La phase actuelle, pendant laquelle seule une poignée de personnes décident de l'approbation ou non de chaque domaine, n'est qu'une phase initiale. Elle a juste commencé beaucoup plus tôt que prévu (sourire).
Avez-vous déjà dû refuser des sites ?
Il y a déjà eu des refus, bien sûr. Nous n'avons pas voulu enregistrer Google.42 par exemple, car cela s'apparente à du cyber-squatting (il est évident que la demande ne provenait pas de Google). Une demande dont le champ "Purpose" est trop imprécis sera rejetée, mais nous encourageons alors à reformuler la demande en explicitant l'objet. Actuellement, seul le demandeur est destinataire du motif. Nous voulons pouvoir afficher sur le site les demandes rejetées et le motif du rejet, pour une meilleure transparence envers la communauté. C'est l'un des nombreux items de notre TODO-list (sourire).
Vous mettez bien en avant le principe communautaire. Un principe qu'un de vos "fans" a rapproché, dans les commentaires, de Wikipedia. Or Wikipedia est une superbe réussite mais qui a une limite : celle des articles polémiques (histoire, religion, 11 septembre, Guerre en Irak, etc.). N'avez-vous pas peur que ces limites soient handicapantes pour une validation communautaire ? Plus largement la "communauté" est-elle capable de produire une norme morale acceptable notamment sur des sujets "sensibles" ?
On n'aura certainement jamais l'unanimité sur des demandes un peu "limite", mais je ne pense pas que cela constitue en soi un obstacle insurmontable.
Imaginons un site sur l'open-source qui accède au .42. Que se passe-t-il si une fois en .42, son auteur en change le contenu ? Suivez-vous l'évolution des sites ?
Pour l'instant, le problème ne se pose pas vraiment. Pour l'avenir, je ne pense pas que nous irons vérifier le contenu de tous les sites en .42 chaque jour ou même chaque mois. Je préfère, naïvement peut-être, penser que la très grande majorité des sites resteront conformes à la demande initiale, et que la communauté saura signaler tout débordement. Tel que nous l'envisageons, si le cas se présentait, il en serait d'abord discuté entre tous les membres, de la même façon que pour une nouvelle demande qui poserait problème.
Est-ce que les moteurs de recherches, Google et autres, vont aller sur les sites en .42 ?
Ça serait formidable (sourire). Ce n'est bien sûr pas le cas actuellement. Il faut garder à l'esprit que d'une part, l'extension .42 n'a rien d'officiel, mais que d'autre part, rien n'empêche le non-officiel de fonctionner techniquement.
Par exemple, aujourd'hui, les abonnés des fournisseurs FDN et Nerim ont accès à la zone .42 : c'est un choix qu'ils ont fait, et nous en sommes ravis. Mais cela représente une minorité chez les FAI. Même si Google venait à indexer les domaines .42, il serait risqué pour eux d'en présenter les résultats à un utilisateur final qui n'y a pas forcément accès.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier les implications "politiques". Si je résous la zone .42 depuis chez moi, ça ne regarde que moi. Si par contre un moteur de recherche de l'envergure de Google décide d'accéder aux domaines .42, c'est reconnaître une légitimité au TLD .42 alors qu'il n'a pas le sceau d'approbation de l'ICANN. Ce serait un geste à la fois risqué et courageux.
Les membres de Développez qui se sont posés la question du comité, de la validation et de ses modalités, questions à nos yeux légitimes, se sont vus infliger d'importantes notes négatives à leurs commentaires. Par ailleurs, un de vos soutiens écrit « ".42" est ouvert à tout le monde sauf à ceux qui prônent la fermeture quels qu'en soient les moyens (Microsoft, Mac, iPhone etc.) »
N'avez-vous pas peur que ces "méthodes" et ces jugements très manichéens nuisent à l'image de votre projet, qui est par ailleurs extrêmement intéressant ?
