Monsieur le député,
Étant un électeur de votre circonscription, je me permets de vous écrire dans le cadre du projet de loi dit « Loi Renseignements ».
Je tenais à attirer votre attention sur ce projet de loi en particulier car celui-ci remet en cause le droit à l’intimité et à la vie privée des citoyens. En autorisant l’écoute et l’enregistrement en masse de communications sans distinction, dans le but annoncé de la lutte contre le terrorisme.
À ce sujet, voici divers articles de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDH&C), pilier de notre société, projetés sur ce projet de loi.
L’article 2 de la DDH&C disant : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. ». Ce projet de loi portant une atteinte directe à la liberté individuelle ainsi qu’à la vie privée via une surveillance massive et sans distinction heurte ce fondement et en aide un autre contre lequel nous sommes censés nous lever : l’oppression.
La possibilité donnée à chaque citoyen par ce projet de loi de saisir la Justice via la Commission Nationale de Contrôle des Techniques de Renseignement (CNCTR) si le citoyen estime que la surveillance est illégale et en désaccord avec l’article 9 de la DDH&C : «Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. » puisque dans ce contexte, le citoyen est supposé coupable puisque surveillé et doit en plus en être conscient avant de pouvoir demander la fin de son écoute, et donc son innocence de fait.
Cette écoute va également à l’encontre de l’article 10, toujours de la DDH&C disant « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. ». Il a été prouvé par des études sociologiques que la connaissance de la surveillance influait directement sur le comportement, qu’il soit public ou privé. Sans aller frontalement contre cet article, la surveillance influera dessus et est une première brèche qui, je l’espère, ne s’agrandira pas.
Enfin, la création d’une commission, la CNCTR, va à l’encontre de l’article 16 « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. » sauf si l’on accepte pleinement la conséquence de la non-séparation des pouvoirs : c’est-à-dire l’annulation pleine et entière de la reconnaissance de la Constitution Française. En créant une commission administrative (donc faisant partie du Pouvoir Exécutif) pour contrôler les actions des Renseignements (faisant partie du Pouvoir Exécutif), c’est le même pouvoir qui s’autorégule et qui s’autogère. La séparation des pouvoirs se basant sur le principe de pouvoir et de contre-pouvoir, nous donnons ici une énorme marche de manœuvre à un unique Pouvoir sans que les autres ne puissent le contrer en cas de dérives. De plus, cette commission ne possédant qu’un avis consultatif (Article 821-6, mot « recommandation »), elle n’est en rien un contre-pouvoir quelconque ou un organisme de contrôle
Ce point me permet d’enchaîner sur un autre : il a été dit durant les débats qu’il n’y aurait pas de dérives possibles. Les écoutes téléphoniques posent le même problème, en beaucoup moins général. Les mandats limitent ces écoutes à des conversations précises, ou des sujets précis. Les Policiers n’étant pas des machines, mais des êtres Humains, ceux-ci ne peuvent pas, ou très difficilement, faire abstraction de ce qu’ils entendent et qui ne rentrent pas dans le cadre du mandat qu’ils doivent suivre. Il y a souvent eu, suite à des écoutes téléphoniques, des enquêtes ouvertes ou des éléments apportés à des dossiers sous couvert de « source anonyme ». Ne faisons pas l’autruche et parlons réellement du sujet sans le balayer d’un revers de la main.
De plus, puisque ce projet de loi prend exemple sur le PRISM américain, je tiens à attirer votre attention sur les dérives qu’il y a eu, justement, de la part de certains de ses opérateurs, dérives énoncées elles-mêmes par le directeur de la N.S.A. de l’époque [1].
En sus de tout ceci, certains points du projet de loi peuvent facilement prêter à confusion. Par exemple, le point 3 de l’article L.811-3 : « Les services spécialisés de renseignement peuvent, dans l’exercice de leurs missions, recourir aux techniques mentionnées au titre V du présent livre pour le recueil des renseignements relatifs à la défense et à la promotion des intérêts publics suivants […] Les intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ». Est-ce que, par exemple, l’État possédant environs un quart de la société Orange, une start-up ou une quelconque entreprise menaçant cette grande entreprise pourra être l’objet de cette surveillance en toute légalité ? Je comprends de ces textes qu’ils pourraient facilement être mal utilisés.
Il avait aussi été fait un geste en faveur des hébergeurs, et de certains types de professionnels du domaine de l’informatique après que ceux-ci aient annoncés que ce projet de loi serait une grosse menace pour leur pérennité. Le gouvernement avait ensuite fait un geste envers ces derniers suite à cette remarque, mais manifestement, cela n’a pas été assez loin. Nous pouvons déjà constater le déménagement de certains d’entre eux dans d’autres pays, eu.org et altern.org par exemples, qui expliquent chacun une interruption complète de leurs services le temps de déménager leurs serveurs. Dans le cas où ils auraient fini leurs changements au moment où vous prenez connaissance de ce message, vous trouverez des captures d’écrans de leur site web en pièces jointes. Aujourd’hui, le 23 avril 2015, le poids lourd parmi les noms de domaine gandi.net a lui aussi annoncé son déménagement [2], ne cautionnant pas la surveillance de masse.
