A l’instar de nombre d’entre nous, je ne vote plus beaucoup, ou alors sans réelle conviction. Ayant milité de nombreuses années dans des organisations politiques marxistes, j’ai touché du doigt les limitations de leurs idéologies, et je fais partie de ces gens qui pensent qu’il est temps de changer de paradigme.
En cherchant, inlassablement et depuis de longues années, une nouvelle façon de continuer le combat marxiste, en analysant l’existant et en explorant de nouvelles voies, et je suis parvenu à une étrange conclusion. Elle ne me satisfait pas totalement, mais elle me semble ouvrir des voies intéressantes. Je vous la présente donc non pas comme une solution, mais comme un ensemble de pistes de réflexions.
1. L’humain et le désir
Lorsqu’on tente d’appréhender la nature humaine, que l’on soit partisan du libre arbitre, ou à l’opposé, que l’on défende une vision déterministe, le cœur du problème se trouve dans ce que l’on appelle aujourd’hui le désir. Ce sont nos désirs qui déterminent nos actes, nos choix.
Prenons par exemple les réflexions à propos de ce que La Boétie appelait la servitude volontaire. C’est en réfléchissant en terme de désir qu’on se rend compte que cet oxymore n’en est pas un. Car [ne pas entrer dans les détails ici] quelqu’un peut désirer être servile.
2. L’idéologie en tant que confiscation du désir
L’aspect normatif d’une idéologie politique peut être considéré comme une confiscation du désir. En créant un imaginaire commun, un imaginaire de ce qui est, de ce qui devrait être, et de comment y parvenir, on impose un ralliement des individus à un ensemble de désirs qui ne sont pas les siens.
Le capitalisme est le meilleur exemple de ce que je tente de montrer ici, en particulier par le salariat, qui est un des trois piliers du capitalisme. Car si on analyse le salariat à travers le prisme du désir, on voit immédiatement qu’il s’agit d’une confiscation du désir des salariés par le patron. Le patron désire faire quelque chose, et ce désir est imposé à ses salariés.
3. La politique en tant qu’organisation du désir
On est ici pas loin de l’analyse marxiste classique : le salarié doit effectuer des tâches qui ne correspondent pas à ses désirs, il se retrouve donc étranger à lui-même, c’est ce que Marx appelait l’aliénation. Mais Marx n’utilisait pas la notion de désir. Et je crois que justement, ce subtil ajout qui n’a l’air de rien apporte beaucoup. Peut-être même au point même de renverser une partie de l’édifice marxiste.
Car Marx, mais également les libéraux de tous poils, considèrent que le travail, et en particulier le salariat, se réduit à une question de nécessité et d’envie. Nécessité pour le salarié, qui a besoin d’argent pour vivre, en envie (ou avidité) du patron, dans une logique d’accumulation. Mais il n’est question nulle part de désir, or il me semble que non seulement c’est un aspect fondamental de la question, mais aussi et surtout, c’est une approche qui englobe le tout ; elle n’exclue pas les analyses marxistes. L’envie et la nécessité étant considérés comme des expressions particulières du désir.
Ma proposition consiste donc à considérer la politique comme une organisation performative, non normative, des désirs individuels.
Un exemple concret : un patron n’est pas toujours uniquement guidé par le profit. Il arrive, plus souvent qu’on ne le croit, qu’un patron prenne une décision selon ses désirs personnels. Désirs qui peuvent même allez à l’encontre de la nécessité de profit, comme par exemple lorsqu’il s’agit de questions morales. Ceci démontre que le simple calcul, coût/profit, ne suffit pas à faire une politique.
4. La politique en tant qu’éthique
Le problème c’est que, contrairement à une idéologie qui a une aspiration au commun, et même à l’universel, les désirs sont tout ce qui a de plus individuel. Comment donc articuler quelque chose de fondamentalement individuel avec la politique, qui aspire à être le plus commun possible ?
La réponse que je propose peut apparaître comme un paralogisme, mais d’autres avant moi ont apporté la même réponse, bien que par un cheminement différent. Et cette réponse consiste à organiser le travail selon une construction politique basée sur le désir individuel, et non sur le désir d’un seul qui sera imposé aux autres. Une telle organisation peut prendre différentes formes (collectivisme, coopératives, anarco-fédéralisme, dictature du prolétariat, salaire à vie, etc.) mais il ne s'agit pas d'appliquer le modèle démocratique à l'entreprise. Puisque la démocratie consiste à ce que les désirs du plus grand nombre constituent le cap d'un imaginaire commun. Au contraire, ici il serait question de faire en sorte que chacun puisse expérimenter les voies de ses propres désirs.
5. L’hédonisme politique
Or parmi toutes les idées que l’homme a produit depuis que nous en avons des traces, quelle est celle qui se rapproche le plus de ce que je vous présente ici ? L’hédonisme.
Je suis donc parvenu à cette étrange conclusion, qui va pourtant à l’encontre de certaines de mes convictions personnelles, que la solution consisterait peut-être concevoir un système politique non pas selon une construction doctrinaire, morale et commune, mais selon un système éthique et individualiste. Il s’agirait de conserver autant de communs possibles au niveau des biens matériels, mais de laisser à chacun la praxis et l'expérimentation de ses propres désirs.
Partager