Lorsqu'un sujet tient particulièrement à cœur, il n'est pas rare de voir ce genre de réactions sur des forums, d'un côté comme de l'autre. Il n'est pas dans notre intérêt d'encourager ce genre de démarches, parfois un peu trop virulentes, mêmes si c'est pour nous défendre. Mais en général, l'impact de ce genre d'échange n'est jamais très inquiétant. Si notre projet fait réagir, c'est une bonne chose. Nos détracteurs éventuels sont invités à venir en parler (nous avons un salon #42 sur le réseau IRC GeekNode) et à participer à l'expérience, afin de s'en faire une idée plus précise. N'oublions pas que nous sommes encore au tout début de l'aventure : le démarrage nous a pris par surprise, et nous avons encore du chemin à parcourir.
Que peut-on espérer à l'avenir pour le succès, que nous vous souhaitons, de ce projet ?
L'intérêt que vous nous portez nous touche, et nous vous en remercions. Pour l'avenir, j'espère simplement que nous saurons relever les défis qui ne manqueront pas de se présenter. Jusqu'à présent nous avons assez peu communiqué, et presque uniquement en français (même si de nombreuses demandes arrivent d'Espagne alors que j'écris ces lignes). Notre bonne résolution pour 2011 est de partir à la conquête du reste du monde. Souhaitons donc que l'Expérience 42 tienne sa résolution (sourire).
.42 : lancement du premier domaine de premier niveau non-officiel
Exemple de fermeture ou première brique d'un internet ouvert ?
42, la réponse universelle à la grande question sur la vie, l'univers et tout le reste est désormais plus qu'une référence de geek. C'est aussi une extension de domaine au même titre que les .com, .fr et autres .org.
Plusieurs militants français du logiciel libre viennent en effet de lancer une initiative audacieuse, celle de tenir tête à l'ICANN, l'organisme américain qui contrôle les serveurs DNS racine (dont la neutralité est remise en cause par certains avec l'affaire Wikileaks) en lançant le premier TLD non-officiel (domaine de premier niveau) en .42. Une initiative soutenue par Tristan Nitot, président et fondateur de Mozilla Europe, qui vient d'obtenir le .42 pour son blog personnel.
Il est à présent possible de réserver, auprès de 42registery, des noms de domaine du style www.domaine.42, pour peu que votre site ne soit pas commercial, qu'il ne contienne pas de publicité et que votre demande soit validée par un comité de sélection.
Il s'agit, officiellement, de créer un internet ouvert, tourné vers le partage des connaissances et le logiciel libre.
Les initiateurs du projet sont conscients de l'immensité du défit qu'ils relèvent et des énormes contraintes techniques. Mais aussi des avantages que ce choix procure.
Les standards et conventions interdisent en effet l'utilisation de domaines de premier niveau contenant des chiffres, ce qui met le projet à l'abri d'un éventuel enregistrement officiel de leur domaine au niveau de l'ICANN.
Mais dans le même temps, ce choix crée des problèmes avec certaines infrastructures, logiciels ou navigateurs qui risquent par exemple, de confondre les URL de ces sites avec des adresses IP.
Pour que ces adresses soit accessibles, l'utilisateur doit apporter des configurations supplémentaires à son ordinateur, une manipulation contraignantes pour le grand public.
Pour résoudre ce problème, 42Registry soutient activement le projet du réseau Global-Anycast qui permet de partager le même bloc d'adresses IP entre plusieurs plateformes distinctes et non interconnectées directement.
Mais des voix s'élèvent déjà sur la blogosphère pour dénoncer la "fermeture sous forme d'ouverture" de ce réseau qualifié par certains d'élitistes et par d'autres de "parti pour gagner la palme d'or de la connerie 2010" (sic).
A chacun de se faire son opinion.
Source : le site de 42registery, le compte Twitter de Tristan Nitot et le blog de Frédéric de Villamil
Et vous ?
Que pensez-vous de cette initiative ?
En collaboration avec Gordon Fowler
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