Ainsi, non seulement cette loi réduit la vie privée de chacun des Français, citoyens ou non, en la mettant sur écoute, en enregistrant chacune des actions numériques que ceux-ci entreprendront, (que ces enregistrements soient utilisés ou non) mais elle détruit aussi l’avancée française en terme d’économie numérique, réduisant de fait sa compétitivité dans ce domaine omniprésent qu’est l’informatique.
À titre informatif, même Charlie Hebdo [3], pourtant déclaré comme facteur accélérant de cette loi, s’est prononcé totalement contre celle-ci, mais également de nombreuses organisations non-gouvernementales soucieuses des libertés individuelles, ainsi que la plupart des acteurs du numérique français. Des listes sont trouvables sur internet, ici [4] et là [5] par exemple. Il y a même des acteurs mondiaux qui s’inquiètent de ce projet de loi [6].
Voir autant de personnes proches du domaine informatique ou soucieuses des libertés individuelles s’inquiéter devrait être un signe incommensurable quant aux problèmes que pose ce projet de loi.
Au niveau purement logistique, il y a déjà eu des retours de manque de moyens humains et financiers pour traiter les données actuellement en possession des renseignements, ainsi que pour mener leurs missions de prévention. Avec cette loi, la taille des données à traiter explosera littéralement et il faudra encore plus de moyens pour traiter quoi que ce soit, même en essayant d’automatiser le plus possible le traitement de ces informations. Ce dernier point qui sera de base rendu difficile pour diverses raisons sauf si les acteurs devant faire ces remontées les réalisent déjà dans un format commun. La mise en place, c’est une certitude, ne se fera pas du jour au lendemain, et l’exploitation réelle de ces données prendra encore plus de temps et engagera encore plus de moyens pour de l’incertitude et de l’improbabilité au niveau des résultats.
Dans une idée de fragilisation du pays, l’une des premières cibles sera justement cette importante masse de données. S’il devait y avoir un quelconque accès frauduleux, énormément d’informations très personnelles seraient alors utilisées contre les Français : par exemple il serait alors très facile d'usurper l'identité de quelqu'un, d'utiliser ces informations contre lui-même, de se renseigner sur les habitudes de chacun d'entre nous, ou encore sur notre localisation. Comme vous le savez, la majorité de nos concitoyens possèdent un agenda en ligne et sauvegardent leurs données de géolocalisation. Il sera donc impératif que la sécurité soit à toute épreuve… sauf que la sécurité en informatique n’est jamais à toute épreuve. Il y a toujours une faille, qu’elle soit technique ou humaine, il y aura donc fatalement un problème. Vous pouvez prendre en exemple les listes de site censurés en Australie qui les ont en réalité fait découvrir au grand public lorsqu’elles ont fuitées.
L’idée avancée durant les débats d’avoir un cadre pour les renseignements est excellente. Celle-ci doit se faire, il n’y a aucun débat ni discussion possible à ce sujet. Cet encadrement ne doit pas se faire au prix de nos libertés, et encore moins dans la précipitation et la caricature. Être contre ce projet de loi en l’état ne signifie en rien être en faveur du terrorisme, comme s’est déjà entendu. Cela signifie simplement qu’il y a encore beaucoup trop de zones d’ombre et de mauvaises interprétations possibles laissées dans ce texte et qu’il est nécessaire d’avoir un débat calme et posé, en prenant le temps qu’il faut. Il convient de s’interroger sur la problématique complexe qu’est la vie privée en notre ère numérique, où d’un côté nous désirons garder nos secrets, ce qui ne regarde que nous, mais d’un autre, nous offrons nos informations à des sociétés privées en faisant le commerce. Cette question ne se règle absolument pas en de petites phrases échangées à l’emporte-pièce et rien qu’y songer fait apparaître de nombreuses pistes, problématiques, questions, ramifications et inquiétudes.
Pour toutes ces raisons, je vous demande de voter CONTRE ce texte durant le vote solennel du 5 mai 2015. Ne laissez pas gagner les terroristes et autres ennemis de la démocratie en réduisant les libertés, en mettant le peuple entier sous surveillance, sans distinction ni raison. La vie privée, la liberté de penser et de croire en ce que l’on souhaite, en ce que l’on veut, sans en être inquiété sont une base fondamentale, un pilier inaliénable de notre condition de Citoyen.
S’il vous plaît, refusez ce texte en l’état.
Je vous prie d’accepter l’expression de mes salutations respectueuses,
Signature
[1] Dérives NSA :
http://fr.scribd.com/doc/171424593/N...llance-LOVEINT
[2] Avis de Charlie Hebdo :
https://twitter.com/laurentchemla/st...41559108763648
[3]
http://sous-surveillance.fr/noscript.php
[4]
http://www.lemonde.fr/pixels/visuel/...6_4408996.html
[5]
https://blog.mozilla.org/press-fr/20...illa-sexprime/
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